Deuxième texte de trois.
Jamais le Canada n'a été dirigé par un parti politique inspiré d'une idéologie de droite aussi radicale. À l'époque de Mulroney ou Joe Clark, le Parti conservateur (PC) présentait un tout autre visage, plus modéré, plus près du centre, là où se tient la majorité des Canadiens à l'exception des Albertains. C'est d'ailleurs dans la province du pétrole et du pick-up qu'est né dans les années 1990 le Reform party de Stephen Harper qui aujourd'hui contrôle le PC. On compare souvent ces nouveaux conservateurs aux républicains de George Bush. Avec raison.
D'abord, ces deux formations ont accédé au pouvoir de manière très controversée, à la suite de manoeuvres frauduleuses. Malgré le déni de Harper et sa gang, Élections Canada persiste et signe : une soixantaine de candidats du PC ont bel et bien enfreint les règles de financement lors de la dernière campagne électorale, et ce, d'une manière concertée pour permettre à leur formation politique de dépenser plus que ses adversaires. Et le chien de garde des élections se défend d'être partisan : contrairement à ce que Stephen Harper prétend, aucun autre parti politique n'a utilisé les mêmes stratagèmes.
Mais il y a bien plus que la manière. L'alignement idéologique sans précédent sur Washington crève les yeux en matière de politique étrangère. De l'avis de Jean Daudelin, professeur en relations internationales à l'université Carleton, l'insistance sur la mission afghane en est une manifestation, tout comme le fait de souligner, fin mai 2008, « le Jour de solidarité avec le peuple cubain », une invention de Washington qu'aucun autre pays n'a reprise à son compte.
Titulaire de la chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatique, Charles-Philippe David est du même avis : « Depuis l'arrivée au pouvoir de ce gouvernement, le Canada calque de façon plus marquée ses positions sur celles des Américains ». Il cite, entre autres, le dossier israélo-palestinien. Le Canada a toujours soutenu Israël mais « se faisait le promoteur du dialogue, de la négociation, du compromis », dit-il. Lors de la guerre au Liban à l'été 2006, il s'est toutefois rangé clairement du côté d'Israël et a été un des premiers gouvernements à suivre la ligne dure avec le gouvernement élu du Hamas.
La réputation et l'influence du Canada dans l'arène multilatérale y perdent au change, croit Michael Byers. « Remettre en question nos engagements en matière d'environnement ou de droits autochtones et se lier trop étroitement aux Américains minent notre influence » (1)
En ce qui a trait à l'Afghanistan, il faut souligner en outre que les soldats canadiens y mènent des opérations offensives qui n'ont plus rien à voir avec le rôle pacificateur instauré il y a près de 50 ans par Lester B. Pearson. Les Canadiens croient que c'est encore ce rôle-là que jouent leurs soldats, malgré que 100 d'en eux ont été tués en combattant les talibans. À quoi servent tous ces morts ? Selon le général de brigade Mark Carleton-Smith, le plus haut gradé britannique en Afghanistan, il n'y aura pas de « victoire militaire décisive » dans ce pays, ce serait « irréaliste » de l'espérer. Pourquoi, par conséquent, ne pas privilégier la négociation, le soft power plutôt que le hard power ?
Autre point de convergence Harper-Bush : la politique d'immigration, avec le projet de loi C-50. Celui-ci est vivement contesté, non par l'opposition partisane, mais bien par l'Association du Barreau canadien qui presse le gouvernement fédéral de revoir les amendements prévus à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, amendements qu'elle qualifie de « sérieux recul » pour le Canada. Encore une fois, l'influence des républicains américains est manifeste. Les conservateurs s'orientent vers une politique semblable à celle qui, à une autre époque, interdisait aux juifs, aux Chinois et aux Noirs l'accès au territoire canadien. Dans le même esprit, Amnesty International notait cette semaine qu'Ottawa « n'a jamais pris clairement position contre le centre de détention de Guantanamo » et que le Canadien Omar Khadr demeure le seul Occidental à y être encore détenu. (2)
Enfin, comment ne pas parler d'environnement. Harper a refusé de participer à un débat portant exclusivement sur cette question. Et pour cause ! En seulement deux ans au pouvoir, les conservateurs ont réussi à isoler le Canada sur la scène internationale. Dans une étude récente de l'OCDE portant sur 25 indicateurs environnementaux, le Canada figure au 28e rang sur 29 en raison de l'inefficacité de ses politiques environnementales. (3)
Aligné sur le refus de Bush, Harper a contribué à saper les efforts internationaux en vue d'arriver à Carthagène à un accord sur les OGM, et, à Nairobi, sur un plan international de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Dès son arrivée au pouvoir, il a jeté aux ordures -- il aurait pu au moins le recycler ! -- le « plan vert » des Libéraux, supprimant bêtement tous les programmes de réduction des émissions de GES. La raison ? Toujours la même, que ce soit en matière de culture ou d'environnement : ces programmes n'étaient pas « efficaces ». Des évaluations indépendantes montraient pourtant que ce n'était pas le cas. À la place, le ministre de l'Environnement Baird a présenté un plan concocté sur mesure pour les pétrolières de l'Alberta qui pourront poursuivre leur saccage environnemental sans se soucier du réchauffement climatique.
Pendant ce temps, l'État du Bihar, en Inde, se noie sous des mètres d'eau pluviale, « la plus grande calamité nationale de l'histoire récente » selon les autorités indiennes. Même scénario en Afrique de l'Ouest. En Haïti, quatre ouragans se sont déchaînés sur le pays, quatre ! L'un après l'autre, en quatre semaines, sans donner aux populations la moindre chance de se relever. Du jamais vu. Dans la Corne de l'Afrique, au contraire, c'est la sécheresse. Des millions de victimes. Les phénomènes climatiques extrêmes se multiplient à la surface de la planète, une nouvelle expression vient même d'apparaître : « réfugiés climatiques ». Plus que jamais les Canadiens -- et les citoyens des pays qui attendent la solidarité canadienne -- ont besoin d'un gouvernement déterminé à stopper cette évolution. Et non pas d'un gouvernement qui leur offre effrontément une politique basée sur une réduction de l'« intensité » des émissions de GES. Une fumisterie qui, en outre, pénalise lourdement les entreprises québécoises qui ont pris le virage Kyoto depuis déjà longtemps. (4)
À son arrivée au pouvoir, Harper ne croyait pas au réchauffement climatique qu'il percevait comme un complot de la gauche. Ses actions depuis deux ans prouvent qu'il n'a pas évolué d'un iota sur cette question et qu'il se trouve pour cette raison de plus en plus isolé sur la scène internationale... tout comme l'administration Bush.
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(1) Cornellier, Manon. « Harper, ministre des Affaires étrangères ? ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi 31 mai et dimanche 1er juin 2008) (Page consultée le 24 septembre 2008)
(2) « Le leadership du Canada s'est ' érodé ', selon Amnesty ». cyberpresse.ca [En ligne]. (Mercredi 24 septembre 2008) (Page consultée le 24 septembre 2008)
(3) Francoeur, Louis-Gilles. « Un climat plus chaud rendra le pays plus vulnérable ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi 8 et dimanche 9 mars 2008) (Page consultée le 24 septembre 2008)
(4) Plusieurs grandes entreprises québécoises ont réduit leurs émissions de GES au-delà de la cible fixée par le protocole de Kyoto, qui est de 6 % sous le niveau de 1990. Si ces entreprises avaient accès au marché international d'échanges de droits d'émissions de GES, elles auraient reçu pour ces réductions supplémentaires des « crédits de carbone » qu'elles auraient pu vendre à fort prix aux entreprises qui, elles, n'ont pas atteint leurs cibles de réduction. Ainsi, ces entreprises québécoises exemplaires auraient pu rentabiliser leurs coûteux investissements dans des technologies moins polluantes et améliorer leur compétitivité. Mais voilà, les conservateurs empêchent ces dernières d'avoir accès à ce vaste marché en pleine expension. En lieu et place, Baird a créé un marché strictement canadien, où les crédits de carbone se vendent bien moins cher. Les entreprises québécoises sont donc doublement pénalisées, car non seulement leurs crédits de carbone perdent de la valeur, mais en plus elles ne peuvent obtenir de crédits pour les réductions d'émissions de GES antérieures à 2006, qui est la nouvelle année de référence au Canada. Quand on pense que le secteur de l'aluminium a déjà réduit ses émissions à 20 % sous leur niveau de 1990, et l'industrie manufacturière québécoise, elle, à 8,5 % sous le même niveau, on conclut que des millions de dollars sont arrachés au Québec et redistribués aux entreprises les plus polluantes comme les pétrolières. Le plan Baird, jusque dans ces moindres détails, cherche à épargner les plus grands pollueurs et, du coup, freine l'innovation et nuit à la compétitivité des entreprises qui veulent agir en faveur du climat.
Lire aussi :
« Reconnaissance du Québec comme nation ». 16 septembre 2008
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