Lorsqu’il ouvre les yeux, aux premières lueurs du jour, il voit, posé sur le traversin, un revolver dont le canon pointe son visage, juste au-dessus de l’arcade sourcilière gauche. Le mieux, en pareille circonstance, se dit-il, c'est de ne pas bouger, si bien que, ne bougeant pas, au chaud sous la couette, il se rendort. Un sommeil léger, agité, où il rêve que la maison qu’il est en train de construire est secouée par un puissant séisme qui la menace d’écroulement. Il s’efforce tant bien que mal de retenir ensemble les éléments de la charpente à l’aide de ficelle. Plus tard, à la salle de bain, en se rasant, il évite comme d’habitude de se regarder dans la glace, mais comment échapper à la perforation causée par le projectile en traversant la tête de son reflet ? On aurait tort de croire qu’il fuit ainsi la réalité. Simplement, il n’aime pas se sentir observé, coupable, Dieu sait de quoi. C’est un point sur lequel il a dû, au cours de sa vie, insister à plusieurs reprises. Chaque fois, les mêmes regards d’étonnement, puis de suspicion. Il songe à l’arme sur le traversin, se disant, comme pour se rassurer, qu’on l’avait sans doute oublié là. « Je la rendrai à son propriétaire à la première occasion. »
La journée fut sans fin. Il ne savait que faire. Il ne pouvait plus compter sur son emploi – qu’il venait de perdre – pour occuper son esprit. Et pouvait-il courir le risque de sortir ? Le crâne fracassé attirerait inévitablement les regards. En outre, si on venait, durant son absence, frapper à la porte ? Car, il en est maintenant convaincu, tout rentrera dans l’ordre, tout, dès que l’arme aura été rendue à son propriétaire. Il se fait donc violence en imposant à son corps tourmenté une posture raide, froide, immobile devant la fenêtre, aux aguets. La première neige d’automne tourbillonne en rafales et enveloppe les rares passants d’un linceul diaphane. Bientôt le solstice d’hiver, les Fêtes... Le jour décline sur la rue déserte. Les sifflements du vent traversent les murs, s'immiscent jusqu'au tréfonds de l'âme. Combien de temps va-t-il falloir attendre ? Combien de temps, avant de rendre l’arme ?
2 commentaires:
Délicieux.
Pourquoi ne nous gâtes-tu pas plus souvent ? ;)
Je n'ai pas d'imagination. Je ne suis absolument pas un écrivain dans l'âme, comme on dit. Mais, des fois, ça sort. Il faut dire que je lis Beckett en ce moment. Ça aide. Et puis, dans le temps des Fêtes, je me sens plus habité, sais pas pourquoi.
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