Cette année, comme en 2024, j'ai lu quarante-cinq livres. J'aurais atteint mon objectif de cinquante livres si un projet d'écriture n'avait pas accaparé mon temps, mes pensées, de la mi-octobre jusqu'au début décembre.
Donc, voici, par ordre chronologique, avec ou sans commentaire, les (re)lectures et (re)visionnements qui m'ont le plus marqué.
Romans, récits
Les derniers grizzlys, de Rick Bass. Nature writing. Il faut aimer le genre. Ce qui est mon cas.
La Charrette, et L'Amélanchier, de Jacques Ferron.
La Clé à molette, Primo Levi. L'idée ne me serait jamais venue d'associer Levi à un outil.
Monsieur Melville, de Victor-Lévy Beaulieu. Ma lecture de l'année. Un essai sur l'écrivain Herman Melville, une « lecture-fiction » de ses œuvres, dans laquelle Victor-Lévy Beaulieu cherche à saisir le personnage Melville de l'intérieur, se tenant au plus près de lui, jusqu'entre les lignes, tel un « médium », « pour lui arracher ses vérités ». Un essai « total » à travers lequel le biographe-lecteur, nommé Abel Beauchemin, alter ego de Beaulieu, cherche tout autant à se saisir lui-même, lui qui multiplie les marques d'identification à Melville, réunit son univers fictionnel d'écrivain au sien, sa Mattavinie imaginaire à Arrowhead où vécut l'auteur de Moby Dick de 1850 à 1863. Ainsi enfermé dans sa lecture, se voulant hors d'atteinte, Abel peut exprimer sa « sensibilité », ses tourments, ses échecs symptomatiques... Un grand voyage au cœur de l'œuvre melvillienne, au terme duquel Abel pourra entreprendre le récit familial de la « Grande Tribu » des Beauchemin. On mesurera mieux la réussite de Beaulieu si on compare Monsieur Melville au décevant La Part de l'océan, de Dominique Fortier. Le premier fait de Melville un modèle de réussite, alors que la seconde ne cache pas que la lecture de Moby Dick lui a été pénible. De plus, rebutée par l'univers mental de son auteur, trop sexiste, elle invente parallèlement une histoire compensatoire, incohérente, puérilement revancharde. Fait étonnant : Beaulieu accorde une place importante à la soeur de Melville, Augusta ; Fortier, pas un mot.
Bartleby le scribe, de Herman Melville. « I would rather not to ». Inoubliable.
L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, de Miguel de Cervantes. Voulant lire le second tome – trente ans plus tard ! – j'ai repris depuis le début.
Kolkhoze, puis L'adversaire, d'Emmanuel Carrère. Kolkhoze constitue une bonne introduction à l'œuvre d'Emmanuel Carrère. On y retrouve ses thèmes de prédilection (vérité, mensonge, réalité, secret, angoisse) qui sont aussi, pour la plupart, les miens ; on comprend pourquoi l'écriture au je y est si importante, tout comme le pacte de vérité. Je ne partage nullement l'opinion de l'ami Jodoin qui voit dans Kolkhoze un récit qui « traîne en longueur »...
« Un récit traversé par la rencontre de multiples figures illustres. Trop visibles. Majuscules. Ça nombarde et pavanomme à foison. »
Pour ma part, j'ai trouvé cette lecture très stimulantes ; comme Laferrière, Carrère éveille ma curiosité, me donne le goût de lire, me transmet une énergie intellectuelle qui éloigne de la complaisance narcissique, ouvre au monde extérieur. Sur le plan formel, l'œuvre est très réussie. Un art de raconter, par petites touches, par de courtes anecdotes, chacune faisant l'objet d'une section, pour un total de 222 sections. Une structure narrative basée sur la répétition de motifs divers : trois sections intitulées « Kolkhoze » ; quatre sections « Hôtel Ukraine » ; six occurrences de ce très significatif « clin d’œil curieux de l’Histoire à un couple du XXe siècle… » ; six occurrences du « coffret de bois » contenant une carte postale d’Hélène, etc. Ces répétitions laissent l’impression d’un récit qui revient sur ses pas, comme pour suggérer un temps circulaire qui s’opposerait au temps linéaire menant à la mort. Mais plus le récit s'achemine vers la fin, plus les sections sont courtes, le temps ralentit, et la mort approche, jusqu'à l'ultime moment, saisi au plus près : « On court, on se place tous les trois autour du lit, Marina à sa gauche, Nathalie et moi à sa droite. Anne a cru qu’elle ne respirait plus, mais elle respire encore une fois. Une seconde, après une très longue pause. La pause suivante dure. Nous sommes suspendus à son souffle, priant pour que ça ne reparte pas. Ça n’est pas reparti. Elle était morte. Samedi 5 août, 17 h 15, nous trois autour d’elle ». Il ne reste alors plus qu'un chapitre de trois sections, dont la dernière, magnifique, nous laisse avec le père, dans son ascension vers la borne de signalisation romaine ; un explicit tout en ouverture, qui nous rappelle que c'est le père qui porte la « dimension verticale de la vie », la mémoire, une certaine vérité. Le père et, à sa suite, le fils.
Essais
Le Monde d'hier, de Stefan Zweig.
L'Heure des prédateurs, de Giuliano Da Empoli. Mon essai de l'année.
C'était au temps des mammouths laineux, de Serge Bouchard.
Amerigo, de Stefan Zweig.
BD
Chroniques birmanes, de G. Delisle.
Persepolis 1, 2, 3 et 4, de Marjane Satrapi. Ma BD de l'année.
Films
Une Langue universelle , de Matthew Rankin. Winnipeg, une ville iranienne. Un film déjanté, truffé de références à Abbas Kiarostami
Où est la maison de mon ami, puis Et la vie continue, d'Abbas Kiarostami. Le film de Rankin m'a donné l'envie de revoir les deux premiers volets de ce que la critique a appelé la Trilogie de Koker.
Voici l'ensemble de mes (re)lectures et (re)visionnements de l'année, avec les liens pour plus d'information :
Janvier : Veiller sur elle (J.-B. Andrea) (Rn) (7), Si une nuit d'hiver un voyageur (I. Calvino) (Rn) (19), La Végétarienne (H. Kang) (Rn) (25), Chroniques birmanes (G. Delisle) (BD) (28) ; février : La Vallée des rubis (J. Kessel) (Rn) (2), Les Corrections (J. Franzen) (Rn) (17), Des bibliothèques pleines de fantômes (J. Bonnet) (E) (22) ; mars : Le Monde d'hier (S. Zweig) (Rn) (8), Mondes nouveaux (S. Zweig) (E) (10), Price (S. Tesich) (Rn) (19), Devenir fasciste (M. Fortier) (E) (26), Les Têtes réduites (J.-F. Nadeau) (E) (30) ; avril : Les Derniers grizzlys (R. Bass) (Rt) (6), Le Gang de la clef à molette (E. Abbey) (Rn) (21), Persepolis (M. Satrapi) (BD) (30) ; mai : Une Langue universelle (M. Rankin) (F) (5), Persepolis 2 (M. Satrapi) (BD) (5), Persepolis 3 (M. Satrapi) (BD) (8), Persepolis 4 (M. Satrapi) (BD) (10), Du trop de réalité (A. Le Brun) (E) (15), La Charrette (J. Ferron) (Rn) (16), Où est la maison de mon ami (A. Kiarostami) (F) (r), L'Amélanchier (J. Ferron) (Rn) (C) (r) (20), Et la vie continue (A. Kiarostami) (F) (r), Au travers des oliviers (A. Kiarostami) (F) (r) (27), La Chaise du maréchal ferrant (J. Ferron) (C) (27), L'Heure des prédateurs (G. da Empoli) (E) (30) ; juin : Le Cas Trump (A. Roy) (E) (1), La Clé à molette (P. Lévi) (Rn) (7), Inconnu à cette adresse (K. Taylor) (RÉ) (8), Sang et or (J. Panahi) (F) (8), Hors jeu (J. Panahi) (F) (9), Monsieur Melville 1. Dans les aveilles de Moby Dick (V. L. Beaulieu) (RB) (19), Monsieur Melvillle 2. Lorsque souffle Moby Dick (V. L. Beaulieu) (RB), Monsieur Melvillle 3. L'après Moby Dick et la souveraine poésie (V. L. Beaulieu) (RB) (29) ; juillet : La Part de l'océan (D. Fortier) (Rn) (7), Géographies de la solitude (J. Mills) (D) (9), Bartleby, le scribe (H. Melville) (N) (11), Le Voyageur et la tour (A. Manguel) (E) )16), L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche 1 (M. de Cervantès) (Rn) (r) (29) ; août : L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche 2 (M. de Cervantès) (Rn) (11), Ils étaient l'Amérique (S. Bouchard) (E) (14), Spleen en Corrèze (D. Tillinac) (Rn) (16), C'était au temps des mammouths laineux (S. Bouchard) (E) (29), Samouraï (F. Caro) (Rn) (31) ; septembre : Amerigo (S. Zweig) (E) (4), Kolkhoze (E. Carrère) (RB) (11), Okurimono (L. Lévesque) (D) (12), La Moustache (E. Carrère) (Rn) (16), La Classe de neige (E. Carrère) (Rn) (18), Je suis vivant et vous êtes mort (E. Carrère) (B) (30) ; octobre : L'adversaire (E. Carrère) (Rt) (15), Un Certain art de vivre (D. Laferrière) (20) ; novembre : L'Oreille absolue (A. Desarthe) (Rn) (17) ; décembre : Yannick (Q. Dupieux) (F) (7), La Maison vide (L. Mauvigner) (Rn) (14)
Légende : Les chiffres entre parenthèses indiquent la date de fin de lecture ou de visionnement ; B : Biographie ; BD : bande dessinée ; BL : beau livre ; C : conte ; CP : conte philosophique ; CT : courts textes ; D : documentaire ; E : essai ; EA : essai autobiographique ; F : film ; FA : film d'animation ; J : journal ; L : lettres ; N : nouvelles ; Pe : poésie ; Pr : polar ; r : relecture ou revisionnement ; RA : récit ou roman autobiographique ; RB : récit biographique ; RÉ : Roman épistolaire ; Rt : récit ; Rn : roman ; RP : roman philosophique ; RS : récit de soi
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