Rechercher dans ma chambre

dimanche, février 27, 2005

Acheter équitable, oui mais...

Le titre du dernier roman de Laure Waridel, Acheter, c'est voter, est devenu en peu de temps un véritable slogan. L'idée derrière ce slogan, c'est que des gestes simples peuvent faire toute la différence, ou du moins une grande différence. Or, dans le cas du commerce équitable auquel je limiterai ici mon propos, cela est tout simplement faux. Combien de produits équitables connaît-on ? J'ai fait une rapide recherche sur l'Internet : il y a bien sûr les quatre produits canoniques : thé, café, sucre, cacao, auxquels s'ajoutent les céréales, le riz et la banane. Le site de la Fairtrade Labelling Organizations International mentionne une dizaine de produits, dont le vin, tout en prévoyant une croissance et une diversification de la production. Outre ces quelques denrées, on peut aussi acheter de jolies babioles à la boutique Dix mille villages, à Montréal. That's it. On est très loin de la « révolution au quotidien ».

Marginal comme phénomène, et voué à le rester, le commerce équitable, comme l'a noté Jean-François Nadeau, 1 est aussi très limité quant à ses effets socio-économiques : les pauvres dans les plantatations du Sud vont l'être un peu moins, les riches du Nord vont le rester tout autant. La notion même d'équité me paraît discutable : « Notion de la justice naturelle dans l'appréciation de ce qui est dû à chacun » (Petit Robert). Appréciation de ce qui est dû à chacun. Et qui, croit-on, décide de ce qui est dû à chacun, suivant une justice naturelle ? Juan Valdez, le plus célèbre des cafeteros colombiens ? Plutôt ceux qui paient le café à la caisse, et qui ne voudraient surtout pas que les prix montent de manière indue.

Si l'on exagère autant le pouvoir du commerce équitable, c'est à mon avis qu'on le confond allègrement avec le commerce de produits bio, comme c'était le cas d'un lecteur du Devoir samedi. Beaucoup de denrées équitables sont également bio, il est vrai, mais pas toutes. Les denrées bio sont incomparablement plus nombreuses et appelées à accaparer une part sans cesse croissante du marché.
Car le bio répond avant tout à un impératif environnemental et de santé. C'est pour eux-mêmes que de plus en plus de consommateurs se tournent vers le bio, suivant un raisonnement plus égoïste qu'altruiste. Le commerce équitable fait au contraire appel à la bonne conscience des consommateurs, fermant ainsi pudiquement les yeux sur une réalité que le chroniqueur Pierre Foglia évoquait récemment, à savoir que le peuple est devenu l'ennemi du peuple. Ce que Laure Waridel nous dit, c'est que ce serait bien d'acheter tous ensemble équitable, de penser aux pauvres. Elle ne dit pas : comme ce serait beau, un peuple généreux, elle s'arrête juste avant. Juste avant le kitsch. Attention ! Kitsch ne veut pas dire quétaine. J'emploie le mot dans le sens plus large que le romancier Milan Kundera lui donne dans son oeuvre. Là où morale s'installe, le kitsch s'installe aussi.

Le pas que Laure Waridel ne fait pas, d'autres, plus près du pouvoir, lui feront faire. J'ai été étonnée de la popularité de cette femme et de son slogan ; elle a reçu au cours des dernières années quelques distinctions qui ont fait d'elle une citoyenne exemplaire, une belle petite Miss Équitable. Le risque, à mon avis, c'est que cette image désamorce chez les Québécois un désir de changement, vague il est vrai, diffus mais présent, pressant, en désir de beauté chez un peuple qui aime bien se voir tel. Qu'en se kitschifiant le message perde tout son potentiel subversif et profite en fin de compte à ceux qui souhaitent que rien ne change.

C'est une bonne idée que d'acheter équitable, puisque ce n'est pas plus cher, tout en gardant en vue d'autres actions citoyennes peut-être plus efficaces pour changer l'ordre des choses. Comme consommer moins. Comme ne pas voter pour un gouvernement qui tient mordicus à réduire l'impôt sur le revenu des Québécois, ce même impôt qui est l'un des principaux instruments de redistribution de la richesse.
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1. Nadeau, Jean-François. « Inoffensive Laure Waridel ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi, 19 et dimanche, 20 février 2005) (Page consultée le 15 février 2008)

lundi, février 14, 2005

Un réchauffement irréversible ?

La publication d'un rapport sur le réchauffement climatique a suscité plusieurs commentaires dans les médias. Ainsi Louis-Gilles Francoeur, du Devoir, reprend, sans la discuter, la thèse soutenue par l'« équipe multidisciplinaire internationale », à savoir que le réchauffement du climat pourrait entrer dans une phase d'irréversibilité si les concentrations de CO2, actuellement de 379 parties par million (ppm), dépassaient les 400 ppm, éqivalant à un réchauffement moyen de 2°C. Au-delà de ce seuil, les « mécanismes naturels qui ont permis de stocker des milliards de tonnes de carbone au fond des océans, dans le permafrost arctique ou dans les tourbières et les marais commenceront à relarguer leur charge dans l'atmosphère terrestre », à quoi s'ajoutera « la libération de milliards de tonnes de méthane solidifié au fond des mers arctiques »1

Or, un article de Gavin A. Schmidt et Stefan Rahmstorf, paru sur le blogue Real Climate, sans nier la pertinence d'un tel scénario catastrophiste, s'attache à montrer qu'il ne repose pas sur une base scientifique solide. Pour ces deux scientifiques, le rapport Meeting the Climate Challenge représente une initiative d'un « goupe politique » qu'ils perçoivent de la façon suivante :
Existe-t-il un « point de non retour » ou « un seuil critique » qui sera franchi quand les forçages excèderont ce niveau, comme rapporté dans quelques médias ? Nous ne croyons pas qu'il y ait de base scientifique à cette hypothèse. Cependant, comme cela a été précisé l'année dernière à Beijing dans un colloque international à ce sujet par Carlo Jaeger : fixer une limite est une manière sensée de traiter collectivement un risque. Une limite de vitesse est un exemple typique. Quand nous fixons une limite de vitesse à 130 km/h, il n'y a aucun « seuil critique » -- rien de terrible ne se produit si vous allez à 140 ou 150 km/h. Mais peut-être à 160 km/h les morts excèderaient clairement les niveaux acceptables. Fixer une limite au réchauffement global à 2ºC de plus que la température pré-industrielle est l’objectif politique officiel de l'Union Européenne, et c'est probablement une limite sensée. Mais, comme pour les limites de vitesse, il peut être difficile d'y souscrire. 2
L'incertitude sur la sensibilité du climat ne va pas disparaître bientôt, et devrait donc être implémentée dans les évaluations futures du climat. Cependant, ce n'est pas une variable complètement libre, et les valeurs extrêmement élevées discutées dans les médias au cours des deux dernières semaines ne sont pas scientifiquement crédibles.

Un texte quelque peu technique mais qui apporte une lumière intéressante sur un débat social aux enjeux colossaux.

Surtout : un texte qui ne réfute pas l'idée d'un seuil d'irréversibilité. Ce seuil existe bel et bien et doit servir d'horizon nous permettant de maintenir le cap, au nom du bien commun, vers de nécessaires et profonds changements de notre mode de vie.
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1. Francoeur, Louis-Gilles. « D'autres études inquiétantes sur le réchauffement de la planète ». Le Devoir [En ligne]. (Jeudi, 3 février 2005) (Page consultée le 16 février 2008)
2. Schmidt, Gavin A. et Rahmstorf, Stefan. « 11ºC warming, climate crisis in 10 years? ». RealClimate [En ligne]. (Samedi, 29 janvier 2005) (Page consultée le 16 février 2008)

mercredi, février 02, 2005

Blogue et immortalité

Mes amis savent que j'aurais aimé écrire un roman. J'avais même un titre : Voyage autour de ma chambre. J'en étais très fier, jusqu'à ce que je découvre que c'est celui d'un roman de Xavier de Maistre. Imaginez, 1794 ! Deux siècles de retard !

Qu'à cela ne tienne.

Je réécris, de nuit, à l'abri des regards indiscrets, les trois pages de mon oeuvre inachevée, et inscris le titre : Expédition nocturne autour de ma chambre.

Stupeur ! Ce titre existe déjà ! Encore ce Xavier de Maistre. Fichtre ! La profondeur de mon inculture me donne le vertige. Seule consolation : le roman, cette fois, date de 1833. Mon retard n'était plus que de 182 ans.

Que faire maintenant ? Je suis handicapé, affaibli, et mon temps m'est compté. J'aimerais bien -- au même titre que mon devancier -- connaître l'immortalité, mais si possible, avant ma mort. Autrement, à quoi bon. À quoi bon l'immortalité si je ne puis en tirer la consolation dont mon existence médiocre a tant besoin.

C'est alors que l'idée du blogue m'est venue. Je n'ai pas grand mérite, le mot est sur toutes les lèvres. Quant à moi, il me paraît quelque peu risible, mais au point où j'en suis...

Me voici désormais sur le Web, dans ma Chambre d'écoute. Je sais, ce titre aussi existe déjà -- 1958, plus que 47 ans de retard ! Ce que je perds en originalité par contre, je le regagne en lecteurs potentiels. Des milliers de lecteurs, oui, oui, des milliers. Des internautes comme moi, ici, en Europe et ailleurs dans la francophonie.

Pourquoi pas ?