Rechercher dans ma chambre

mercredi, juin 23, 2010

Vingt ans après l'échec de Meech. Grosse fatigue

Une commémoration bien québécoise cette semaine : celle d’un échec. Il y a vingt ans, l’accord du lac Meech devenait « l’échec du lac Meech ». Moi-même, je me souviens, j’y étais opposé. Quand le député manitobain Elijah Harper a fait déraillé le processus de ratification de l’accord, j’ai poussé un grand « yes sir ! » bien senti. J’y voyais un événement favorable à la souveraineté du Québec que je croyais, à l’époque, encore possible. J’attendais, pour reprendre les mots de René Lévesque, notre « rendez-vous normal avec l’Histoire ». Ce rendez-vous n’a jamais eu lieu. De 1980 à 1995, nous avons donc vécu l’échec du premier référendum, puis l’échec de Meech, puis le rejet de l’entente de Charlottetown, puis l’échec d’un second référendum sur la souveraineté. Que peut bien vouloir dire aujourd’hui ce vers de Miron : « Un jour j’aurai dit oui à ma naissance » ? Plus rien. Le statut du Québec au sein du Canada demeure problématique. Mais, aussi bien, son rapport au monde. Qui sommes-nous ? Quelle est notre pertinence ? Que voulons-nous ? Être heureux avec notre nouveau iPad ? Si ce n’est que cela, alors pourquoi défendre notre langue ? Pourquoi freaker sur la question du voile islamique ? Que voulons-nous au juste préserver, perpétuer ?

Ces questions n’ont rien de rhétorique. Elles nous habitent comme des fantômes. Les fantômes d’un peuple qui se meurt à lui-même et au monde. Au point où désormais il doute de la plus fondamentale des évidences, celle d’être un peuple. Cette régression s’accompagne d’une perte implacable du pouvoir politique, lequel se concentre de plus en plus à Ottawa.

Une idée communément admise -- et si rassurante -- veut que l’échec de Meech et celui de Charlottetown aient consacré la victoire du statu quo. Il n’y a pas de statu quo possible. Le Canada continue d’évoluer suivant sa dynamique propre, vers un État unitaire, centralisé, indifférent à la spécificité québécoise et aux revendications qui découlent du désir – évanescent il est vrai – de la préserver. Il y a trois ans, le groupe TSX (qui détient la bourse de Toronto) achetait la bourse de Montréal, une transaction que certains médias ont pudiquement appelé « fusion ». Aujourd’hui, le gouvernement Harper s’entête à vouloir créer, contre l’avis de tous les experts, une commission des valeurs mobilières unique, au lieu des dix commissions provinciales actuelles, une attaque si brutale à l’autonomie des provinces que le gouvernement Charest a porté l’affrontement devant la Cour d’appel du Québec. Parallèlement, Harper, avec l’appui des libéraux de Michael Ignatieff, s’apprête à passer la loi C-12 qui ajoutera 30 nouvelles circonscriptions aux 308 que compte actuellement le pays : 18 iront à l’Ontario, 7 à la Colombie-Britannique, 5 à l’Alberta et… aucune au Québec. Rappelons que c’est le Québec qui, aux dernières élections, a empêché le Parti conservateur d’obtenir une majorité à la Chambre des communes. Il s’agit donc pour Harper de faire en sorte de pouvoir désormais se passer de nos votes, une stratégie qui profitera aussi au Parti libéral du Canada. Pour occulter notre marginalisation, à laquelle participent sans broncher les quelques députés québécois des deux principaux partis fédéraux, il sera désormais interdit d’utiliser l’expression « Québécois de service » à la Chambre des communes.

Dans cette même perspective, il faut aussi rappelé le jugement controversé rendu par la Cour suprême du Canada, lequel a invalidé la loi 104 qui interdisait le recours aux « écoles passerelles » au Québec.

Ces quelques exemples n’ont pour but que d’illustrer les conséquences de notre démission collective, de notre régression dans la recherche d’un bonheur individuel, axé plus que jamais sur la consommation infantilisante, aliénante et dénuée de sens. Vingt ans après l’échec de Meech, notre refus de faire des choix affirmés qui nous définissent et nous ouvrent au monde, nous place en position vulnérable, défensive, face aux choix des détenteurs du pouvoir.

C’est peut-être là, dans cet démission, qu’il faut voir l’expression de ce que Hubert Aquin appelait, il y a plus de quarante ans déjà, notre  « fatigue culturelle ».