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mardi, juillet 05, 2016

Americanah. Commentaire

En lisant ce roman, j'ai pensé à ce passage du Carnet d'or, de Doris Lessing : « Thomas Mann, le dernier écrivain au sens ancien, qui employait le roman pour exprimer des jugements philosophiques sur la vie. En fait, la fonction du roman semble changer : c’est maintenant un avant-poste du journalisme, nous lisons des romans pour nous documenter sur des zones de vie que nous ne connaissons pas »

Americanah 1 est l'exemple parfait de « roman-reportage ». Un roman tout entier tourné vers « ce qu'est la vie réelle à notre époque », (p. 377) avec sa diversité, ses contradictions, son perpétuel mouvement. À travers un galerie de personnages, notamment les deux protagonistes, Ifemelu et Obinze, l'auteure présente un tableau vivant de la vie au Nigéria, de la vie des « expatriés » (p. 159) à Londres et, surtout, aux États-Unis. Le titre réfère d'ailleurs au nom par lequel les Nigérians désignent leurs compatriotes vivant, ou ayant vécu, aux États-Unis. Mais le principal intérêt de ce roman réside dans son observation minutieuse des rapports raciaux, que je résumerais en paraphrasant Simone de Beauvoir : on ne naît pas noir, on le devient.

Un roman dont les deux protagonistes aiment lire, observer, réfléchir, discuter... Donc, intellectuellement très stimulant. Pourtant, je ne le placerais pas au même niveau que Beloved, de Toni Morrison, ou Dalva, de Jim Harrison. Dans ces œuvres, il y a un effort de transcender la réalité, de l'englober dans une quête existentielle, profonde, à travers une plongée cathartique et libératrice dans le temps et la mémoire. Adichie, au contraire, étale sa narration sur la minceur du présent, dans un effort uniquement descriptif ; l'histoire a beau se dérouler sur une dizaine d'années, Ifemelu peut bien se trouver déstabilisée par tous les changements survenus au Nigéria durant son absence, cette durée n'est jamais ressentie, demeure un fait de la pensée.

C'est sans doute pour atténuer l'effet quelque peu aride, intellectuel (surtout la quatrième partie), du récit où sont même insérés des extraits de blogue, que l'auteure y ajoute une histoire d'amour, presqu'en s'excusant : « Ainsi débutèrent des jours grisants remplis de clichés ». (p. 497) Le résultat est très réussi. Avec une tension qui ne cesse de croître jusqu'à la chute finale, tout en ouverture, merveilleuse de concision et de légèreté.
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1. Adichie, Chimamanda Ngozi. Americanah, [Fichier ePub], Gallimard, Paris, 2014, 534 p.
2. Observation qui inclut les Latinos, les Asiatiques, mais exclut les Amérindiens, invisibles au regard d'Adichie. Ce qui est plutôt inconséquent, puisque son personnage d'Ifemelu fait précisément remarquer à son petit ami blanc qu'elle est inexistante dans les revues féminines ; de même, Obinze, travaillant sous une identité d'emprunt à Londres, trouve éprouvant cet état de non reconnaissance.

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