Rechercher dans ma chambre

samedi, septembre 27, 2008

À n'y rien comprendre

Deux articles publiés hier et aujourd'hui me laissent quelque peu confus. L'un, de Louis-Gilles Francoeur, rend compte de données divulguées par le Carbon Disclosure Project (CDP). Ces données, fournies par 385 des 500 plus grandes entreprises dans le monde de manière volontaire, sans vérifications indépendantes, coincident étrangement avec d'autres données recueillies sur une base beaucoup plus large par des spécialistes associés à l'ONU et publiées dans le Global Carbon Budget (GCB).

Voici ce qu'écrit Francoeur :

« Le taux d'accroissement des émissions anthropiques [de GES], qui était de 0,9 % par année entre 1990 et 1999, est en effet passé, entre 2000 et 2007, à 3,5 % par année ». (1)

Voici les données du GCB, telles que rapportées dans Vision durable :

« La croissance annuelle des émissions était de 0,9 % entre 1990 et 1999, mais elle est passée à 3,5 % pour la période 2000 à 2007. Les émissions mondiales sont maintenant 38 % plus élevées qu’elles ne l’étaient en 1990, l’année de référence du Protocole de Kyoto ». (2)

Cette coïncidence est pour le moins suspecte. Il est à se demander si Francoeur ne s'est pas trompé quelque part. Son article fait mention de 1,5 gigatone de GES émis par la déforestation, qui n'est pourtant pas abordée dans le rapport 2008 du CDP.

En outre, comment des données identiques peuvent-elles exprimer des tendances aussi contradictoires ? Chez Francoeur :

« En effet, l'augmentation globale constatée par le regroupement des multinationales s'accompagne d'une nette réduction de l'intensité des émissions, ce qui veut dire qu'on produit des biens et services aujourd'hui avec moins de carbone. Mais comme les activités et la production des biens se multiplient, le total des GES augmente en chiffres absolus. Ainsi, en 1970, on utilisait 0,35 kg de carbone par dollar de PNB, alors qu'aujourd'hui on utilise 0,20 kg de carbone pour le même produit économique ».

Dans Vision durable :

« Environ 17 % de la hausse des émissions serait imputable au recul de l’' efficacité-carbone ' de l’économie, c’est-à-dire qu’il faut émettre aujourd’hui plus de GES pour obtenir un dollar de PIB qu’en 2000 ».

À n'y rien comprendre.

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(1) Francoeur, Louis Gilles. « Gaz à effet de serre - Les émissions dépassent les prévisions les plus pessimistes, selon des multinationales ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi 27 et dimanche 28 septembre 2008) (Page consultée le 27 septembre 2008)

(2) Beauchamp, Alexis. « La croissance des GES dépasse les prévisions les plus pessimistes ». Vision durable [En ligne]. (Vendredi 26 septembre 2008) (Page consultée le 27 septembre 2008)

vendredi, septembre 26, 2008

Vote stratégique

Devant la menace d'un gouvernement conservateur majoritaire, l'idée de « vote stratégique » fait son chemin. Il s'agit, pour chaque électeur, de voter non pas nécessairement pour son candidat préféré mais pour celui qui, dans sa circonscription, est le plus susceptible de battre le candidat conservateur.

Mais comment choisir entre le candidat du Bloc, du NPD, du PLQ ou des Verts ?

Un site très utile vient d'être créé pour répondre à cette épineuse question. Voter pour l'environnement couvre l'ensemble du territoire canadien. Vous choisissez votre circonscription ou, si vous ne la connaissez pas, vous entrez votre code postal, et vous obtenez toute l'information nécessaire.

Par exemple, dans Louis-Hébert, une circonscription de la région de Québec où les conservateurs sont populaires, Voter pour l'environnement vous donne d'abord la liste des candidats, puis sa suggestion :

« Ce sera une chaude lutte, mais bien que le conservateur n'ait gagné que par 231 votes lors de la dernière élection, il a triplé les appuis conservateurs. Aucun autre parti n'a de chances de remporter et les analyses démontrent que la division des votes pro-environnement assure une victoire conservatrice. Nous recommendons donc de voter pour le Bloc ».

Dans une autre circonscription, c'est un libéral qui sera recommandé, dans une autre, un néo-démocrates ou un Vert. Ce qui importe, c'est de battre la clique des radicaux de Harper.

jeudi, septembre 25, 2008

Harper, à l'exemple de Bush

Deuxième texte de trois.

Jamais le Canada n'a été dirigé par un parti politique inspiré d'une idéologie de droite aussi radicale. À l'époque de Mulroney ou Joe Clark, le Parti conservateur (PC) présentait un tout autre visage, plus modéré, plus près du centre, là où se tient la majorité des Canadiens à l'exception des Albertains. C'est d'ailleurs dans la province du pétrole et du pick-up qu'est né dans les années 1990 le Reform party de Stephen Harper qui aujourd'hui contrôle le PC. On compare souvent ces nouveaux conservateurs aux républicains de George Bush. Avec raison.

D'abord, ces deux formations ont accédé au pouvoir de manière très controversée, à la suite de manoeuvres frauduleuses. Malgré le déni de Harper et sa gang, Élections Canada persiste et signe : une soixantaine de candidats du PC ont bel et bien enfreint les règles de financement lors de la dernière campagne électorale, et ce, d'une manière concertée pour permettre à leur formation politique de dépenser plus que ses adversaires. Et le chien de garde des élections se défend d'être partisan : contrairement à ce que Stephen Harper prétend, aucun autre parti politique n'a utilisé les mêmes stratagèmes.

Mais il y a bien plus que la manière. L'alignement idéologique sans précédent sur Washington crève les yeux en matière de politique étrangère. De l'avis de Jean Daudelin, professeur en relations internationales à l'université Carleton, l'insistance sur la mission afghane en est une manifestation, tout comme le fait de souligner, fin mai 2008, « le Jour de solidarité avec le peuple cubain », une invention de Washington qu'aucun autre pays n'a reprise à son compte.

Titulaire de la chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatique, Charles-Philippe David est du même avis : « Depuis l'arrivée au pouvoir de ce gouvernement, le Canada calque de façon plus marquée ses positions sur celles des Américains ». Il cite, entre autres, le dossier israélo-palestinien. Le Canada a toujours soutenu Israël mais « se faisait le promoteur du dialogue, de la négociation, du compromis », dit-il. Lors de la guerre au Liban à l'été 2006, il s'est toutefois rangé clairement du côté d'Israël et a été un des premiers gouvernements à suivre la ligne dure avec le gouvernement élu du Hamas.

La réputation et l'influence du Canada dans l'arène multilatérale y perdent au change, croit Michael Byers. « Remettre en question nos engagements en matière d'environnement ou de droits autochtones et se lier trop étroitement aux Américains minent notre influence » (1)

En ce qui a trait à l'Afghanistan, il faut souligner en outre que les soldats canadiens y mènent des opérations offensives qui n'ont plus rien à voir avec le rôle pacificateur instauré il y a près de 50 ans par Lester B. Pearson. Les Canadiens croient que c'est encore ce rôle-là que jouent leurs soldats, malgré que 100 d'en eux ont été tués en combattant les talibans. À quoi servent tous ces morts ? Selon le général de brigade Mark Carleton-Smith, le plus haut gradé britannique en Afghanistan, il n'y aura pas de « victoire militaire décisive » dans ce pays, ce serait « irréaliste » de l'espérer. Pourquoi, par conséquent, ne pas privilégier la négociation, le soft power plutôt que le hard power ?

Autre point de convergence Harper-Bush : la politique d'immigration, avec le projet de loi C-50. Celui-ci est vivement contesté, non par l'opposition partisane, mais bien par l'Association du Barreau canadien qui presse le gouvernement fédéral de revoir les amendements prévus à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, amendements qu'elle qualifie de « sérieux recul » pour le Canada. Encore une fois, l'influence des républicains américains est manifeste. Les conservateurs s'orientent vers une politique semblable à celle qui, à une autre époque, interdisait aux juifs, aux Chinois et aux Noirs l'accès au territoire canadien. Dans le même esprit, Amnesty International notait cette semaine qu'Ottawa « n'a jamais pris clairement position contre le centre de détention de Guantanamo » et que le Canadien Omar Khadr demeure le seul Occidental à y être encore détenu. (2)

Enfin, comment ne pas parler d'environnement. Harper a refusé de participer à un débat portant exclusivement sur cette question. Et pour cause ! En seulement deux ans au pouvoir, les conservateurs ont réussi à isoler le Canada sur la scène internationale. Dans une étude récente de l'OCDE portant sur 25 indicateurs environnementaux, le Canada figure au 28e rang sur 29 en raison de l'inefficacité de ses politiques environnementales. (3)

Aligné sur le refus de Bush, Harper a contribué à saper les efforts internationaux en vue d'arriver à Carthagène à un accord sur les OGM, et, à Nairobi, sur un plan international de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Dès son arrivée au pouvoir, il a jeté aux ordures -- il aurait pu au moins le recycler ! -- le « plan vert » des Libéraux, supprimant bêtement tous les programmes de réduction des émissions de GES. La raison ? Toujours la même, que ce soit en matière de culture ou d'environnement : ces programmes n'étaient pas « efficaces ». Des évaluations indépendantes montraient pourtant que ce n'était pas le cas. À la place, le ministre de l'Environnement Baird a présenté un plan concocté sur mesure pour les pétrolières de l'Alberta qui pourront poursuivre leur saccage environnemental sans se soucier du réchauffement climatique.

Pendant ce temps, l'État du Bihar, en Inde, se noie sous des mètres d'eau pluviale, « la plus grande calamité nationale de l'histoire récente » selon les autorités indiennes. Même scénario en Afrique de l'Ouest. En Haïti, quatre ouragans se sont déchaînés sur le pays, quatre ! L'un après l'autre, en quatre semaines, sans donner aux populations la moindre chance de se relever. Du jamais vu. Dans la Corne de l'Afrique, au contraire, c'est la sécheresse. Des millions de victimes. Les phénomènes climatiques extrêmes se multiplient à la surface de la planète, une nouvelle expression vient même d'apparaître : « réfugiés climatiques ». Plus que jamais les Canadiens -- et les citoyens des pays qui attendent la solidarité canadienne -- ont besoin d'un gouvernement déterminé à stopper cette évolution. Et non pas d'un gouvernement qui leur offre effrontément une politique basée sur une réduction de l'« intensité » des émissions de GES. Une fumisterie qui, en outre, pénalise lourdement les entreprises québécoises qui ont pris le virage Kyoto depuis déjà longtemps. (4)

À son arrivée au pouvoir, Harper ne croyait pas au réchauffement climatique qu'il percevait comme un complot de la gauche. Ses actions depuis deux ans prouvent qu'il n'a pas évolué d'un iota sur cette question et qu'il se trouve pour cette raison de plus en plus isolé sur la scène internationale... tout comme l'administration Bush.

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(1)  Cornellier, Manon. « Harper, ministre des Affaires étrangères ? ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi 31 mai et dimanche 1er juin 2008) (Page consultée le 24 septembre 2008)

(2) « Le leadership du Canada s'est ' érodé ', selon Amnesty ». cyberpresse.ca [En ligne]. (Mercredi 24 septembre 2008) (Page consultée le 24 septembre 2008)

(3) Francoeur, Louis-Gilles. « Un climat plus chaud rendra le pays plus vulnérable ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi 8 et dimanche 9 mars 2008) (Page consultée le 24 septembre 2008)

(4) Plusieurs grandes entreprises québécoises ont réduit leurs émissions de GES au-delà de la cible fixée par le protocole de Kyoto, qui est de 6 % sous le niveau de 1990. Si ces entreprises avaient accès au marché international d'échanges de droits d'émissions de GES, elles auraient reçu pour ces réductions supplémentaires des « crédits de carbone » qu'elles auraient pu vendre à fort prix aux entreprises qui, elles, n'ont pas atteint leurs cibles de réduction.  Ainsi, ces entreprises québécoises exemplaires auraient pu rentabiliser leurs coûteux investissements dans des technologies moins polluantes et améliorer leur compétitivité. Mais voilà, les conservateurs empêchent ces dernières d'avoir accès à ce vaste marché en pleine expension. En lieu et place, Baird a créé un marché strictement canadien, où les crédits de carbone se vendent bien moins cher. Les entreprises québécoises sont donc doublement pénalisées, car non seulement leurs crédits de carbone perdent de la valeur, mais en plus elles ne peuvent obtenir de crédits pour les réductions d'émissions de GES antérieures à 2006, qui est la nouvelle année de référence au Canada. Quand on pense que le secteur de l'aluminium a déjà réduit ses émissions à 20 % sous leur niveau de 1990, et l'industrie manufacturière québécoise, elle, à 8,5 % sous le même niveau, on conclut que des millions de dollars sont arrachés au Québec et redistribués aux entreprises les plus polluantes comme les pétrolières. Le plan Baird, jusque dans ces moindres détails, cherche à épargner les plus grands pollueurs et, du coup, freine l'innovation et nuit à la compétitivité des entreprises qui veulent agir en faveur du climat.

Lire aussi :

« Reconnaissance du Québec comme nation ». 16 septembre 2008

samedi, septembre 20, 2008

Rions de Harper !

Près de 200 000 internautes ont déjà vu ce vidéo absolument hilarant, intitulé Culture en péril. Harper coupe dans la culture, et c'est le Québec qui est le plus affecté par cette décision idéologique et stupide. L'heure et à la mobilisation. Rions ! Et allons voter le 14 octobre !

mardi, septembre 16, 2008

Reconnaissance du Québec comme nation ?

La campagne qui s'amorce se distinguera par le fait qu'elle sera la première en quarante ans à ne pas faire une place centrale au débat sur la relation du Québec avec le reste du Canada (ROC). Les temps changent. Ils changent tellement que Stephen Harper est aussi populaire au Québec que Gilles Duceppe. Ayoye ! Pincez-moi que'qu'un !

En réaction j'ai donc écrit le texte qui suit, un collage d'extraits d'articles du Devoir. Il s'agit du premier volet d'un survol des deux années de gouvernement Harper. Il est question ci-dessous de la reconnaissance de la nation québécoise. Le deuxième volet aura trait à la politique étrangère ; le troisième, à la censure.

Reconnaissance du Québec comme nation ?

Un peu plus de la moitié des Québécois se déclare satisfait du gouvernement Harper. Ce n'est pas rien. Le premier ministre a réussi à nous faire croire qu'il est un allié des nationalistes, cela en contrôlant comme jamais auparavant l'information et en y allant de gestes ponctuels sans conséquence. Ainsi, la reconnaissance par le parlement fédéral du Québec comme nation au sein du Canada. Il convient d'abord de rappeler que l'initiateur involontaire de geste d'ouverture est Michael Ignatieff qui, lors de la course au leadership du Parti libéral du Canada l'année dernière, avait violer LE tabou politique au sein du ROC en lançant devant 1,5 million de téléspectateurs :

Mais bien sûr que le Québec forme une nation.

Aïe, aïe, aïe ! Grand émoi à Ottawa. Confusion chez les libéraux, Stéphane Dion sur la défensive alors que le Bloc passe à l'offensive. C'est finalement Harper qui a mis fin à la cohue en faisant voter une motion reconnaissant le Québec comme nation.

Mais que veut-elle dire, cette reconnaissance ?

Le Bloc québécois a saisi la balle au bond en présentant des projets de loi pour tester le sérieux de Harper. Ces lois -- si elles avaient été votées -- auraient permis d'assujettir les entreprises québécoises sous juridiction fédérale (port, aéroport, banques, par exemple) à la loi 101, de soustraire le Québec à la Loi sur le multiculturalisme ou encore de lui donner la maîtrise d'oeuvre en matière de télécommunications.

Cette reconnaissance n'a qu'une portée symbolique faible qui ne change rien aux préjugés profondément enracinés. Rappelons que Harper a déjà été président de la National Citizens Coalition qui finançait les efforts de Brent Tyler pour tailler en pièces la loi 101 devant les tribunaux. Reportons-nous également à l'époque où Stéphane Dion, alors ministre dans le gouvernement Chrétien, a créé la controversée Loi sur la clarté. Ce qui est peu connu, c'est que cette loi tant détestée ici est beaucoup inspirée d'un projet que M. Harper avait lui-même présenté en octobre 1996. Ce qui n'empêchait pas les deux hommes d'avoir des vues diamétralement opposées sur la nature du nationalisme québécois. Dans un échange épistolaire publié dans le Calgary Herald à la même époque, M. Harper parlait de nationalisme ethnique et de xénophobie, M. Dion soutenait que la société québécoise était aussi ouverte que la société canadienne dans son ensemble. Il soulignait également que les lois linguistiques québécoises étaient plus souples et plus libérales que leur équivalent dans d'autres sociétés multilingues progressistes, comme la Suisse, la Belgique ou la Finlande.

Qui aurait pu croire ? Harper plus anti-Québec que Dion ! Le premier ministre que l'on voit aujourd'hui a beau cultiver une image d'ouverture, mais son attitude fermée et étroite transparaît dans tous les dossiers qui nous importent ici.

Un autre exemple nous a été fourni cet été. Il touche à l'histoire même des Canadiens français en Amérique. Le journaliste Christian Rioux faisait remarquer que des sommes considérables ont été investies depuis une décennie par Ottawa dans le dessein évident de faire de l'ombre au 400e anniversaire de Québec et donc à Champlain. C'est ainsi qu'on a vu, comme par hasard, se multiplier les colloques en France et au Québec destinés à promouvoir, non pas la fondation de Québec en 1608, mais cellede l'Acadie en 1604 ; non pas Champlain le catholique, mais Pierre Dugua de Mons le protestant, qui créa un premier établissement malheureux à l'île Sainte-Croix et commandita la fondation de Québec.

À Ottawa, les débats sur l'histoire du Canada ont continué, alors que le Bloc québécois dénonçait le contenu d'une publication de Patrimoine Canada. Intitulée La Couronne canadienne -- La monarchie constitutionnelle au Canada, cette publication avance que le Canada a eu un monarque depuis le début du XVIe siècle, soit le roi Henri VII d'Angleterre (1485-1509) et le roi François 1er (1515-1547), en fait deux monarques simultanément. Cette double monarchie se serait maintenue jusqu'à la Conquête, écrit Patrimoine Canada. Le député du Bloc, Michel Guimond, a qualifié cette thèse de « réécriture surréaliste de l'histoire ». Le secrétaire d'État au Multiculturalisme et à l'Identité canadienne, Jason Kenney, a indiqué qu'il allait vérifier, mais que l'histoire canadienne, selon la conception du gouvernement Harper, commençait avec les premiers voyages des explorateurs français et anglais. (1)

Ce débat n'est pas superficiel : dire que les premiers explorateurs français ont fondé le Canada tel qu'on se le représente aujourd'hui, dominé par la culture anglo-saxonne, c'est affirmer dans le même souffle qu'il n'y a pas de nation québécoise.

Cettenégation effective de notre existence apparaît àtravers de nombreuses politiques du gouvernement Harper. Pour n'ennommer que quelques unes :

-- Pouvoir fédéral de dépenser et repect des compétences provinciales. Certains observateurs font remarquerque, contrairement à ce qu'il prétend, le gouvernement Harper a enfreint à plusieurs reprises les principes du partage des pouvoirs. Notamment en matière de santé, une compétence exclusive des provinces, le fédéral a créé la Commission canadienne de la santé mentale ; il a mis sur pied une fiducie de 300 millions de dollars pour un programme de vaccination des femmes contre le virus du papillome humain ; il a créé le Conseil national des aînés ; il finance depuis 2006 le Partenariat canadien contre le cancer ; il finance une Stratégie canadienne en matière de santé cardiovasculaire. Pour plusieurs de ces nouvelles structures, le Québec réclame sa part de financement qui lui permette de créer ses propres programmes.

-- Déséquilibre fiscal. En dépit des prétentions des conservateurs, ce dossier n'est toujours pas réglé. La nouvelle méthode de calcul de la péréquation instaurée sous les libéraux prive le Québec de 200 millions de dollars par année. Ce n'est pas rien. De plus, fait encore plus significatif, Ottawa continue d'accumuler les surplus budgétaires alors qu'ici, le gouvernement Charest a toutes les misères du monde à cacher les déficits récurrents des comptes publics. Or, sans ressources financières suffisantes, le Québec ne peut affirmer son « caractère distinct », son identité, doit gérer à la petite semaine des programmes de moins en moins généreux, de plus en plus « conservateurs », tournés vers des « PPP »... Comment ne pas se rappeler a contrario que la Révolution tranquille s'est accompagnée d'un accroissement considérable des dépenses publiques. Sans ces dépenses, nous n'aurions peut-être pas eu la « castonguette », et certainement pas les cégeps et le réseau de l'Université du Québec. Sans ces dépenses, nous n'aurions pas pu nous réinventer.

-- Fédéralisme centralisateur. Le pouvoir fédéral de dépenser et le déséquilibre fiscal sont le fait d'un fédéralisme centralisateur qui convient parfaitement aux conservateurs. Ceux-ci n'ont absolument pas l'intention de céder des pouvoirs aux provinces. Plutôt le contraire. Le dernier budget Flaherty a réservé « une grande déception » à la présidente du conseil du trésor, Mme Jérôme-Forget, selon son propre aveu : la création d'une commission des valeurs mobilières unique. Un comité doit être formé pour rédiger la loi qui impose cette commission pan-canadienne. Or, aucune province, sauf l'Ontario, n'en veut de cette commission. Toutes les études démontrent qu'elle serait nuisible. Mais Ottawa en fait une véritable obsession : centraliser à Toronto le commerce des valeurs mobilières, qui est, rappelons-le, de compétence exclusivement provinciale.

-- La culture. En matière culturelle, c'est le même esprit qui règne. Une forme de « souveraineté culturelle » pour le Québec : c'est ce que le premier ministre Jean Charest a réclamé, le 12 septembre, en ce début de campagne électorale fédérale marqué par des manifestations d'artistes opposés aux coupes de 44 millions du gouvernement Harper en matière culturelle. M. Charest, qui considère les coupes fédérales comme une atteinte à l'identité et à l'économie du Québec, a insisté lourdement sur le fait que le Québec « est le seul endroit francophone en Amérique et qu'il dispose d'une culture qui est très riche, très spécifique ». À ses yeux, une entente pour redonner au Québec sa pleine autonomie en matière culturelle, est une « question de bon sens » puisque, en pratique, le Québec obtenait près de 50 % des 44 millions supprimés par Josée Verner, la ministre du Patrimoine. (2)

Réponse de Harper :

No way.

Inutile de dire que la rencontre fédérale-provinciale des ministres de la Culture, prévue pour les 24 et 25 septembre à Québec, n'aura pas lieu : la ministre Josée Verner n'entend pas s'y présenter.

Le comité du Patrimoine de la Chambre des communes a lui aussi été muselé. Il ne pourra pas, comme le permet son mandat, étudier les coupes dans le financement de la culture.

Le Canada était pourtant déjà, et de très loin, le cancre de la classe internationale des pays riches, avec sa médiocre diplomatie culturelle. Pour fin de comparaison, mentionnons que le British Council consacre maintenant plus d'un milliard par année à ces affaires culturelles internationales ; le réseau du Goethe-Institut emploie 3300 personnes en Allemagne et dans 90 pays ; la France déploie plus de 150 établissements culturels dans le monde.

Les quelque 45 millions retranchés à 13 programmes touchent la préparation des expos muséales comme l'archivage et la mise en ligne d'oeuvres canadiennes, la formation des futurs scénaristes comme le soutien au développement de nouveaux marchés pour les produits culturels ou l'aide à la « chaîne d'approvisionnement » de l'industrie de l'édition. Le livre, la danse, les arts visuels : les coupes vont saigner à blanc tous les secteurs. Et c'est surtout, répétons-le, le Québec qui écope. Par exemple, en 2004-2005, 19 compagnies de danse québécoises ont effectué 29 tournées dans le monde, pour un total de 263 représentations données dans 15 pays. Une compagnie aussi renommée que La La La Human Steps va en souffrir, selon Édouard Lock, son célébrissime chorégraphe : « Les deux tiers de nos revenus proviennent de l'extérieur du Canada. Concrètement, ça veut dire que les fonds fédéraux ont un effet de levier : ils nous donnent accès à des subventions accordées par l'étranger à une compagnie canadienne. Sans cet argent de départ de l'intérieur, les fonds extérieurs risquent de disparaître. » (3)

Le gouvernement prétend que les programmes supprimés souffraient d'inefficacité chronique, sans toutefois pouvoir en fournir la moindre preuve. L'argument politique et diplomatique ne tient pas davantage. La mondialisation croissante comme la réalité du monde depuis les attentats de 2001 ont mis en évidence une certaine faillite de la diplomatie classique et du même coup l'importance d'établir des ponts -- plutôt que de fermer des portes -- entre les cultures et les civilisations. Le professeur de sciences politiques Joseph Nye, de l'Université Harvard, propose même de faire de la diplomatie culturelle un rouage central des relations internationales au XXIe siècle, ce que de plus en plus d'États mettent carrément en pratique.

La vérité, derrière ces coupes, est évidemment idéologique. En sabrant dans un programme de diplomatie culturelle tandis qu'il bonifie à coups de milliards les budgets militaires et les dépenses de sécurité, Harper favorise les relations coercitives plutôt que la diplomatie culturelle, le hard power plutôt que le soft power. De plus il bâillonne une voix qui propageait à travers le monde des valeurs trop progressistes, trop pluralistes et ouvertes pour son esprit réactionnaire, frileux et borné.

Voilà, concrètement, ce que nous donne notre reconnaissance en tant que nation. Pour faire illusion, Ottawa a ajouté un fonctionnaire à la délégation canadienne à l'UNESCO pour nous représenter.

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(1) Dutrisac, Robert et Porter, Isabelle. « 400e de Québec : Couillard corrige Charest ». Le Devoir [En ligne]. (Mardi, 13 mai 2008) (Page consultée le 16 septembre 2008)

(2) Robitaille, Antoine. « Charest réclame une souveraineté culturelle ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi, 13 et dimanche, 14 septembre 2008) (Page consultée le 16 septembre 2008)

(3) Baillargeon, Stéphane. « Haro sur la culture ' Made in Canada ' ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi, 30 et dimanche, 31 août 2008) (Page consultée le 16 septembre 2008)