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vendredi, décembre 28, 2018

Verre Cassé, d'Alain Mabanckou

Le narrateur, Verre Cassé, a soixante-quatre ans, il boit depuis vingt ans, se saoule au vin rouge. Il a perdu son emploi d'instituteur à l’école primaire, sa femme l'a quitté, il passe ses journées au bar Le Crédit a voyagé, vie misérable… Mais pourquoi boit-il ? On dit que sa mère elle-même buvait, ce qu'il nie catégoriquement, tout comme il nie s'être mis à boire après son suicide. Mais le doute subsiste, et le lecteur ne le croit plus du tout lorsqu'à la fin il se suicide de la même façon que sa mère, en s'immergeant dans la rivière Tchinouka. Mabanckou réussit à entretenir le doute quant à ce qui s'est réellement passé. Ainsi de chaque personnage. Verre Cassé a-t-il, ou non, commis des actes de pédophilie ? Le lecteur ne le saura jamais. Ce que nous dit l'auteur, c'est que le passé, dès lors qu'on le raconte, est une fiction. Une fiction qui englobe le présent : « tu te moques de la vie parce que tu estimes que tu peux en inventer plusieurs et que toi-même tu n’es qu’un personnage dans le grand livre de cette existence de merde » ¹. Une fiction qui évacue le vrai, le faux, de même que la morale.

Alors que la première partie, composée des « premiers cahiers », raconte les mésaventures des habitués du Crédit a voyagé, afin de « témoigner, de perpétuer la mémoire de ces lieux », les « derniers cahiers » de la seconde partie se recentrent sur l'histoire du narrateur. Le temps alors ralentit, présageant sa mort : la première moitié du récit se déroule sur quelques semaines, la seconde moitié, sur quelques heures.

Ce roman a remporté plusieurs prix littéraires, ce qui, je l'avoue candidement, m'étonne. J'ai peut-être manqué quelque chose. La critique a sûrement aimé l'originalité de l'écriture – l'absence de majuscules, de points à la ligne, de tirets introduisant les dialogues – de même que les innombrables références littéraires, qui renforcent l'idée que l'existence même est une fiction, un « grand livre ». Mais ce procédé devient vite lassant, crée des détournements de sens gratuits : « prendre son pied de grue », « j’ai poussé sur-le-champ le cri des oiseaux fous », « la pisse de chat sauvage et la bouse de vache folle », « réciter une histoire d’amour au temps du choléra », « je voulais me faire plaisir pour une fois depuis des années bissextiles », « leur nombril gros comme une orange mécanique »… À chaque page, jusqu'à plus soif.

Mais pourquoi le narrateur écrit-il ainsi ? Lui qui a beaucoup lu, et qui se fait une haute idée de la littérature, pourquoi se complaît-il dans un style naïf, usant d'une ponctuation élémentaire, de termes redondants, comme si l'écriture, pour reproduire le mouvement de la vie – c'est le critère esthétique du narrateur – devait surgir spontanément, sans apprêt : « j’écrirais des choses qui ressembleraient à la vie, mais je les dirais avec des mots à moi, des mots tordus, des mots décousus, des mots sans queue ni tête, j’écrirais comme les mots me viendraient, je commencerais maladroitement et je finirais maladroitement comme j’avais commencé ».

Quelle est la raison de ce choix esthétique ? Pour ne pas trop s'éloigner de cette oralité sur laquelle s'appuie la tradition ? À cause de sa haine avouée des intellectuels ? Parce qu'il est lui-même « cassé » ? Je ne le sais pas. En outre, ce roman ne propose aucune idée nouvelle. Il décrit un monde d'hommes où la femme est sexualisée, et généralement perçue négativement. Du connu.


¹ Mabanckou, Alain. Verre Cassé. [Fichier ePub], Seuil, 2005.