Rechercher dans ma chambre

mercredi, mars 28, 2007

Réalité / irréalité

Très bon article de Christian Rioux cette semaine. (1) Un exemple de concision et d’habileté rhétorique. Pas un mot de perdu. L’argumentation avance en amenant un par un ses motifs, (2) de manière naturelle, sans heurter le lecteur, comme si ces motifs allaient de soi, ce qui en vérité n’est pas le cas.

De manière tout à fait factice, Rioux oppose d’entrée de jeu la gravité des préoccupations politiques en France, en Angleterre, aux États Unis, au premier motif de son texte, soit la légèreté, pour ne pas dire la futilité des politiciens québécois tout entier plongés dans le « délire » des jeux gais de l’été dernier. Le choix des jeux gais ici n’est pas anodin. Rioux lui associe son second motif, décrit comme un certain progressisme « cool », « tripant », confinant à l’autosatisfaction, promu – c’est son troisième motif -- par une « gauche cosmopolite » très en vogue – quatrième motif -- sur le Plateau Mont-Royal. Ce progressisme bien-pensant aurait fait l’impasse sur bien des débats sociaux, comme – cinquième motif -- l’homosexualité, l’immigration, pourtant toujours d’actualité ailleurs, sous prétexte d’un consensus qualifié de « malsain » et de « mou ».

Ce qu’il y a d’intéressant et d’exemplaire dans ce texte, et ce qui explique son efficacité, c’est que les liens entre les motifs ne sont pas expliqués. Rioux demande au lecteur de les accepter tels quels. Ainsi délire, gauche cosmopolite, Plateau Mont-Royal, multiethnisme, jeux gais composent ce que j’appellerais le paradigme de l’irréalité. (3)

Ce paradigme, une fois établi, permet à l’auteur d’y aller plus librement et de railler cette gauche qu’il ne tient pas en haute estime, laquelle serait tombée de son supposé « petit nuage pastel » : « Welcome to the world ! ». De même, l’ajout d’un nouveau motif, celui-là éminemment discutable : le rejet du passé –- les « plaines d'Abraham et les rébellions de 1837-38 » -- passé qui constitue, avec la langue, le coeur de notre identité nationale, de notre réalité. Dès lors, il ne faut pas s’étonner de voir l’usage de l’anglais être associé au motif du plateau Mont-Royal et à celui de l’immigration : « Des amis de Joliette me faisaient remarquer en passant que, par snobisme ou à cause de l'immigration, on parlait de plus en plus anglais sur le Plateau Mont-Royal. » (3) Remarquez, ses amis ne sont pas de Montréal, laquelle est associée au motif du Plateau et par conséquent inscrite au paradigme de l’irréalité, ils sont de Joliette, située en région, ils sont la réalité.

Suivant cette logique, il est clair que nous avons d’un côté le PQ et Québec solidaire, qui sont des partis montréalistes, flottant sur un nuage pastel, et de l’autre côté l’ADQ à l’écoute, comme le dit leur chef, du vrai monde.

Est-ce à dire que Rioux aurait voté pour le parti de Mario Dumont ? Non. Il serait plus juste de dire que son texte adopte le point de vue de ceux qui ont voté pour le nouveau chef de l’opposition, afin de faire comprendre au lecteur du Devoir, majoritairement des souverainistes et des progressistes, ce qu’est la réalité du Québec. Une manière de wake up call pour amener un débat social sur des questions importantes et encore litigieuses, comme l’homosexualité et surtout l’immigration car, à « force d'excommunier ceux qui ne font que poser des questions et s'interroger, les nouveaux curés du multiethnisme ont en quelque sorte retardé l'échéance et suscité des réactions extrêmes comme celle des citoyens d'Hérouxville. »

Je suis évidemment contre la logique de son texte qui crée un dualisme réalité / irréalité non fondé. N’est il pas plus juste de dire que si les membres du PQ et de QS sont « déconnectés » non pas de la réalité mais d’une certaine réalité en région, nous pourrions aussi bien argumenter que les citoyens d’Hérouxville et plusieurs parmi ceux qui ont voté pour l’ADQ sont déconnectés de la réalité multiethnique, progressiste de Montréal, laquelle s’imposera de plus en plus comme la réalité, du fait de l’immigration importante qui modifie chaque année un peu plus le paysage démographique du Québec.

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(1) Rioux, Christian. « Le retour du bâton ». Le Devoir [En ligne]. (Vendredi, 23 mars 2007) (Page consultée le 28 mars 2007)

(2) J’emploie motif pour désigner un mot ou groupe de mots exprimant une idée, une qualité, désignant un lieu, un fait... Comme dans une composition musicale, le motif n’a ici de valeur qu’en fonction des autres motifs auxquels ils renvoient. C’est-à-dire que n’ayant pas de valeur en lui-même – c’est là le point important – il ne requiert ni explication ni justification et donc échappe d’emblée à toute remise en question, toute distanciation de la part du lecteur. Un nouveau motif amené dans un texte permet d'en relancer l’argumentation, de la complexifier par le jeu des renvois aux autres motifs, et ainsi de créer une réseau, comme une toile de laquelle le lecteur aura de la difficulté à s’extirper.

(3) Un paradigme regroupe ici un ensemble hétérogène de motifs sous l’unité d’une même notion, soit, dans un cas l’irréalité, opposée bien sûr à l’autre paradigme, celui de la réalité.

mardi, mars 27, 2007

22 mars : Journée mondiale de l'eau... et Hérouxville

Le 22 mars, Journée mondiale de l’eau. Une occasion pour rappeler certains faits troublants. Le thème de cette année a justement pour titre : « Faire face à la pénurie d'eau ».

Cette pénurie, qui n’a pas soulevé l’ombre du cul d’un début de commentaire de nos chefs en campagne électorale, campagne exclusivement axée sur nos thèmes locaux, à l’image de la société peu ouverte que nous sommes encore, obsédée par tout ce qui s’appelle niqab, hijab et autres foulards islamiques, cette pénurie, donc, « touche [pourtant] aujourd’hui environ 700 millions de personnes dans 43 pays et ce chiffre pourrait dépasser 3 milliards d’ici à 2025. » ! (1) Ce qui fait dire à Jacques Diouf, directeur général de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) qu’il s’agit de « l’enjeu du XXIème siècle » (2)

Et comment. L’accroissement de la population mondiale entraînera des besoins également croissants en eau. Ces besoins cependant seront durement confrontés à des sécheresses plus fréquentes, du fait du réchauffement climatique, lequel en outre intensifiera « les orages et les inondations qui détruisent les cultures, polluent l'eau douce et endommagent les installations de stockage et de transport de cette eau. » (3)

L’eau, qui est déjà l’enjeu de plusieurs conflits, comme au Soudan, au Moyen-Orient, sera la source, si j’ose dire, de tensions politiques sans précédent à l’échelle internationale, multipliant le nombre de déplacés, de réfugiés. Le nombre de demandes d’asile suivra évidemment la même évolution.

Les gens de Hérouxville, à l’instar de certains blogueurs ici, grands producteurs de gaz à effet de serre comme à peu près tous les Québécois, contribuent à un problème humanitaire -- 50 millions de réfugiés climatiques d’ici 2010 selon le GIEC -- dont ils refusent d’être la solution. Ces Québécois d’une autre époque viennent de se réveiller et de prendre conscience qu’ils vivaient dans une société régie par des lois progressistes, ouvertes à la multiethnicité et à la complexité du monde, et ils capotent. Ils se ruent sur leur ordinateur, sur leur téléphone et, dans un souffle rageur, crachent une volée de menaces au directeur-général des élections.

Le XXIème siècle est bel et bien commencé.

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(1) Centre de nouvelles ONU. « Journée mondiale de l'eau : 425 millions d'enfants dans le monde confrontés à des pénuries ». ONU [En ligne]. (Vendredi, 23 mars 2007) (Page consultée le 23 mars 2007)

(2) Centre de nouvelles ONU. « FAO : la pénurie d'eau croissante nécessite un sursaut, à commencer par de meilleures pratiques agricoles  ». ONU [En ligne]. (Vendredi, 23 mars 2007) (Page consultée le 23 mars 2007)

(3) Idem.

lundi, mars 19, 2007

Le blogue : un acte de réappropriation démocratique

Je me suis assez exprimé ici quant à cette déconcertante et affligeante vogue des blogues et autres espaces de diffusion de la parole. Une autre perspective m’a cependant été offerte dans l’extrait suivant d’un article consacré à la célèbre philosophe Hannah Arendt :

« En tant que citoyens, nous occupons paradoxalement une place restreinte, voire presque inexistante, dans la campagne électorale. Il y a bien quelques endroits où nous pouvons nous exprimer (lettres d'opinion, tribunes téléphoniques, etc.), mais nous sommes principalement des spectateurs plutôt que des acteurs. Notre participation, si c'en est une, prend surtout la forme d'un pourcentage dans le sondage des intentions de vote. » (1)

Se pourrait-il que, par l’Internet, comme le suggère d'ailleurs un article de Paul Cauchon (2), les citoyens se réapproprient l’espace public confisqué par les médias de masse qui décident, selon des critères qui nous échappent, qui sera vu et entendu et qui ne le sera pas ?

Ce que j’associais à une réaction infantile, égotiste et parfois même narcissique, témoignerait aussi bien d’une certaine maturité démocratique...

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(1) Di Croce, Marianne. « Le Devoir de philo - Hannah Arendt entre la campagne électorale et la Nuit de la philosophie ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi 17 et dimanche 18 mars 2007) (Page consultée le 18 mars 2007)

(2) Cauchon, Paul. « Lassitudes, dites-vous ? ». Le Devoir [En ligne]. (Lundi, 19 mars 2007) (Page consultée le 19 mars 2007)

Lire aussi :

-- « Nos ego en quête de reconnaissance ». 4 mai 2006

samedi, mars 17, 2007

Un « équilibre » entre développement économique et protection de l'environnement

« Tous les Canadiens désirent un équilibre entre la croissance économique et la protection de l'environnement, a dit M.Harper. L'atteinte de cet équilibre est le défi fondamental de notre époque. » (1)

Combien de fois avons-nous entendu cet argument ? Je ne les compte plus. Argument, remarquez, qui est toujours celui des détenteurs du pouvoir, les Stephen Harper, les Jean Charest, les yes men de l’industrie pétrolière, forestière, agro-alimentaire... Tout ce beau monde veut nous faire croire à un système économique déséquilibré car assujetti à des impératifs de protection de l’environnement excessifs qui nuisent au développement.

Non mais... ! Est-ce qu’il en faut du culot pour soutenir pareil mensonge ?! Il ne se passe pas une semaine, pas une crisse de semaine, sans que les médias nous rapportent tels résultats d’une étude scientifique faisant état d’une dégradation critique de tel type d’écosystèmes, comme les mangroves, ou de la possible disparition de telle espèce animale, comme l’ours polaire, le corail, ou végétale, comme l’ail des bois ; pas une semaine sans que le bilan des destructions ne s’alourdissent. Dans toutes les régions du Québec, comme partout ailleurs sur la planète, des organismes naissent de la volonté de simples citoyens, mus comme par un instinct millénaire, de défendre leur environnement, un tronçon de rivière ici, un lac, un marais là, sans parler des mobilisations générales comme dans le cas du Suroît, du parc du mont Orford...

Il est là le déséquilibre, dans ce système qui protège les acquis corporatistes et non pas les espèces vulnérables, au nombre desquelles nous figurerons peut-être un jour, système prédateur et aveugle.

Cette phrase, c’est le baiser de Judas de nos ministres, c’est la preuve de leur traîtrise. En cette période électorale, il importe de la garder à l’esprit.

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(1) « Harper annonce 156 millions $ pour l'environnement en Alberta ». L’actualité.com [En ligne]. (Jeudi le 8 mars 2007) (Page consultée le 15 mars 2007)

lundi, mars 12, 2007

Désir d'« achèvement » au fond de la conscience québécoise

Dans le Devoir de cette fin de semaine, Louis Cornellier citait le sociologue Jacques Beauchemin :

« La victoire du PQ, écrit-il, est loin d'être acquise et, le cas échéant, la perspective d'un référendum gagnant ne l'est pas plus. S'il accorde néanmoins son vote au PQ, c'est simplement qu'il veut signifier, par ce petit geste et ‘ par-delà toutes les considérations stratégiques du monde, [...] le vieux désir d'achèvement qui est au fond de la conscience historique québécoise ’ et qu'il se sent ‘ le devoir de prolonger ’ » (1)

Que j’aime cette phrase : le vieux désir d'achèvement qui est au fond de la conscience historique québécoise. Surtout ce mot : achèvement, du verbe achever, qui veut dire : « Apporter le dernier élément nécessaire pour que se réalise pleinement un état, un fait », mais aussi, tiens, tiens : « Porter le coup de grâce à (une personne, un animal) » (Petit Robert).

Ce mot, donc, résume à lui seul le dilemme québécois : souveraineté ou fédéralisme, affirmation collective et assomption d’une indenté nationale, ou minorisation, dissolution dans la totalité canadian.

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(1) Cornellier, Louis. « Les intellectuels rejettent le populisme adéquiste et le conservatisme libéral ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi le 10 et dimanche le 11 mars 2007) (Page consultée le 12 mars 2007)

dimanche, mars 11, 2007

Calcul des émissions de CO2

Pour faire suite à mon récent billet sur le réchauffement climatique, j’ai trouvé sur l’Internet un site très intéressant, celui de l’organisme Action carbone, qui permet de calculer nos émissions de CO2 à partir de données sur nos déplacements et notre consommation d’énergie à la maison.

J’ai donc fait un test. J’ai inscrit que ma voiture – en vérité je n’en ai pas – consommait 10 litres aux 100 kilomètres, ce qui correspond à la consommation urbaine d’une sous-compacte de 4 cylindres (1), telle une Cobalt, ou une Ion, le genre de voiture que les Québécois utilisent. Pour le kilométrage annuel, j’ai été plutôt conservateur, et inscrivant 20000 kilomètres.

Résultat : ma voiture émet « 4848 kgEqCO2 » (2), « soit 2,6 fois ce que la terre peut supporter par personne par an pour stopper l’accroissement de l’effet de serre » ! Aïe, aïe, aïe ! Et je n’ai même pas encore ajouté la consommation d’énergie à la maison !

Ce simple exercice suffit à montrer l’ampleur de notre surconsommation d’énergie, sous toutes ses formes : électricité, huile, mazout, essence, kérosène, mais aussi – ce dont ne tient pas compte Action carbone -- produits manufacturés, aliments, services divers...

Notre planète ne peut en effet absorber que 1,8 tonne EqCO2 par personne par an, principalement par les océans et par la croissance de la végétation.

Une fois calculées nos émissions annuelles, Action carbone nous propose de les « compenser » en faisant un don correspondant au prix, sur les marchés internationaux, de la tonne de CO2. L’argent ainsi récolté pourra servir, par exemple, à financer des projets de capture de CO2 par la végétation (reforestation en Colombie ou au Chili) ou d'énergies renouvelables (réservoirs à biogaz en Chine, panneaux solaires au Brésil).

On trouvera plusieurs autres sites du genre, dont certains au Canada anglais. (3)

Au Québec, je n’en ai trouvé qu’un seul : le Centre québécois d'actions sur les changements climatiques. Et encore... Pour le calcul des émissions, nous sommes acheminés au site d’Équiterre, où finalement, après avoir entré nos données de consommation, nous découvrons qu’il n’y a pas moyen de compenser financièrement nos émissions et d’obtenir en retour un crédit d’impôt, comme cela se fait en France.

Par ailleurs, gardons à l’esprit cette remarque d'Actu-Environnement voulant que la « compensation volontaire des émissions de GES [doive] être considérée comme un mécanisme additionnel dans la lutte contre le réchauffement climatique offert aux entreprises, aux institutions et collectivités ou aux particuliers. Elle se positionne [tout au] bout de [la] chaîne [...] des solutions à proposer quand toutes les solutions d’efficacité énergétique ont été envisagées, quand tous les efforts de réduction des émissions ont été faits soit par l’amélioration des technologies, soit par le changement des comportements. » (4)

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(1) Selon le Guide de consommation de carburant, de l’Office de l’efficacité énergétique du Canada.

(2) Cette unité de mesure peut se lire : « kilogrammes-équivalent-CO2 ». Tous les gaz à effet de serre (GES) ne contribuent pas également au réchauffement climatique. Le méthane par exemple est 22 fois plus puissant que le CO2 ; le protoxyde d’azote, 320 fois ! Autrement dit un kilogramme de protoxyde d’azote émis dans l’atmosphère « équivaut » ou a le même effet que 320 kg de CO2 ! Le CO2 sert d’unité de mesure internationale dans le calcul des émissions de GES.

(3) Le site web de la Fondation David Suzuki en fournit une liste assez complète.

(4) Seghier, C. « L’ADEME veut harmoniser les pratiques des compensateurs d'émissions de gaz à effet de serre ». Actu-Environnement [En ligne]. (Lundi le 26 février 2007) (Page consultée le 9 mars 2007)