Rechercher dans ma chambre

jeudi, janvier 12, 2012

Québec-Haïti

Depuis le temps que j’ai des préposées haïtiennes, j’ai pu remarqué les affinités entre le créole et le joual. Pas tant dans la musicalité, le créole ayant un rythme plus marqué, mais par certains mots : moué, mwen (en créole, en se prononce comme in en français) ; quin lé ben («  tiens-le bien »), ken ben li... Plus profondément, les deux langues sont nées de la pauvreté et de l’aliénation, ce qui aujourd’hui transparaît dans cette façon, commune aux Haïtiens et aux « Québécois », de se manifester de manière forte à travers le langage. Du moins est-ce ainsi que je le ressens.

La langue peut aussi devenir une question politique, comme nous le savons trop bien ici. Par exemple, cette interminable querelle entre tenants du français standard international et ceux que Lionel Meney appelle les endogénistes, tenants d’une langue standard québécoise distincte. (1) En Haïti, ils ont eu l’« authenticité, cette variante de l’indigénisme ». Je cite Le Cri des oiseaux fous, de Dany Laferrière :
Je suis imbibé de culture française  : raffinée, élégante, luxueuse, bien que la France ne soit pas bien vue en Haïti depuis quelque temps. La nouvelle génération veut retrouver ses racines. « Le  français est plutôt un carcan pour nous, disent mes copains. C’est une langue qui ne sert qu’à nous aider à grimper l’échelle sociale. On parle français pour faire savoir à notre vis-à-vis qu’on n’est pas n’importe qui. Maintenant, on veut autre chose d’une langue. Un rapport différent. Plus authentique. » Authenticité : le mot est lâché. Auparavant, le français ne servait qu’à bien montrer qu’on était allé à l’école, qu’on avait été formé par une culture universelle, qu’on était quelqu’un de civilisé. Maintenant, on veut autre chose. Quelque chose de plus proche de nous. On veut  aussi se retrouver entre nous dans une émotion vraie. On veut retrouver nos racines, notre  culture et d’abord notre langue. C’est le débat de ma génération. (2)
Plus que la langue, la politique, au Québec comme en Haïti, envahit tout l’espace culturelle. Toujours Laferrière :
Je veux respirer. J’étouffe, coincé entre mes camarades qui ne parlent que de la dictature et un pouvoir qui ne s’intéresse qu’à sa survie. (3) 
Dans un pays riche, le théâtre n’est que du théâtre, le cinéma est avant tout un divertissement, la littérature peut servir à faire rêver. Ici, tout doit servir à conforter le dictateur dans son fauteuil ou à le déstabiliser. La politique est le but de toute chose. Même moi, en ce moment,  je ne pense qu’à ça. Il n’y a pas moyen de sortir de ce cercle vicieux. (4)
Dans ce roman, Laferrière raconte les derniers moments de sa vie en Haïti. L’ironie du sort est que, lorsqu’il arrive ici en 1976, le pays traverse une crise politique, avec l’accession du PQ au pouvoir. Une crise qui aura durée une quarantaine d’années, durant lesquelles la politique a phagocyté tous les autres débats. Dans une de ses chroniques, justement intitulée «  Envie de partir  », Pierre Foglia exprime la même exaspération :
Au Québec on débat toujours de la même chose : de la séparation appréhendée du Québec. Quand on parle des immigrants, on ne parle pas des immigrants, on parle de fédéralisme et de séparatisme. Quand on parle de racisme, on ne parle pas de racisme, on parle de séparatisme et de fédéralisme. Quand on parle de banalisation de la Shoah, on parle encore de séparatisme et de fédéralisme. (5)
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Il y a exactement deux ans, Haïti vivait une drame inimaginable. Mon cœur et mes pensées demeurent avec ce peuple qui a beaucoup à nous apprendre, et à qui on doit bien plus que l’on croit.
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(1) Antoine Robitaille. « L’entrevue - Lionel Meney ou le cauchemar des endogénistes ». Le Devoir, 22 février 2010.
(2) Dany Laferrière. Le Cri des oiseaux fous. Éditions du Boréal, Montréal, 2010, pp. 38-39
(3) Idem. P. 66
(4) Idem. P. 69
(5) Pierre Foglia. « Envie de partir » La Presse, jeudi 21 décembre 2000

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