La campagne qui s'amorce se distinguera par le fait qu'elle sera la première en quarante ans à ne pas faire une place centrale au débat sur la relation du Québec avec le reste du Canada (ROC). Les temps changent. Ils changent tellement que Stephen Harper est aussi populaire au Québec que Gilles Duceppe. Ayoye ! Pincez-moi que'qu'un !
En réaction j'ai donc écrit le texte qui suit, un collage d'extraits d'articles du Devoir. Il s'agit du premier volet d'un survol des deux années de gouvernement Harper. Il est question ci-dessous de la reconnaissance de la nation québécoise. Le deuxième volet aura trait à la politique étrangère ; le troisième, à la censure.
Reconnaissance du Québec comme nation ?
Un peu plus de la moitié des Québécois se déclare satisfait du gouvernement Harper. Ce n'est pas rien. Le premier ministre a réussi à nous faire croire qu'il est un allié des nationalistes, cela en contrôlant comme jamais auparavant l'information et en y allant de gestes ponctuels sans conséquence. Ainsi, la reconnaissance par le parlement fédéral du Québec comme nation au sein du Canada. Il convient d'abord de rappeler que l'initiateur involontaire de geste d'ouverture est Michael Ignatieff qui, lors de la course au leadership du Parti libéral du Canada l'année dernière, avait violer LE tabou politique au sein du ROC en lançant devant 1,5 million de téléspectateurs :
Mais bien sûr que le Québec forme une nation.
Aïe, aïe, aïe ! Grand émoi à Ottawa. Confusion chez les libéraux, Stéphane Dion sur la défensive alors que le Bloc passe à l'offensive. C'est finalement Harper qui a mis fin à la cohue en faisant voter une motion reconnaissant le Québec comme nation.
Mais que veut-elle dire, cette reconnaissance ?
Le Bloc québécois a saisi la balle au bond en présentant des projets de loi pour tester le sérieux de Harper. Ces lois -- si elles avaient été votées -- auraient permis d'assujettir les entreprises québécoises sous juridiction fédérale (port, aéroport, banques, par exemple) à la loi 101, de soustraire le Québec à la Loi sur le multiculturalisme ou encore de lui donner la maîtrise d'oeuvre en matière de télécommunications.
Cette reconnaissance n'a qu'une portée symbolique faible qui ne change rien aux préjugés profondément enracinés. Rappelons que Harper a déjà été président de la National Citizens Coalition qui finançait les efforts de Brent Tyler pour tailler en pièces la loi 101 devant les tribunaux. Reportons-nous également à l'époque où Stéphane Dion, alors ministre dans le gouvernement Chrétien, a créé la controversée Loi sur la clarté. Ce qui est peu connu, c'est que cette loi tant détestée ici est beaucoup inspirée d'un projet que M. Harper avait lui-même présenté en octobre 1996. Ce qui n'empêchait pas les deux hommes d'avoir des vues diamétralement opposées sur la nature du nationalisme québécois. Dans un échange épistolaire publié dans le Calgary Herald à la même époque, M. Harper parlait de nationalisme ethnique et de xénophobie, M. Dion soutenait que la société québécoise était aussi ouverte que la société canadienne dans son ensemble. Il soulignait également que les lois linguistiques québécoises étaient plus souples et plus libérales que leur équivalent dans d'autres sociétés multilingues progressistes, comme la Suisse, la Belgique ou la Finlande.
Qui aurait pu croire ? Harper plus anti-Québec que Dion ! Le premier ministre que l'on voit aujourd'hui a beau cultiver une image d'ouverture, mais son attitude fermée et étroite transparaît dans tous les dossiers qui nous importent ici.
Un autre exemple nous a été fourni cet été. Il touche à l'histoire même des Canadiens français en Amérique. Le journaliste Christian Rioux faisait remarquer que des sommes considérables ont été investies depuis une décennie par Ottawa dans le dessein évident de faire de l'ombre au 400e anniversaire de Québec et donc à Champlain. C'est ainsi qu'on a vu, comme par hasard, se multiplier les colloques en France et au Québec destinés à promouvoir, non pas la fondation de Québec en 1608, mais cellede l'Acadie en 1604 ; non pas Champlain le catholique, mais Pierre Dugua de Mons le protestant, qui créa un premier établissement malheureux à l'île Sainte-Croix et commandita la fondation de Québec.
À Ottawa, les débats sur l'histoire du Canada ont continué, alors que le Bloc québécois dénonçait le contenu d'une publication de Patrimoine Canada. Intitulée La Couronne canadienne -- La monarchie constitutionnelle au Canada, cette publication avance que le Canada a eu un monarque depuis le début du XVIe siècle, soit le roi Henri VII d'Angleterre (1485-1509) et le roi François 1er (1515-1547), en fait deux monarques simultanément. Cette double monarchie se serait maintenue jusqu'à la Conquête, écrit Patrimoine Canada. Le député du Bloc, Michel Guimond, a qualifié cette thèse de « réécriture surréaliste de l'histoire ». Le secrétaire d'État au Multiculturalisme et à l'Identité canadienne, Jason Kenney, a indiqué qu'il allait vérifier, mais que l'histoire canadienne, selon la conception du gouvernement Harper, commençait avec les premiers voyages des explorateurs français et anglais. (1)
Ce débat n'est pas superficiel : dire que les premiers explorateurs français ont fondé le Canada tel qu'on se le représente aujourd'hui, dominé par la culture anglo-saxonne, c'est affirmer dans le même souffle qu'il n'y a pas de nation québécoise.
Cettenégation effective de notre existence apparaît àtravers de nombreuses politiques du gouvernement Harper. Pour n'ennommer que quelques unes :
-- Pouvoir fédéral de dépenser et repect des compétences provinciales. Certains observateurs font remarquerque, contrairement à ce qu'il prétend, le gouvernement Harper a enfreint à plusieurs reprises les principes du partage des pouvoirs. Notamment en matière de santé, une compétence exclusive des provinces, le fédéral a créé la Commission canadienne de la santé mentale ; il a mis sur pied une fiducie de 300 millions de dollars pour un programme de vaccination des femmes contre le virus du papillome humain ; il a créé le Conseil national des aînés ; il finance depuis 2006 le Partenariat canadien contre le cancer ; il finance une Stratégie canadienne en matière de santé cardiovasculaire. Pour plusieurs de ces nouvelles structures, le Québec réclame sa part de financement qui lui permette de créer ses propres programmes.
-- Déséquilibre fiscal. En dépit des prétentions des conservateurs, ce dossier n'est toujours pas réglé. La nouvelle méthode de calcul de la péréquation instaurée sous les libéraux prive le Québec de 200 millions de dollars par année. Ce n'est pas rien. De plus, fait encore plus significatif, Ottawa continue d'accumuler les surplus budgétaires alors qu'ici, le gouvernement Charest a toutes les misères du monde à cacher les déficits récurrents des comptes publics. Or, sans ressources financières suffisantes, le Québec ne peut affirmer son « caractère distinct », son identité, doit gérer à la petite semaine des programmes de moins en moins généreux, de plus en plus « conservateurs », tournés vers des « PPP »... Comment ne pas se rappeler a contrario que la Révolution tranquille s'est accompagnée d'un accroissement considérable des dépenses publiques. Sans ces dépenses, nous n'aurions peut-être pas eu la « castonguette », et certainement pas les cégeps et le réseau de l'Université du Québec. Sans ces dépenses, nous n'aurions pas pu nous réinventer.
-- Fédéralisme centralisateur. Le pouvoir fédéral de dépenser et le déséquilibre fiscal sont le fait d'un fédéralisme centralisateur qui convient parfaitement aux conservateurs. Ceux-ci n'ont absolument pas l'intention de céder des pouvoirs aux provinces. Plutôt le contraire. Le dernier budget Flaherty a réservé « une grande déception » à la présidente du conseil du trésor, Mme Jérôme-Forget, selon son propre aveu : la création d'une commission des valeurs mobilières unique. Un comité doit être formé pour rédiger la loi qui impose cette commission pan-canadienne. Or, aucune province, sauf l'Ontario, n'en veut de cette commission. Toutes les études démontrent qu'elle serait nuisible. Mais Ottawa en fait une véritable obsession : centraliser à Toronto le commerce des valeurs mobilières, qui est, rappelons-le, de compétence exclusivement provinciale.
-- La culture. En matière culturelle, c'est le même esprit qui règne. Une forme de « souveraineté culturelle » pour le Québec : c'est ce que le premier ministre Jean Charest a réclamé, le 12 septembre, en ce début de campagne électorale fédérale marqué par des manifestations d'artistes opposés aux coupes de 44 millions du gouvernement Harper en matière culturelle. M. Charest, qui considère les coupes fédérales comme une atteinte à l'identité et à l'économie du Québec, a insisté lourdement sur le fait que le Québec « est le seul endroit francophone en Amérique et qu'il dispose d'une culture qui est très riche, très spécifique ». À ses yeux, une entente pour redonner au Québec sa pleine autonomie en matière culturelle, est une « question de bon sens » puisque, en pratique, le Québec obtenait près de 50 % des 44 millions supprimés par Josée Verner, la ministre du Patrimoine. (2)
Réponse de Harper :
No way.
Inutile de dire que la rencontre fédérale-provinciale des ministres de la Culture, prévue pour les 24 et 25 septembre à Québec, n'aura pas lieu : la ministre Josée Verner n'entend pas s'y présenter.
Le comité du Patrimoine de la Chambre des communes a lui aussi été muselé. Il ne pourra pas, comme le permet son mandat, étudier les coupes dans le financement de la culture.
Le Canada était pourtant déjà, et de très loin, le cancre de la classe internationale des pays riches, avec sa médiocre diplomatie culturelle. Pour fin de comparaison, mentionnons que le British Council consacre maintenant plus d'un milliard par année à ces affaires culturelles internationales ; le réseau du Goethe-Institut emploie 3300 personnes en Allemagne et dans 90 pays ; la France déploie plus de 150 établissements culturels dans le monde.
Les quelque 45 millions retranchés à 13 programmes touchent la préparation des expos muséales comme l'archivage et la mise en ligne d'oeuvres canadiennes, la formation des futurs scénaristes comme le soutien au développement de nouveaux marchés pour les produits culturels ou l'aide à la « chaîne d'approvisionnement » de l'industrie de l'édition. Le livre, la danse, les arts visuels : les coupes vont saigner à blanc tous les secteurs. Et c'est surtout, répétons-le, le Québec qui écope. Par exemple, en 2004-2005, 19 compagnies de danse québécoises ont effectué 29 tournées dans le monde, pour un total de 263 représentations données dans 15 pays. Une compagnie aussi renommée que La La La Human Steps va en souffrir, selon Édouard Lock, son célébrissime chorégraphe : « Les deux tiers de nos revenus proviennent de l'extérieur du Canada. Concrètement, ça veut dire que les fonds fédéraux ont un effet de levier : ils nous donnent accès à des subventions accordées par l'étranger à une compagnie canadienne. Sans cet argent de départ de l'intérieur, les fonds extérieurs risquent de disparaître. » (3)
Le gouvernement prétend que les programmes supprimés souffraient d'inefficacité chronique, sans toutefois pouvoir en fournir la moindre preuve. L'argument politique et diplomatique ne tient pas davantage. La mondialisation croissante comme la réalité du monde depuis les attentats de 2001 ont mis en évidence une certaine faillite de la diplomatie classique et du même coup l'importance d'établir des ponts -- plutôt que de fermer des portes -- entre les cultures et les civilisations. Le professeur de sciences politiques Joseph Nye, de l'Université Harvard, propose même de faire de la diplomatie culturelle un rouage central des relations internationales au XXIe siècle, ce que de plus en plus d'États mettent carrément en pratique.
La vérité, derrière ces coupes, est évidemment idéologique. En sabrant dans un programme de diplomatie culturelle tandis qu'il bonifie à coups de milliards les budgets militaires et les dépenses de sécurité, Harper favorise les relations coercitives plutôt que la diplomatie culturelle, le hard power plutôt que le soft power. De plus il bâillonne une voix qui propageait à travers le monde des valeurs trop progressistes, trop pluralistes et ouvertes pour son esprit réactionnaire, frileux et borné.
Voilà, concrètement, ce que nous donne notre reconnaissance en tant que nation. Pour faire illusion, Ottawa a ajouté un fonctionnaire à la délégation canadienne à l'UNESCO pour nous représenter.
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(1) Dutrisac, Robert et Porter, Isabelle. « 400e de Québec : Couillard corrige Charest ». Le Devoir [En ligne]. (Mardi, 13 mai 2008) (Page consultée le 16 septembre 2008)
(2) Robitaille, Antoine. « Charest réclame une souveraineté culturelle ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi, 13 et dimanche, 14 septembre 2008) (Page consultée le 16 septembre 2008)
(3) Baillargeon, Stéphane. « Haro sur la culture ' Made in Canada ' ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi, 30 et dimanche, 31 août 2008) (Page consultée le 16 septembre 2008)