Rechercher dans ma chambre

mardi, octobre 21, 2008

L'argent-dette - Suite

Je reviens sur un passage du vidéo présenté dans mon dernier billet :

« En quelques décennies, à cause du lobbying féroces des banques, les obligations de réserves ont quasiment disparu dans plusieurs pays ».

Le cas de l'Islande est assez frappant. Le Devoir titrait samedi : « L'Islande au bord du gouffre ». (1) Dans ce petit pays jouissant d'un niveau de vie très élevé, le crédit, c'est-à-dire l'endettement, était devenu trop accessible. L'économie, certes, tournait à plein régime, les 330 000 habitants pouvaient assouvir leur soif de consommer, mais cette bulle irréelle ne pouvait qu'éclater. Le gouvernement, qui avait laissé les banques créer de l'argent-dette au-delà de toute mesure raisonnable, pris dans la tourmente, a dû finalement révéler que les dettes de ces dernières représentaient 12 fois le PNB du pays !

C'est d'abord la troisième banque du pays, Glitnir, qui a requis le secours de l'État. La nouvelle de sa nationalisation a aussitôt ébranlé la confiance dans les filiales de la seconde banque, Landsbanki. Il s'est alors produit ce que le vidéo appelle un « phénomène de retrait massif », un mouvement de panique qui a mis Landsbanki à genoux.

La crise financière actuelle, telle que l'illustre le cas de l'Islande, est le résultat, d'abord, de l'irresponsabilité des gouvernements qui ont déréglementé le secteur financier et tenu les citoyens dans l'ignorance des risques ; ensuite, de la cupidité et la stupidité des banques qui ont créé des produits financiers (comme les Credit Default Swap, les Asset Backed Securities) si complexes qu'elles s'y sont finalement perdues ; enfin, de la soif de consommer des citoyens eux-mêmes, qui, au fond, ne demandaient pas mieux que de pouvoir dépenser de l'argent qu'ils n'avaient pas.

Tel est le système, qui, ne l'oublions pas, repose tout entier sur l'accroissement perpétuel de l'endettement. Qu'il y ait crise ou pas ne change rien au fait que ce système d'endettement est insoutenable à long terme et qu'il doit impérativement être jeté aux poubelles de l'Histoire.

Nous en sommes tous là, face à un choix fondamental. Je cite Foglia :

« Pour moi, cette crise pose une question fondamentale qu'on fait tout pour éluder, contourner, qui ressurgit pourtant dans tous nos débats, dans nos élections, dans nos choix de vie : assouvissement ou émancipation ? Consommation ou culture ? Société ou marché ? » (2)

__________

(1) Auteur non mentionné. « L'Islande au bord du gouffre ». Le Devoir [En ligne] (Samedi, 18 octobre 2008) (Page consultée le 31 janvier 2010)

(2) Foglia, Pierre. « Une question niaiseuse ». cyberpresse.ca [En ligne] (Samedi 18 octobre 2008) (Page consultée le 18 octobre 2008)

jeudi, octobre 09, 2008

L'argent-dette

« On croit souvent que les banques prêtent l'argent que les déposants leur ont confié. Mais pas du tout. En fait, les banques créent l'argent qu'elles prêtent. Pas à partir de leurs bénéfices, ni à partir de l'argent déposé, mais directement à partir des promesses de remboursement faites par les emprunteurs. »

Tel est le propos initial de ce documentaire animé de Paul Grignon, L'Argent-dette (Money as Debt) qui pose cette question fondamentale : d'où vient l'argent ?

Prenez le temps de le visionner. Votre perception de la crise financière actuelle en sera certainement éclairée. Notamment, vous comprendrez pourquoi la crise actuelle est appelée crise du « crédit » ; pourquoi les gouvernements veulent éviter que les gens cessent de consommer, c'est-à-dire de s'endetter ; et pourquoi ces mêmes gouvernements veulent également éviter à tout prix que les gens se précipitent à leurs banques pour retirer leur argent.

Plus fondamentalement, c'est tout le système monétaire actuel -- dit « système de réserves fractionnelles » soutenues par des banques centrales -- qui est ici mis en cause, nommément la mainmise des banques privées sur une organisation de la société basée sur l'expansion illimitée du crédit.


Ce vidéo est hébergé sur le site vimeo.

Ci-dessous, quelques extraits :

« le crédit créé par une banque privée est légalement convertible en devises fiduciaires émises par le gouvernement comme les dollars, les euros, Les devises fiduciaires sont des devises créées par un décret gouvernemental. »

« Le montant total d'argent qu'il est possible de créer n'a qu'une seule limite réelle : le montant total de la dette. »

« Les gouvernements placent une limite légale sur la création d'argent fictif en imposant des règles sur les obligations de réserves fractionnelles, mais ces obligations sont fondamentalement arbitraires. Elles varient d'un pays à un autre, d'une époque à une autre. Longtemps, il a été commun d'exiger que les banques aient au moins un dollar en or en réserve pour garantir dix dollars d'argent-dette. Aujourd'hui, les ratio de réserves minimales ne s'appliquent plus du tout au rapport entre argent nouvellement créé et or en dépôt, elles [sic] s'appliquent uniquement au rapport entre argent nouvellement créé et argent existant. Aujourd'hui, les réserves d'une banque sont faites de deux choses : le montant en devises bien réelles qu'elle a déposé à la banque centrale et le montant total de son argent-dette. »

« En résumé, la réserve initiale d'un peu plus de mille cent onze dollars [1111,12] à la banque centrale permet de récolter des intérêts sur des sommes allant jusqu'à 100 000 dollars, que la banque [le système bancaire] n'a jamais eus. »

« En quelques décennies, à cause du lobbying féroces des banques, les obligations de réserves ont quasiment disparu dans plusieurs pays »

« l'argent créé par le gouvernement représente en général moins de 5 % de l'argent en circulation »

« dans le monde artificiel de l'argent, la simple promesse faite par une banque de vous prêter de l'argent est considérée comme de l'argent véritable »

« Est-ce que vous vous êtes déjà demandé comment tout le monde -- les gouvernements, les entreprises, les familles – peut être endetté en même temps et pour des sommes aussi colossales ? Est-ce que vous vous êtes demandé comment il peut y avoir tant d'argent à emprunter ? »

« Sans dettes, il n'y aurait pas d'argent du tout. »

« Il faut bien souligner que les banquiers créent uniquement le montant du principal ; ils ne créent pas l'argent qui sert à payer les intérêts. Alors, d'où vient cet argent ? Le seul endroit où les emprunteurs peuvent obtenir de l'argent pour payer les intérêts est l'ensemble des fonds de l'économie générale. Mais presque tous ces fonds ont été créés de la même façon, à partir de crédits bancaires. Donc partout, il y a des emprunteurs qui se trouvent dans la même situation : ils cherchent désespérément l'argent pour rembourser le principal et les intérêts dans une réserve globale d'argent qui ne contient que le principal. Il est tout à fait impossible pour tout le monde de payer le principal plus les intérêts car l'argent des intérêts n'existe pas. [...] Le grand problème, c'est que pour les emprunts à court [sic] terme, comme les hypothèques et les emprunts gouvernementaux, où les intérêts dépassent de loin le principal, les risques de saisies, et donc les dangers pour l'économie, sont très grands. À moins de créer beaucoup d'argent pour payer les intérêts. Pour que la société continue de fonctionner, le taux des saisies doit rester bas. De plus en plus de nouvelles dettes doivent être créées pour trouver l'argent qui servira à payer les dettes précédentes. Alors bien sûr, la dette totale augmente, et les intérêts aussi, ce qui cause une escalade exponentielle de l'endettement. Seul le temps qui sépare la création des nouveaux emprunts et leur remboursement empêche le manque d'argent global de mettre le système en faillite. »

« Comment un système monétaire fondé sur l'accélération perpétuelle de la croissance peut-il servir à construire une économie durable ? »

lundi, octobre 06, 2008

Mille milliards... !

L'éditeur Steve Forbes, qui publie chaque année le palmarès des plus grandes fortunes de la planète, affirmait en entrevue, début octobre, que la crise des subprimes n'avait, somme toute, jusqu'à présent, pas été si coûteuse.

Il compare ce que le gouvernement Bush a dû injecter dans l'économie, 1200 milliards de dollars, aux actifs financiers nets des Américains qui totalisent, tenez-vous bien, 30 000 milliards de dollars ! À quoi s'ajoutent les 20 000 milliards d'actifs non financiers, comme les maisons et les automobiles. (1)

50 000 milliards de dollars, donc... Que pour les États-Unis. Ajoutons maintenant l'Europe, le Japon, les grandes fortunes dans les pays dits émergents, les monarchies pétrolières...

Des centaines de milliers de milliards de dollars.

Et dire que le Programme alimentaire mondial (PAM) a toutes les difficultés à obtenir une fraction d'un seul petit milliard, qu'il doit réitérer sans cesse ses appels d'urgence en faveur des plus démunis, et que lorsqu'elle arrive enfin, cette petite fraction d'un milliard, elle est le plus souvent « liée ». Le PAM est en effet obligé de retourner, en quelque sorte, les sommes reçues en achetant ses approvisionnements auprès des pays donateurs, ce qui accroît le coût de ses interventions et en diminue l'efficacité. Le Canada a d'ailleurs promis de mettre fin à sa politique d'« aide liée »... en 2012.

Mais le plus souvent, ce n'est pas ce scénario qui prévaut. Le plus souvent, le scénario, c'est qu'il n'y a pas d'aide du tout. Devant les caméras et les médias du monde entier, les chefs d'État, affectant un air grave et soucieux, promettent des milliards de plus en aide au développement, milliards qui ne viennent jamais. La commission Africa Progress Panel, mise sur pied pour suivre la concrétisation des promesses faites lors du sommet du G8 en 2005 en Écosse, écrit que les pays riches sont à 40 milliards de dollars en deçà de leurs engagements. (2)

Pire encore, ces riches pays donateurs qui donnent si peu, ressentent maintenant une certaine « lassitude », devant le peu de progrès observé sur le terrain, et dans un contexte de crise financière mondiale.

__________

(1) Lévesque, Claude. « Steve Forbes croit que la crise financière n'aurait pas dû atteindre de telles proportions ». Le Devoir [En ligne] (Jeudi 2 octobre 2008) (Page consultée le 6 octobre 2008)

(2) Reuters. « Les pays riches n'ont pas tenu les promesses qu'ils avaient faites à l'Afrique ». Le Devoir [En ligne] (Mardi 17 juin 2008) (Page consultée le 6 octobre 2008)

mercredi, octobre 01, 2008

Censure ? C'est sûr !

Ce qu'on ne sait pas ne fait pas mal... aux conservateurs

Dernier de trois textes

Depuis le début de la campagne électorale, les demandes des médias concernant la santé mentale des soldats ou les coûts de la guerre en Afghanistan ne reçoivent aucune réponse. La directive émane du Conseil privé, c'est-à-dire de Harper lui-même. Une autre directive oblige les fonctionnaires et les militaires à transmettre au bureau du premier ministre toutes les demandes des médias. Ainsi, les entrevues, les communiqués de presse et les autres informations, même factuelles, doivent être approuvées par l'entourage de Stephen Harper, qui juge si le public a le droit de savoir. « Cette directive n'a pas été écrite. Vous ne trouverez rien si vous faites des demandes d'accès à l'information. L'objectif est de ne pas laisser de traces. Il ne faudrait pas que les gens sachent que le ministère de la Défense ne contrôle plus ses communications et que le public entend seulement ce que les conservateurs veulent », a dit une source militaire qui a reçu la directive. (1)

Les conservateurs avaient pourtant fait de la transparence l'un des thèmes forts de leur campagne électorale en 2006. Ayoye !

En dépit de l'adoption d'une loi qui devait améliorer l'accès du public aux documents gouvernementaux, le nombre de plaintes adressées au commissaire à l'information fédéral est en hausse fulgurante depuis avril dernier. Les délais pour recevoir des documents en vertu de la Loi d'accès à l'information sont devenus souvent abusifs, ce qui inquiète le commissaire, Robert Marleau. Au banc des accusés : le contrôle exercé, encore une fois, par par le Conseil privé, qui est le ministère du premier ministre et le tout-puissant centre nerveux de la machine politique à Ottawa. L'omertà imposée par les conservateurs à la fonction publique est sans précédent. Elle est devenue un sujet de fascination morbide dans les capitales provinciales et un sujet préoccupant pour ceux qui se soucient de l'état des politiques publiques au Canada.

Aussi, nul n'a été étonné d'apprendre récemment que, même si plusieurs des dossiers associés au ministère fédéral de l’Environnement sont de nature scientifique ou technique, ses fonctionnaires ne peuvent plus parler librement aux médias pour mieux expliquer les nuances de certaines problématiques. En effet, Environnement Canada a récemment instauré un « Protocole pour les relations médias », comme le dévoilait le service de presse de Canwest en février. Le blogue écologiste canadien DeSmogBlog a récemment mis la main sur le protocole en question, qui explique la marche à suivre lorsqu’un journaliste contacte un employé d’Environnement Canada. Le document de douze pages précise que le service des médias d’Environnement Canada « pourrait demander à l’expert de répondre [aux questions des médias] avec des réponses préapprouvées ». Le bureau d’Ottawa assure la coordination des appels médias à travers le pays, alors que cette responsabilité dépendait jusqu’à récemment des bureaux régionaux, comme ceux qui se trouvent à Montréal et à Québec, par exemple. (2)

Les cas de censure affectent tous les ministères, mais davantage ceux de la Défense, de l'Environnement et de la Santé où des décisions contraires au bien commun pourraient susciter la controverse. Le cas du rapport de Santé Canada est notoire. Dévoilée par Santé Canada sans tambour ni trompette, à 16 h 30, un mercredi, au beau milieu de l'été, une analyse exhaustive de Santé Canada met pourtant en garde la population face à l'augmentation probable de décès et de plusieurs maladies et à l'apparition de nouvelles pathologies associées au réchauffement de la planète. Or, selon les informations obtenues par Le Devoir, la version définitive de cette analyse climatique et sanitaire a été achevée en janvier 2008 pour une publication initiale prévue au printemps 2008. Le lancement de ce document d'envergure à l'heure de la lutte contre les gaz à effet de serre devait également être accompagné d'une campagne médiatique d'un océan à l'autre en juin cette année. Objectif : sensibiliser les acteurs de la santé aux défis qu'ils risquent d'avoir à affronter dans les prochaines années. « Mais tout ça été annulé à la dernière minute, sans raison », a indiqué Gordon McBean de l'Institut de prévention des sinistres catastrophiques de la University of Western Ontario qui devait animer mi-juin, à Halifax, une conférence autour de ce rapport qu'il signe d'ailleurs.

En choeur, les auteurs de ce document ont dénoncé le manque de transparence du ministère fédéral qui semble vouloir compliquer l'accès au rapport pour les simples citoyens : l'étude est disponible en effet uniquement sur demande par courrier ou par courriel. Il est impossible de la télécharger directement lors d'une visite sur le site Web de Santé Canada, comme cela est proposé pourtant pour un ensemble d'autres documents portant sur une multitude de sujets, sans doute moins polémiques.

« J'ai travaillé récemment pour l'Organisation mondiale de la santé [OMS] sur un rapport d'épidémiologie environnementale en Azerbaïdjan pour lequel nous avons rencontré un problème similaire », a indiqué hier au Devoir Colin Soskolne de l'École de santé publique de la University of Alberta, l'un des auteurs du rapport de Santé Canada. « La sortie de ce document de l'OMS a été plusieurs fois retardée par le gouvernement de cette ancienne république soviétique parce qu'il porte sur un sujet délicat pour lui. J'y vois malheureusement des similarités avec le niveau d'intervention politique qui a accompagné le dévoilement du rapport de Santé Canada. Ça donne à réfléchir sur le style de gouvernance fédéral actuel qui s'apparente à celui que l'on retrouve aujourd'hui dans l'ex-URSS. » (3)

Le pire, c'est que cette censure brutale n'arrive pas seule. Elle s'accompagne d'une propagande tout aussi dénuée de scrupules. Le Parti conservateur a produit une série de documents d'interventions publiques à l'intention de ses militants sur tout un éventail de sujets allant des changements climatiques aux garderies, en passant par les impôts. Pour les partisans conservateurs, la procédure est simple. Il leur suffit de se rendre sur le site Internet du parti et de cliquer sur un sujet qu'ils aimeraient aborder à la radio : le site leur fournira automatiquement les coordonnées des émissions de radio locales où appeler, ainsi qu'une liste commode de positions toutes prêtes favorables aux conservateurs et moins favorables à l'égard de leurs adversaires. Le site contient aussi des suggestions similaires à l'intention de ceux qui souhaitent écrire des lettres aux journaux. Un porte-parole du parti, Ryan Sparrow, soutient que cette pratique assure une « transparence améliorée » ! (4)

Toute la hargne des conservateurs, toute leur agressivité ne vise qu'à un seul but : remporter les élections, obtenir enfin le pouvoir, tout le pouvoir. Et pour cela, comme les républicains de Bush, tricher, intimider des fonctionnaires, mentir, censurer, contrôler les médias. La méthode est efficace : les Canadiens s'apprêtent à élire un gouvernement majoritaire. Sont-ils conscients des conséquences dramatiques de leurs votes ?

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(1) Castonguay, Alec. « Harper impose le silence aux militaires ». Le Devoir [En ligne] (Mardi 30 septembre 2008) (Page consultée le mercredi 1er octobre 2008)

(2) Beauchamp, Alexis. « Environnement Canada limite l’accès des médias à ses fonctionnaires ». Vision durable [En ligne] (Lundi 3 mars 2008) (Page consultée le mercredi 1er octobre 2008)

(3) Deglise, Fabien. « Rapport climat et santé - La manière Harper indigne les chercheurs ». Le Devoir [En ligne] (Mardi 5 août 2008) (Page consultée le mercredi 1er octobre 2008)

(4) Presse canadienne. « Ce que tout bon militant conservateur doit dire ». Le Devoir [En ligne] (Mercredi 26 mars 2008) (Page consultée le mercredi 1er octobre 2008)

À lire aussi :

-- « Harper, à l'exemple de Bush ». 25 septembre 2008

-- « Reconnaissance du Québec comme nation ? ». 16 septembre 2008

samedi, septembre 27, 2008

À n'y rien comprendre

Deux articles publiés hier et aujourd'hui me laissent quelque peu confus. L'un, de Louis-Gilles Francoeur, rend compte de données divulguées par le Carbon Disclosure Project (CDP). Ces données, fournies par 385 des 500 plus grandes entreprises dans le monde de manière volontaire, sans vérifications indépendantes, coincident étrangement avec d'autres données recueillies sur une base beaucoup plus large par des spécialistes associés à l'ONU et publiées dans le Global Carbon Budget (GCB).

Voici ce qu'écrit Francoeur :

« Le taux d'accroissement des émissions anthropiques [de GES], qui était de 0,9 % par année entre 1990 et 1999, est en effet passé, entre 2000 et 2007, à 3,5 % par année ». (1)

Voici les données du GCB, telles que rapportées dans Vision durable :

« La croissance annuelle des émissions était de 0,9 % entre 1990 et 1999, mais elle est passée à 3,5 % pour la période 2000 à 2007. Les émissions mondiales sont maintenant 38 % plus élevées qu’elles ne l’étaient en 1990, l’année de référence du Protocole de Kyoto ». (2)

Cette coïncidence est pour le moins suspecte. Il est à se demander si Francoeur ne s'est pas trompé quelque part. Son article fait mention de 1,5 gigatone de GES émis par la déforestation, qui n'est pourtant pas abordée dans le rapport 2008 du CDP.

En outre, comment des données identiques peuvent-elles exprimer des tendances aussi contradictoires ? Chez Francoeur :

« En effet, l'augmentation globale constatée par le regroupement des multinationales s'accompagne d'une nette réduction de l'intensité des émissions, ce qui veut dire qu'on produit des biens et services aujourd'hui avec moins de carbone. Mais comme les activités et la production des biens se multiplient, le total des GES augmente en chiffres absolus. Ainsi, en 1970, on utilisait 0,35 kg de carbone par dollar de PNB, alors qu'aujourd'hui on utilise 0,20 kg de carbone pour le même produit économique ».

Dans Vision durable :

« Environ 17 % de la hausse des émissions serait imputable au recul de l’' efficacité-carbone ' de l’économie, c’est-à-dire qu’il faut émettre aujourd’hui plus de GES pour obtenir un dollar de PIB qu’en 2000 ».

À n'y rien comprendre.

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(1) Francoeur, Louis Gilles. « Gaz à effet de serre - Les émissions dépassent les prévisions les plus pessimistes, selon des multinationales ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi 27 et dimanche 28 septembre 2008) (Page consultée le 27 septembre 2008)

(2) Beauchamp, Alexis. « La croissance des GES dépasse les prévisions les plus pessimistes ». Vision durable [En ligne]. (Vendredi 26 septembre 2008) (Page consultée le 27 septembre 2008)

vendredi, septembre 26, 2008

Vote stratégique

Devant la menace d'un gouvernement conservateur majoritaire, l'idée de « vote stratégique » fait son chemin. Il s'agit, pour chaque électeur, de voter non pas nécessairement pour son candidat préféré mais pour celui qui, dans sa circonscription, est le plus susceptible de battre le candidat conservateur.

Mais comment choisir entre le candidat du Bloc, du NPD, du PLQ ou des Verts ?

Un site très utile vient d'être créé pour répondre à cette épineuse question. Voter pour l'environnement couvre l'ensemble du territoire canadien. Vous choisissez votre circonscription ou, si vous ne la connaissez pas, vous entrez votre code postal, et vous obtenez toute l'information nécessaire.

Par exemple, dans Louis-Hébert, une circonscription de la région de Québec où les conservateurs sont populaires, Voter pour l'environnement vous donne d'abord la liste des candidats, puis sa suggestion :

« Ce sera une chaude lutte, mais bien que le conservateur n'ait gagné que par 231 votes lors de la dernière élection, il a triplé les appuis conservateurs. Aucun autre parti n'a de chances de remporter et les analyses démontrent que la division des votes pro-environnement assure une victoire conservatrice. Nous recommendons donc de voter pour le Bloc ».

Dans une autre circonscription, c'est un libéral qui sera recommandé, dans une autre, un néo-démocrates ou un Vert. Ce qui importe, c'est de battre la clique des radicaux de Harper.

jeudi, septembre 25, 2008

Harper, à l'exemple de Bush

Deuxième texte de trois.

Jamais le Canada n'a été dirigé par un parti politique inspiré d'une idéologie de droite aussi radicale. À l'époque de Mulroney ou Joe Clark, le Parti conservateur (PC) présentait un tout autre visage, plus modéré, plus près du centre, là où se tient la majorité des Canadiens à l'exception des Albertains. C'est d'ailleurs dans la province du pétrole et du pick-up qu'est né dans les années 1990 le Reform party de Stephen Harper qui aujourd'hui contrôle le PC. On compare souvent ces nouveaux conservateurs aux républicains de George Bush. Avec raison.

D'abord, ces deux formations ont accédé au pouvoir de manière très controversée, à la suite de manoeuvres frauduleuses. Malgré le déni de Harper et sa gang, Élections Canada persiste et signe : une soixantaine de candidats du PC ont bel et bien enfreint les règles de financement lors de la dernière campagne électorale, et ce, d'une manière concertée pour permettre à leur formation politique de dépenser plus que ses adversaires. Et le chien de garde des élections se défend d'être partisan : contrairement à ce que Stephen Harper prétend, aucun autre parti politique n'a utilisé les mêmes stratagèmes.

Mais il y a bien plus que la manière. L'alignement idéologique sans précédent sur Washington crève les yeux en matière de politique étrangère. De l'avis de Jean Daudelin, professeur en relations internationales à l'université Carleton, l'insistance sur la mission afghane en est une manifestation, tout comme le fait de souligner, fin mai 2008, « le Jour de solidarité avec le peuple cubain », une invention de Washington qu'aucun autre pays n'a reprise à son compte.

Titulaire de la chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatique, Charles-Philippe David est du même avis : « Depuis l'arrivée au pouvoir de ce gouvernement, le Canada calque de façon plus marquée ses positions sur celles des Américains ». Il cite, entre autres, le dossier israélo-palestinien. Le Canada a toujours soutenu Israël mais « se faisait le promoteur du dialogue, de la négociation, du compromis », dit-il. Lors de la guerre au Liban à l'été 2006, il s'est toutefois rangé clairement du côté d'Israël et a été un des premiers gouvernements à suivre la ligne dure avec le gouvernement élu du Hamas.

La réputation et l'influence du Canada dans l'arène multilatérale y perdent au change, croit Michael Byers. « Remettre en question nos engagements en matière d'environnement ou de droits autochtones et se lier trop étroitement aux Américains minent notre influence » (1)

En ce qui a trait à l'Afghanistan, il faut souligner en outre que les soldats canadiens y mènent des opérations offensives qui n'ont plus rien à voir avec le rôle pacificateur instauré il y a près de 50 ans par Lester B. Pearson. Les Canadiens croient que c'est encore ce rôle-là que jouent leurs soldats, malgré que 100 d'en eux ont été tués en combattant les talibans. À quoi servent tous ces morts ? Selon le général de brigade Mark Carleton-Smith, le plus haut gradé britannique en Afghanistan, il n'y aura pas de « victoire militaire décisive » dans ce pays, ce serait « irréaliste » de l'espérer. Pourquoi, par conséquent, ne pas privilégier la négociation, le soft power plutôt que le hard power ?

Autre point de convergence Harper-Bush : la politique d'immigration, avec le projet de loi C-50. Celui-ci est vivement contesté, non par l'opposition partisane, mais bien par l'Association du Barreau canadien qui presse le gouvernement fédéral de revoir les amendements prévus à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, amendements qu'elle qualifie de « sérieux recul » pour le Canada. Encore une fois, l'influence des républicains américains est manifeste. Les conservateurs s'orientent vers une politique semblable à celle qui, à une autre époque, interdisait aux juifs, aux Chinois et aux Noirs l'accès au territoire canadien. Dans le même esprit, Amnesty International notait cette semaine qu'Ottawa « n'a jamais pris clairement position contre le centre de détention de Guantanamo » et que le Canadien Omar Khadr demeure le seul Occidental à y être encore détenu. (2)

Enfin, comment ne pas parler d'environnement. Harper a refusé de participer à un débat portant exclusivement sur cette question. Et pour cause ! En seulement deux ans au pouvoir, les conservateurs ont réussi à isoler le Canada sur la scène internationale. Dans une étude récente de l'OCDE portant sur 25 indicateurs environnementaux, le Canada figure au 28e rang sur 29 en raison de l'inefficacité de ses politiques environnementales. (3)

Aligné sur le refus de Bush, Harper a contribué à saper les efforts internationaux en vue d'arriver à Carthagène à un accord sur les OGM, et, à Nairobi, sur un plan international de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Dès son arrivée au pouvoir, il a jeté aux ordures -- il aurait pu au moins le recycler ! -- le « plan vert » des Libéraux, supprimant bêtement tous les programmes de réduction des émissions de GES. La raison ? Toujours la même, que ce soit en matière de culture ou d'environnement : ces programmes n'étaient pas « efficaces ». Des évaluations indépendantes montraient pourtant que ce n'était pas le cas. À la place, le ministre de l'Environnement Baird a présenté un plan concocté sur mesure pour les pétrolières de l'Alberta qui pourront poursuivre leur saccage environnemental sans se soucier du réchauffement climatique.

Pendant ce temps, l'État du Bihar, en Inde, se noie sous des mètres d'eau pluviale, « la plus grande calamité nationale de l'histoire récente » selon les autorités indiennes. Même scénario en Afrique de l'Ouest. En Haïti, quatre ouragans se sont déchaînés sur le pays, quatre ! L'un après l'autre, en quatre semaines, sans donner aux populations la moindre chance de se relever. Du jamais vu. Dans la Corne de l'Afrique, au contraire, c'est la sécheresse. Des millions de victimes. Les phénomènes climatiques extrêmes se multiplient à la surface de la planète, une nouvelle expression vient même d'apparaître : « réfugiés climatiques ». Plus que jamais les Canadiens -- et les citoyens des pays qui attendent la solidarité canadienne -- ont besoin d'un gouvernement déterminé à stopper cette évolution. Et non pas d'un gouvernement qui leur offre effrontément une politique basée sur une réduction de l'« intensité » des émissions de GES. Une fumisterie qui, en outre, pénalise lourdement les entreprises québécoises qui ont pris le virage Kyoto depuis déjà longtemps. (4)

À son arrivée au pouvoir, Harper ne croyait pas au réchauffement climatique qu'il percevait comme un complot de la gauche. Ses actions depuis deux ans prouvent qu'il n'a pas évolué d'un iota sur cette question et qu'il se trouve pour cette raison de plus en plus isolé sur la scène internationale... tout comme l'administration Bush.

__________

(1)  Cornellier, Manon. « Harper, ministre des Affaires étrangères ? ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi 31 mai et dimanche 1er juin 2008) (Page consultée le 24 septembre 2008)

(2) « Le leadership du Canada s'est ' érodé ', selon Amnesty ». cyberpresse.ca [En ligne]. (Mercredi 24 septembre 2008) (Page consultée le 24 septembre 2008)

(3) Francoeur, Louis-Gilles. « Un climat plus chaud rendra le pays plus vulnérable ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi 8 et dimanche 9 mars 2008) (Page consultée le 24 septembre 2008)

(4) Plusieurs grandes entreprises québécoises ont réduit leurs émissions de GES au-delà de la cible fixée par le protocole de Kyoto, qui est de 6 % sous le niveau de 1990. Si ces entreprises avaient accès au marché international d'échanges de droits d'émissions de GES, elles auraient reçu pour ces réductions supplémentaires des « crédits de carbone » qu'elles auraient pu vendre à fort prix aux entreprises qui, elles, n'ont pas atteint leurs cibles de réduction.  Ainsi, ces entreprises québécoises exemplaires auraient pu rentabiliser leurs coûteux investissements dans des technologies moins polluantes et améliorer leur compétitivité. Mais voilà, les conservateurs empêchent ces dernières d'avoir accès à ce vaste marché en pleine expension. En lieu et place, Baird a créé un marché strictement canadien, où les crédits de carbone se vendent bien moins cher. Les entreprises québécoises sont donc doublement pénalisées, car non seulement leurs crédits de carbone perdent de la valeur, mais en plus elles ne peuvent obtenir de crédits pour les réductions d'émissions de GES antérieures à 2006, qui est la nouvelle année de référence au Canada. Quand on pense que le secteur de l'aluminium a déjà réduit ses émissions à 20 % sous leur niveau de 1990, et l'industrie manufacturière québécoise, elle, à 8,5 % sous le même niveau, on conclut que des millions de dollars sont arrachés au Québec et redistribués aux entreprises les plus polluantes comme les pétrolières. Le plan Baird, jusque dans ces moindres détails, cherche à épargner les plus grands pollueurs et, du coup, freine l'innovation et nuit à la compétitivité des entreprises qui veulent agir en faveur du climat.

Lire aussi :

« Reconnaissance du Québec comme nation ». 16 septembre 2008

samedi, septembre 20, 2008

Rions de Harper !

Près de 200 000 internautes ont déjà vu ce vidéo absolument hilarant, intitulé Culture en péril. Harper coupe dans la culture, et c'est le Québec qui est le plus affecté par cette décision idéologique et stupide. L'heure et à la mobilisation. Rions ! Et allons voter le 14 octobre !

mardi, septembre 16, 2008

Reconnaissance du Québec comme nation ?

La campagne qui s'amorce se distinguera par le fait qu'elle sera la première en quarante ans à ne pas faire une place centrale au débat sur la relation du Québec avec le reste du Canada (ROC). Les temps changent. Ils changent tellement que Stephen Harper est aussi populaire au Québec que Gilles Duceppe. Ayoye ! Pincez-moi que'qu'un !

En réaction j'ai donc écrit le texte qui suit, un collage d'extraits d'articles du Devoir. Il s'agit du premier volet d'un survol des deux années de gouvernement Harper. Il est question ci-dessous de la reconnaissance de la nation québécoise. Le deuxième volet aura trait à la politique étrangère ; le troisième, à la censure.

Reconnaissance du Québec comme nation ?

Un peu plus de la moitié des Québécois se déclare satisfait du gouvernement Harper. Ce n'est pas rien. Le premier ministre a réussi à nous faire croire qu'il est un allié des nationalistes, cela en contrôlant comme jamais auparavant l'information et en y allant de gestes ponctuels sans conséquence. Ainsi, la reconnaissance par le parlement fédéral du Québec comme nation au sein du Canada. Il convient d'abord de rappeler que l'initiateur involontaire de geste d'ouverture est Michael Ignatieff qui, lors de la course au leadership du Parti libéral du Canada l'année dernière, avait violer LE tabou politique au sein du ROC en lançant devant 1,5 million de téléspectateurs :

Mais bien sûr que le Québec forme une nation.

Aïe, aïe, aïe ! Grand émoi à Ottawa. Confusion chez les libéraux, Stéphane Dion sur la défensive alors que le Bloc passe à l'offensive. C'est finalement Harper qui a mis fin à la cohue en faisant voter une motion reconnaissant le Québec comme nation.

Mais que veut-elle dire, cette reconnaissance ?

Le Bloc québécois a saisi la balle au bond en présentant des projets de loi pour tester le sérieux de Harper. Ces lois -- si elles avaient été votées -- auraient permis d'assujettir les entreprises québécoises sous juridiction fédérale (port, aéroport, banques, par exemple) à la loi 101, de soustraire le Québec à la Loi sur le multiculturalisme ou encore de lui donner la maîtrise d'oeuvre en matière de télécommunications.

Cette reconnaissance n'a qu'une portée symbolique faible qui ne change rien aux préjugés profondément enracinés. Rappelons que Harper a déjà été président de la National Citizens Coalition qui finançait les efforts de Brent Tyler pour tailler en pièces la loi 101 devant les tribunaux. Reportons-nous également à l'époque où Stéphane Dion, alors ministre dans le gouvernement Chrétien, a créé la controversée Loi sur la clarté. Ce qui est peu connu, c'est que cette loi tant détestée ici est beaucoup inspirée d'un projet que M. Harper avait lui-même présenté en octobre 1996. Ce qui n'empêchait pas les deux hommes d'avoir des vues diamétralement opposées sur la nature du nationalisme québécois. Dans un échange épistolaire publié dans le Calgary Herald à la même époque, M. Harper parlait de nationalisme ethnique et de xénophobie, M. Dion soutenait que la société québécoise était aussi ouverte que la société canadienne dans son ensemble. Il soulignait également que les lois linguistiques québécoises étaient plus souples et plus libérales que leur équivalent dans d'autres sociétés multilingues progressistes, comme la Suisse, la Belgique ou la Finlande.

Qui aurait pu croire ? Harper plus anti-Québec que Dion ! Le premier ministre que l'on voit aujourd'hui a beau cultiver une image d'ouverture, mais son attitude fermée et étroite transparaît dans tous les dossiers qui nous importent ici.

Un autre exemple nous a été fourni cet été. Il touche à l'histoire même des Canadiens français en Amérique. Le journaliste Christian Rioux faisait remarquer que des sommes considérables ont été investies depuis une décennie par Ottawa dans le dessein évident de faire de l'ombre au 400e anniversaire de Québec et donc à Champlain. C'est ainsi qu'on a vu, comme par hasard, se multiplier les colloques en France et au Québec destinés à promouvoir, non pas la fondation de Québec en 1608, mais cellede l'Acadie en 1604 ; non pas Champlain le catholique, mais Pierre Dugua de Mons le protestant, qui créa un premier établissement malheureux à l'île Sainte-Croix et commandita la fondation de Québec.

À Ottawa, les débats sur l'histoire du Canada ont continué, alors que le Bloc québécois dénonçait le contenu d'une publication de Patrimoine Canada. Intitulée La Couronne canadienne -- La monarchie constitutionnelle au Canada, cette publication avance que le Canada a eu un monarque depuis le début du XVIe siècle, soit le roi Henri VII d'Angleterre (1485-1509) et le roi François 1er (1515-1547), en fait deux monarques simultanément. Cette double monarchie se serait maintenue jusqu'à la Conquête, écrit Patrimoine Canada. Le député du Bloc, Michel Guimond, a qualifié cette thèse de « réécriture surréaliste de l'histoire ». Le secrétaire d'État au Multiculturalisme et à l'Identité canadienne, Jason Kenney, a indiqué qu'il allait vérifier, mais que l'histoire canadienne, selon la conception du gouvernement Harper, commençait avec les premiers voyages des explorateurs français et anglais. (1)

Ce débat n'est pas superficiel : dire que les premiers explorateurs français ont fondé le Canada tel qu'on se le représente aujourd'hui, dominé par la culture anglo-saxonne, c'est affirmer dans le même souffle qu'il n'y a pas de nation québécoise.

Cettenégation effective de notre existence apparaît àtravers de nombreuses politiques du gouvernement Harper. Pour n'ennommer que quelques unes :

-- Pouvoir fédéral de dépenser et repect des compétences provinciales. Certains observateurs font remarquerque, contrairement à ce qu'il prétend, le gouvernement Harper a enfreint à plusieurs reprises les principes du partage des pouvoirs. Notamment en matière de santé, une compétence exclusive des provinces, le fédéral a créé la Commission canadienne de la santé mentale ; il a mis sur pied une fiducie de 300 millions de dollars pour un programme de vaccination des femmes contre le virus du papillome humain ; il a créé le Conseil national des aînés ; il finance depuis 2006 le Partenariat canadien contre le cancer ; il finance une Stratégie canadienne en matière de santé cardiovasculaire. Pour plusieurs de ces nouvelles structures, le Québec réclame sa part de financement qui lui permette de créer ses propres programmes.

-- Déséquilibre fiscal. En dépit des prétentions des conservateurs, ce dossier n'est toujours pas réglé. La nouvelle méthode de calcul de la péréquation instaurée sous les libéraux prive le Québec de 200 millions de dollars par année. Ce n'est pas rien. De plus, fait encore plus significatif, Ottawa continue d'accumuler les surplus budgétaires alors qu'ici, le gouvernement Charest a toutes les misères du monde à cacher les déficits récurrents des comptes publics. Or, sans ressources financières suffisantes, le Québec ne peut affirmer son « caractère distinct », son identité, doit gérer à la petite semaine des programmes de moins en moins généreux, de plus en plus « conservateurs », tournés vers des « PPP »... Comment ne pas se rappeler a contrario que la Révolution tranquille s'est accompagnée d'un accroissement considérable des dépenses publiques. Sans ces dépenses, nous n'aurions peut-être pas eu la « castonguette », et certainement pas les cégeps et le réseau de l'Université du Québec. Sans ces dépenses, nous n'aurions pas pu nous réinventer.

-- Fédéralisme centralisateur. Le pouvoir fédéral de dépenser et le déséquilibre fiscal sont le fait d'un fédéralisme centralisateur qui convient parfaitement aux conservateurs. Ceux-ci n'ont absolument pas l'intention de céder des pouvoirs aux provinces. Plutôt le contraire. Le dernier budget Flaherty a réservé « une grande déception » à la présidente du conseil du trésor, Mme Jérôme-Forget, selon son propre aveu : la création d'une commission des valeurs mobilières unique. Un comité doit être formé pour rédiger la loi qui impose cette commission pan-canadienne. Or, aucune province, sauf l'Ontario, n'en veut de cette commission. Toutes les études démontrent qu'elle serait nuisible. Mais Ottawa en fait une véritable obsession : centraliser à Toronto le commerce des valeurs mobilières, qui est, rappelons-le, de compétence exclusivement provinciale.

-- La culture. En matière culturelle, c'est le même esprit qui règne. Une forme de « souveraineté culturelle » pour le Québec : c'est ce que le premier ministre Jean Charest a réclamé, le 12 septembre, en ce début de campagne électorale fédérale marqué par des manifestations d'artistes opposés aux coupes de 44 millions du gouvernement Harper en matière culturelle. M. Charest, qui considère les coupes fédérales comme une atteinte à l'identité et à l'économie du Québec, a insisté lourdement sur le fait que le Québec « est le seul endroit francophone en Amérique et qu'il dispose d'une culture qui est très riche, très spécifique ». À ses yeux, une entente pour redonner au Québec sa pleine autonomie en matière culturelle, est une « question de bon sens » puisque, en pratique, le Québec obtenait près de 50 % des 44 millions supprimés par Josée Verner, la ministre du Patrimoine. (2)

Réponse de Harper :

No way.

Inutile de dire que la rencontre fédérale-provinciale des ministres de la Culture, prévue pour les 24 et 25 septembre à Québec, n'aura pas lieu : la ministre Josée Verner n'entend pas s'y présenter.

Le comité du Patrimoine de la Chambre des communes a lui aussi été muselé. Il ne pourra pas, comme le permet son mandat, étudier les coupes dans le financement de la culture.

Le Canada était pourtant déjà, et de très loin, le cancre de la classe internationale des pays riches, avec sa médiocre diplomatie culturelle. Pour fin de comparaison, mentionnons que le British Council consacre maintenant plus d'un milliard par année à ces affaires culturelles internationales ; le réseau du Goethe-Institut emploie 3300 personnes en Allemagne et dans 90 pays ; la France déploie plus de 150 établissements culturels dans le monde.

Les quelque 45 millions retranchés à 13 programmes touchent la préparation des expos muséales comme l'archivage et la mise en ligne d'oeuvres canadiennes, la formation des futurs scénaristes comme le soutien au développement de nouveaux marchés pour les produits culturels ou l'aide à la « chaîne d'approvisionnement » de l'industrie de l'édition. Le livre, la danse, les arts visuels : les coupes vont saigner à blanc tous les secteurs. Et c'est surtout, répétons-le, le Québec qui écope. Par exemple, en 2004-2005, 19 compagnies de danse québécoises ont effectué 29 tournées dans le monde, pour un total de 263 représentations données dans 15 pays. Une compagnie aussi renommée que La La La Human Steps va en souffrir, selon Édouard Lock, son célébrissime chorégraphe : « Les deux tiers de nos revenus proviennent de l'extérieur du Canada. Concrètement, ça veut dire que les fonds fédéraux ont un effet de levier : ils nous donnent accès à des subventions accordées par l'étranger à une compagnie canadienne. Sans cet argent de départ de l'intérieur, les fonds extérieurs risquent de disparaître. » (3)

Le gouvernement prétend que les programmes supprimés souffraient d'inefficacité chronique, sans toutefois pouvoir en fournir la moindre preuve. L'argument politique et diplomatique ne tient pas davantage. La mondialisation croissante comme la réalité du monde depuis les attentats de 2001 ont mis en évidence une certaine faillite de la diplomatie classique et du même coup l'importance d'établir des ponts -- plutôt que de fermer des portes -- entre les cultures et les civilisations. Le professeur de sciences politiques Joseph Nye, de l'Université Harvard, propose même de faire de la diplomatie culturelle un rouage central des relations internationales au XXIe siècle, ce que de plus en plus d'États mettent carrément en pratique.

La vérité, derrière ces coupes, est évidemment idéologique. En sabrant dans un programme de diplomatie culturelle tandis qu'il bonifie à coups de milliards les budgets militaires et les dépenses de sécurité, Harper favorise les relations coercitives plutôt que la diplomatie culturelle, le hard power plutôt que le soft power. De plus il bâillonne une voix qui propageait à travers le monde des valeurs trop progressistes, trop pluralistes et ouvertes pour son esprit réactionnaire, frileux et borné.

Voilà, concrètement, ce que nous donne notre reconnaissance en tant que nation. Pour faire illusion, Ottawa a ajouté un fonctionnaire à la délégation canadienne à l'UNESCO pour nous représenter.

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(1) Dutrisac, Robert et Porter, Isabelle. « 400e de Québec : Couillard corrige Charest ». Le Devoir [En ligne]. (Mardi, 13 mai 2008) (Page consultée le 16 septembre 2008)

(2) Robitaille, Antoine. « Charest réclame une souveraineté culturelle ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi, 13 et dimanche, 14 septembre 2008) (Page consultée le 16 septembre 2008)

(3) Baillargeon, Stéphane. « Haro sur la culture ' Made in Canada ' ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi, 30 et dimanche, 31 août 2008) (Page consultée le 16 septembre 2008)

jeudi, février 21, 2008

Il y a conscience et conscience

Un article du Devoir fait état d’observations démontrant que certains animaux sont capable de pensée réflexive, ce qui témoignerait d’un certain niveau de conscience : « Des expériences contrôlées ont démontré, par exemple, comment des geais cachent leurs graines différemment s’ils se sentent épiés par d’autres compères. Se sachant voleurs, ils savent que les autres le sont aussi et, par réflexion sur leur propre comportement, ils vont circonscrire ce comportement qu’ils savent culturel ! » (1) [C’est moi qui souligne]

Ce qu’il y de fascinant dans l’exemple ci-dessus, c’est que le scientifique, ayant observé le comportement de l’oiseau, va lui prêter une pensée qu’il est pourtant le seul à pouvoir formuler ! Pas banal ! Se peut-il que cet homme brillant fasse abstraction du fait qu’une pensée qui n’a pas de langage pour s’exprimer n’est pas une pensée ? Le geai ne peut pas se savoir voleur. Il peut l’être à nos yeux, point. J’insiste : l’être. Et à nos yeux seulement. Parce que nous seuls avons le concept (« voleur ») pour construire cette réalité et l’exprimer.

C’est une chose de reconnaître aux animaux une forme d’intelligence, peu importe le sens que l’on donne à ce mot, mais c’en est une autre d’attribuer à certaines espèces une « culture », voire même une « conscience » comme le rapporte l’article. Les animaux communiquent entre eux au moyen de langages, lesquels, pour être variés et d’une complexité inégale, ont tous en commun de ne pas permettre la pensée conceptuelle abstraite. Le plus évolué des animaux, si on exclut l’homo sapiens, ne sait pas ce qu’est un « animal », il ne peut pas penser le concept d’« animal ». Le chimpanzé n’a pas de mot pour se désigner, se caractériser par rapport aux autres primates et animaux. Il ne sait pas ce qu’il est. Pas plus que le geai ne sait qu’il est voleur.

De même, le chimpanzé, que l’on dit si près de l’Homme, ne peut pas éprouver les sentiments comme nous. Chez l’Homme, tout sentiment est double. Ce que nous appelons, par exemple, « joie » est, indissociablement, conscience de cette joie. Notre tristesse est aussi conscience de cette tristesse. C’est cette conscience, qui vient en quelque sorte doubler tous nos sentiments, qui fait que ceux-ci n’ont pas d’équivalent dans tout le règne animal.

Ainsi, quand on dit que notre chien est « content » parce qu’il remue la queue, on péche par abus de langage, par anthropomorphisme. Un chien ne peut pas être « content » ou « joyeux ». Le chien peut seulement vivre un état entier que nous, humains, du fait de notre conscience structurée par le langage conceptuel, nous associons à un sentiment de « joie ».

Cet anthropomorphisme envahissant, c’est le grand malentendu entre l’Homme et le reste du règne animal. C’est notre bêtise de tous les jours. Bêtise qui m’énaaaarve ! Surtout lorsqu’elle s’ignore. Je n’en peux plus de voir ces vieilles matantes parler à leur petit chien comme si c’était un enfant, convaincues qu’elles sont que l’animal comprend ce qu’elles lui disent. Il y a dans cette attitude si répendue -- il n'y a pas que les vieilles matantes -- l’apparence d’un malaise social qui me désole et, parfois, m’inquiète.

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(1) Francoeur, Louis Gilles. « Y a-t-il des «cultures»animales ? ». Le Devoir [En ligne]. (Jeudi, 21février 2008) (Page consultée le 21 février2008)

dimanche, février 17, 2008

Carrières brisées

22 janvier, 16 h 45. Catia, ma préposée du mardi, arrive du travail. Fatiguée. Avant d’attaquer ici le quart du soir, elle s’affale sur la causeuse du salon, allume la télé. Ouf ! Moment de repos bien mérité.

Sur LCN, les nouvelles banales se succèdent comme à l’accoutumée, jusqu’à ce que retentisse LA nouvelle. Catia, du coup arrachée à sa torpeur, n’en revient pas : le décès de Heath Ledger !

Qui ? que je lui demande.

Heath Ledger.

Elle m’explique : un artiste brillant, il a joué dans Brokeback Mountain, jeune, doué, etc.

Ah.

C’est alors que je remarque, défilant simultanément au bas de l’écran, ce sous-titre absolument muet et dramatique : « Les conflits armés, la maladie et la malnutrition tuent chaque mois 45 000 personnes en République démocratique du Congo ». (1)

Combien de carrières brisées comme celle de ce Ledger ?

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(1) AFP. « En bref - RDC : 45 000 personnes meurent chaque mois ». Le Devoir [En ligne]. (Mercredi, 23janvier 2008) (Page consultée le 29 janvier 2008)

« Il faut que le bébé tète tout le temps »

En lisant Foglia tout à l’heure, suis tombé sur ceci :

« Le système qui régit le monde, y compris la Chine soi-disant communiste, est une machine à créer des besoins et à les satisfaire. Pour que ça marche il faut que le bébé tète tout le temps, il faut que le bébé soit insatiable, il faut qu’il trépigne, j’en veux, j’en veux. Il faut qu’il ait toujours envie de. Je ne comprends pas pourquoi on a appelé ce système le libéralisme, il n’y a rien de libéral là-dedans.On aurait dû appeler cela l’assouvissement. C’est ce que c’est, de l’assouvissement. Un truc que je ne comprends pas du système. Plusieurs en fait, mais celui-là surtout. » (1)

Foglia emploi le mot « bébé » pour dire l'infantilisation.

Qu'a dit Bush au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 ? Aller dans les centres d'achats, aller acheter, dépenser.

C'est ce que veut le pouvoir de nous. Pour être bien sûr que nous n'allons pas économiser notre argent, travailler moins et utiliser nos temps libres à réfléchir à des questions embarrassantes pour lui, le pouvoir a inventé un système auquel il a donné un nom évocateur : libéralisme. Le libéralisme n'a pas pour but de faire de nous des citoyens libres et raisonnables, comme il serait tentant de le croire. Il a pour but au contraire de nous maintenir dans un état permanent d'aliénation, d'infantilisation. Et pour atteindre ce but, c’est mon propos d’aujourd’hui, un seul instrument, mais ô combien efficace : le kitsch.

Exemple. Le Devoir nous apprend en fin de semaine que la puissance des voitures vendues au Québec a augmenté de 55 % au cours des dix dernières années. Dans un contexte d'alarme climatique planétaire, il peut sembler étonnant de constater « que les gains réalisés par l'industrie automobile sur le plan technologique n'ont pas servi àdiminuer la consommation des véhicules et leurs émissions de gaz à effet de serre ». (2) Un citoyen raisonnable et socialement responsable n'utiliserait jamais une de ces voitures surpuissantes, polluantes et... plus dispendieuses. D’où la nécessité de la pub, dont la fonction première est, en utilisant ici le kitsch de la puissance, de susciter des comportements d'achat irresponsables. Le kitsch de la puissance est, pour les hommes en particulier, irrésistible. Il se compose d'un ensemble d'images facilement reconnaissables, appelés clichés. Parmi ces clichés : l'homme au volant de sa voiture fougueuse au moteur de 300, de 400 chevaux nerveux, prenant les virages à toute allure, maîtrisant sa monture mécanique, dominant la route. Ce cliché, dont les variantes sont innombrables, s'appuie sur un stéréotype : l'homme viril, c'est-à-dire l'homme, point. L'imagerie kitsch s'est emparé de ce stéréotype, l'a récupéré au profit des détenteurs pouvoir, en l’occurrence ici l’élite industrielle.

J'y reviendrai.

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(1) Foglia, Pierre. « L’assouvissement ». Cyberpresse.ca [En ligne] (Samedi, 19 janvier 2008) (Page consultée le 20 janvier 2008)

(2) Francoeur, Louis-Gilles. « Toujours plus grosses, toujours plus puissantes ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi, 19 et dimanche, 20 janvier 2008) (Page consultée le 20 janvier 2008)

vendredi, février 15, 2008

Non, mais vous plaisentez, là ?!

Deuxième de deux textes.

Il y a donc ceux qui perçoivent l'écologie comme une idéologie radicale, laquelle, en osant parler de décroissance, fait passer la cause « verte » avant l'Homme et son droit légitime au bonheur. C'est la position défendue par Louis Cornellier et le trop connu Claude Allègre, position que j'ai critiquée dans mon dernier billet.

À l'opposé, il y a ceux, plus rares, comme Pierre Foglia, que je cite :

« Ce qui m’emmerde dans l’écologie, c’est son infantilisation. Les premiers cours de recyclage sont donnés dans les maternelles, mais ni à la maternelle, ni au secondaire, ni à l’université on n’en vient jamais à l’essentiel : l’expansion illimitée de la production. Y compris la production illimitée de produits écologiques.

» Toute l’activité de la société est tournée vers l’expansion illimitée. C’est le moteur du monde.

» Or c’est ce moteur, pas celui de votre Toyota qui est la première cause du réchauffement de la planète. Parler d’écologie sans parler de réduction de la consommation est une plaisanterie. » (1)

J'ai mis sur YouTube un extrait d'entrevue accordée par le professeur Rodolphe De Koninck sur les ondes de Télé-Québec. Cet extrait illustre parfaitement le propos de Foglia.

De Koninck pose d'abord le constat facile : notre empreinte écologique est trop marquée, nous tirons de la planète plus de ressources qu'elle ne peut en produire. La solution ? Aïe, aïe, aïe ! C'est là que le propos s'enlise, s'enfonce dans la banalité la plus lâche. L'animateur pose la question : oui, mais que faire « concrètement » pour réduire notre empreinte écologique ? Réponse du spécialiste : concrètement, euh... « on continue à analyser les aspects négatifs de notre façon d'occuper la terre et puis on l'enseigne ». (2) That's it. La solution viendra d'elle-même plus tard -- ouf ! -- au fur et à mesure que les nouvelles générations mieux éduquées remplaceront la nôtre. Pas un mot sur une nécessaire et courageuse réduction à court terme de la consommation. La remise en question de notre mode de vie, laissons-la en héritage à nos jeunes.

Ce refus larvé, ce déni, on le retrouve aussi dans ce commentaire d'un autre brillant universitaire, un nommé Christopher Green : « Dans son film, Al Gore avait raison de parler d'une vérité qui dérange. Le problème, c'est qu'il ne parle que d'une de ces vérités alors qu'il y en a deux. L'autre vérité, c'est que les technologies alternatives qui permettraient d'atteindre les objectifs qu'on se fixe en matière de changements climatiques n'existent pas encore et qu'il faudra peut-être 40 ou 50 ans pour les inventer. Et l'imposition d'une taxe astronomique sur le carbone n'y changera rien, dit le professeur de McGill. » Encore ici, pas un mot, pas la moindre ébauche d'une solution passant par la réduction de la consommation. Les technologies ? Oui, mais ce sera long. Alors, en attendant qu'est-ce qu'on fait ? Rien. On achète des voitures hybrides, des produits certifiés Energy Star, des ampoules fluocompactes, des produits équitables. Bref, on achète du temps, on fait semblant.

Parler d’écologie sans parler de réduction de la consommation est une plaisanterie.

Et c'est ce qu'on a envie de dire à tous ces intellectuels, professeurs, spécialistes à la con qui forment notre élite supposément éclairée : non, mais, vous plaisantez là, hein ?!

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(1) Foglia, Pierre. « On s’engueule encore un petit peu ? ». Cyberpresse.ca  [En ligne]. (Mardi, 11 décembre 2007) (Page consultée le 14 janvier 2008)

(2) L’extrait est accessible sur le site de YouTube, à l’adresse :

http://www.youtube.com/watch?v=Q2zuJH-q_Rc

(3) Desrosiers, Éric. « Climat : quand le marché s'en mêle » . Le Devoir [En ligne] (Samedi, 12 et dimanche, 13 janvier 2008) (Page consultée le 14 janvier 2008)

Sur la question du déni, lire aussi :

-- « Et si tout le monde était une Geneviève Jeanson ? ». 22 octobre 2007

Haro sur les écolos !

Premier de deux textes

Les écologistes n'ont décidément pas la cote par les temps qui courent. Du moins si j'en juge d'après deux textes publiés sur l'Internet, l'un sous la plume de Louis Cornellier, du Devoir, l'autre de Pierre Foglia.

Le plus décevant des deux est Cornellier. Son texte rend compte d'un essai portant sur la décroissance. Or, cette décroissance, pourtant inévitable sur une planète qui est un écosystème fermé, où les ressources ne sont pas infinies, notre chroniqueur l'a de toute évidence dans la gorge. Il y voit un refus de l'individualisme : « Les partisans de la décroissance, d'ailleurs, le reconnaissent ouvertement en insistant sur le fait que sortir radicalement du capitalisme, comme ils le proposent, signifie aussi en finir avec l'anthropocentrisme et l'individualisme modernes, deux attitudes qu'ils condamnent, alors que d'autres, dont je suis, les défendent parce qu'ils y trouvent ce qui fait, en partie, la noblesse de la pensée occidentale. » (1) Cornellier peut se rassurer. La décroissance, même brutale, ne tuera jamais la noblesse de cette pensée occidentale si précieuse, ni l'individualisme, puisqu'elle en sera le plus amère des fruits ; elle tuera seulement quelques centaines de millions d'hommes. Et plus nous la refuserons, plus meurtrière sera sa dévastation.

Mais qui sont ces partisans de la décroissance ? Les écologistes bien sûr. Présentés ici comme des radicaux, des intégristes de la cause verte, opposés à l'Homme et à son droit légitime au bonheur. Et pour donner un semblant de crédibilité à ce préjugé, à cette réduction grossière, Cornellier convoque l'ineffable Claude Allègre, toujours lui, qui fut grand jadis d'être aujourd'hui si petit, n’ayant rien de plus urgent à faire que de s'en prendre à cette « écologie qui prône la décroissance, la pénurie, qui parle de catastrophes imminentes, d'économie frugale, de méfiance vis-à-vis de la science... »

Ai-je bien lu ? De méfiance vis-à-vis de la science ? Mais c'est tout le contraire ! L'alarme, ou les alarmes environnementales, les innombrables alarmes, qui appellent chaque semaine à la mobilisation, nous éveillent à la fragilité de l'écosystème planétaire, sont la plupart du temps sonnées tout d'abord par des scientifiques comme ceux du GIEC, du PNUE, de la NASA, de l’Union of Concerned Scientists, etc. Les médias et les groupes écologistes se font au contraire l'écho assez fidèle de ces alarmes qu’ils ne créent pas. Il est aussi faux de prétendre qu’ils prônent la décroissance, comme on dit : prôner une idéologie. La décroissance n'est pas une idéologie, quoiqu’en disent Allègre et Cornellier. Elle est une réalité en devenir. Une réalité que les pêcheurs de morues connaissent déjà très bien, tout comme les travailleurs forestiers, à leur corps défendant.

Une réalité qui sera, dans quelques décennies – bientôt -- LA réalité.

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(1) Cornellier, Louis. « Essai québécois. La décroissance est-elle une option ? ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi 22 et dimanche 23 décembre 2007) (Page consultée le 10 janvier 2008)

« L'obstruction du camp américain atteint sa cible à Bali ». (1) C’est ainsi que Le Devoir titrait son dernier article sur la conférence de Bali, alors qu’à l’opposé le New York Times mettait toute l’emphase sur l’opposition opiniâtre rencontrée par la délégation étatsunienne, et finalement le recul de celle-ci, en titrant : « Late Reversal by U.S.Yields Climate Plan ». (2) Bill Clinton, lors de son passage à Montréal l’année dernière (ou était-ce celle d'avant ?...), disait que les Étatsuniens étaient mal informés. Difficile de lui donner tort. L’article du plus grand quotidien d’Amérique est construit comme une petite pièce dramatique où la tension entre le clan étatsunien – comprenant le Japon, la Russie et le Canada – et le clan formé par l’ONU, l’Europe et le reste du monde, va en croissant jusqu’au dénouement en forme de happy ending :

« Ms. Dobriansky [chef de la délégation étatsunienne] then spoke again.

» ‘ We came here to Bali because we want to go forward as part of a new framework ’, she said. ‘ We believe we have a shared vision and we want to move that forward. We want a success here in Bali. We will go forward and join consensus ’.

» The delegates erupted in lengthy applause, realizing that a deal was at hand. »

Cette pièce narcissique qui a pour but de manipuler l’émotion et l'opinion, n’offre évidemment aucune mise en perspective quantifiée, ne fait nulle mention, par exemple, des objectifs de réductions des émissions de GES fixés par le GIEC. Ces objectifs ont pourtant été au coeur des débats entre les deux clans, celui des États-Unis les rejetant évidemment.

Je recommande vivement la lecture et l’analyse comparée de ces deux articles.

Instructif

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(1) Francoeur, Louis-Gilles. « L’obstruction du camp américain atteint sa cible à Bali ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi, 15 et dimanche, 16 décembre 2007) (Page consultée le 15 décembre 2007)

(2) Fuller, Thomas and Andrew C. Revkin. « Late Reversal by U.S. Yields Climate Plan ». The New York Times [En ligne]. (Dimanche, 16 décembre 2007) (Page consultée le 15 décembre 2007)

Et si tout le monde était une Geneviève Jeanson ?

Je m’étais promis de ne plus parler d’environnement. Tout le monde en parle, tout le monde se dit préoccupé, mais personne, ou à peu près, n’est prêt à changer son train de vie, pourtant à la source de tous les problèmes. Personne ne cherche même à prendre la mesure de sa responsabilité individuelle au milieu de cette incroyable catastrophe planétaire qui nous emporte doucement. Plusieurs sondages, menés ici comme aux États-Unis, confirment cet état de fait. Ne manquaient que les données de Statistique Canada, publié justement la semaine dernière.

En lisant l’article, (1) j’ai pensé à Geneviève Jeanson, au fait que, pendant des années, elle a menti systématiquement à tous ses proches : parents, amis, commanditaires... Puis à ce commentaire de Foglia voulant que, dans la tête de tout athlète dopé, une sorte de clivage s’opère, un dédoublement de la personnalité : d’un côté, le dopé, de l’autre côté, l’être moral engagé dans la société, opposé au dopage... (2)

Et si tout le monde était une Geneviève Jeanson ? Se shootant non pas à l’EPO mais à cette drogue pernicieuse : la consommation. Et, pour ne pas se sentir tout à fait dégueulasse, pratiquant le même clivage grâce auquel il peut isoler ses comportements d’acheteur euphorique (3) dans une sphère d’où est exclue toute notion de responsabilité morale. D’un côté le consommateur, le dopé, et de l’autre côté l’être moral qui se dit bien sûr préoccupé par les problèmes environnementaux, qui n’a jamais de mots assez durs pour ces élus qui ne font rien, et qui – car il faut tout de même être cohérent – n’hésite plus à trier son recyclage...

Je reviens au sondages et aux statistiques. Les grandes entreprises canadiennes disent qu’à défaut d’un signal clair de la part d’Ottawa, il leur sera difficile de réduire de manière significative leurs émissions de GES. Réponse de Harper mardi dernier : le Canada se retire officiellement de Kyoto !

Pour sauver les apparences, une « stratégie » encore indéterminée, basée sur une diminution de l’« intensité » des émissions de GES. Or, Statistique Canada nous révélait quelques jours avant le discours du Trône que, justement, de 1990 à 2005, l’intensité des émissions avait diminuer de 17,8 %, ce qui n’avait nullement empêché les émissions de croître de 25 % !

En matière d’environnement plus qu’en tout autre matière, les apparences font foi de tout. Harper le sait mieux que quiconque. C’est pourquoi son gouvernement s’entête avec autant d'acharnement à défendre un plan vert pourtant indéfendable.

Mais, au cas où ce ne serait pas assez, il a aussi annoncé des baisses d’impôt sur le revenu, pour relancer sa cote et la... consommation.

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(1) Francoeur, Louis-Gilles. « Bilan de Statistique Canada - Un Canada vert en paroles seulement ». Le Devoir [En ligne] (Mardi, 16 octobre 2007) (Page consultée le 22 octobre 2007)

(2) Foglia, Pierre. « C’est pas de sa faute ». Cyberpresse.ca [En ligne] (Samedi, 22 septembre 2007) (Page consultée le 22 octobre 2007)

(3) Selon un sondage, les Québécois ont confiance en l’avenir, dont la durée ici correspond aux six prochains mois ! Et la raison de cette confiance ? Ils ont plus d’argent à dépenser ! Adieu Kyoto !

Deglise, Fabien. « Sondage sur le commerce de détail : les Québécois ont une folle envie de dépenser ». Le Devoir [En ligne] (Jeudi, 18 octobre 2007) (Page consultée le 22octobre 2007)

Lire aussi :

-- Porter, Isabelle. « Rapport du commissaire au développement durable - Le Québec n'est pas si vert, dit Mead ». Le Devoir [En ligne]. (Vendredi, 14 décembre 2007) (Page consultée le 18 décembre 2007) 

mercredi, décembre 19, 2007

L'apothéose répétitive de l'instant

Christian Rioux, pointant du doigt cette culture du changement perpétuel dans laquelle nous vivons, cite cette belle formule du Français Régis Debray qui y voit « l'apothéose répétitive de l'instant » (1)

Cette formule correspond au concept d'« extase » chez Kundera, ce qui nous ramène -- par un chemin que j'emprunterai souvent au cours des prochaines semaines -- à l'infantilisation et au kitch.
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(1) Rioux, Christian. « L'ensemble vide  ». Le Devoir [En ligne]. (Vendredi,28 septembre 2007) (Page consultée le 28 septembre 2007)

Petit feu intellectuel

Mais qu'est-ce qui a bien pu se passer ? Pendant quatre mois, absence totale de motivation à écrire. Et total aussi le désintérêt de l'actualité.

Alors quoi ?

J'ai joué à Literati sur Yahoo Jeux. Beaucoup joué. Et puis, avec l'acquisition d'un nouvel ordi, justement il y a quatre mois, de nouvelles possibilités sont apparues, notamment des possibilités multimédias. Copie de DVD, conversion de DVD en format Divx, montage video, etc. Bref, encore jouer, se distraire, encore s'aliéner par infantilisation. Puis, cette article de Foglia où il cite Gombrowicz, et que je cite à mon tour : « Finalement c'est ce fou de Polonais Witold Gombrowicz qui, à la même époque (1937), a inventé IKEA dans son premier roman, Ferdydurke : C'est seulement à l'aide d'un personnel adéquat que nous pourrons faire retomber le monde entier en enfance. »

C'était au mois de juillet. Comme une étincelle. Suivie d'une première flamme, une première flamblée. J'ai téléchargé Le Château, de Kafka, l'ai lu en prenant des notes, comme un élève appliqué. Il est beaucoup question de l'enfance dans ce récit étrange, inclassable. Non, pas de l'enfance, mais de l'infantilisation, ce qui est très différent. Kafka n'est pas si loin de Gombrowicz quoiqu'il y paraisse. Ni de Kundera.

Infantilisation, consumérisme, individualisme et kitsch, tel est l'horizon sur lequel se projette les lueurs fragiles de mon petit feu intellectuel.
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(1) Foglia, Pierre. « L'avenir de l'homme et de sa fiancée ». Cyberpresse.ca [En ligne]. (Samedi 14 juil 2007) (Page consultée le 21 septembre 2007)

mardi, décembre 18, 2007

Sans commentaire

Lu dans le journal :
« Le salaire annuel moyen des 8000 médecins spécialistes du Québec bondira de 150 000 $ d'ici 2016, en vertu d'un accord intervenu avec le gouvernement Charest. [...] [L]e salaire annuel des spécialistes grimpera de 25,3 % -- y compris le redressement de 15,9 % consenti en décembre 2006 -- pour atteindre en moyenne, en 2016, 260 000 $. À cette hausse significative de la rémunération s'ajoutent des bonifications diverses totalisant 240 millions. Au total, la cagnotte salariale que se partagent les médecins spécialistes passera de 2,07 milliards en 2006-07 à 3,36 milliards en 2015-16. » (1)
Sans commentaire.
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(1) PC. « Santé - Jusqu'à 150 000 $ de plus par année pour les spécialistes ». Le Devoir [En ligne]. (Mercredi, 19 septembre 2007) (Page consultée le 20 septembre 2007)

Henri Séguin, 1919-2007

Mon père, devant la scie à ruban. Circa 1950

C’était un mardi après-midi. Ciel gris d’automne dans le carré de la fenêtre. Je discutais avec Francine devant l’écran de l’ordi. Le téléphone sonne. C’est Loulou : papa ne mange plus, on ne sait pas pourquoi. Le personnel ne tente pas de le faire boire non plus. Inutile. Il ne lui reste que quelques jours.

D’abord, aucune réaction. Encaisser le choc. Puis, peu à peu, quelque chose se noue dans la poitrine, quelque chose que l’on connaît bien, à quoi on voudrait résister. En vain. La peine est là, avec ses larmes, immense, qui nous déforme le visage.

Je n’avais pas vu mon père depuis décembre 2001. Il venait alors d’être admis au CHSLD des Vallées du Nord, à Labelle. Mon frère l’avait sorti et descendu à Montréal pour moi et Francine. Surtout pour moi, je crois. Une ultime visite qui m’avait fendu l’âme. Dans un courriel daté du 23 décembre, quelques jours plus tard, j’écrivais : « C'était une bonne idée d'amener papa ici. Il le mérite bien. Mais pour le coeur, ce fut un peu dur. Le vide et la solitude de son existence me brise le moral. Se peut-il qu'une vie de travail et de devoir se termine si misérablement ? Est-ce normal dans une société ? Disons que j'ai pas beaucoup dormi la nuit passée. Pourrai jamais m'habituer à voir notre vieux pleurer parce qu'on lui a donné des galettes. Des galettes, sacrament ! Comme si c'était trop pour lui. Comme s'il valait moins que ça ! ».

Plus que quelques jours à vivre pour notre père. Cette fois-ci, c’est nous, moi et Francine, qui allions devoir faire le trajet jusqu’au CHSLD. Toute une histoire. Il fut décidé que nous partirions à 12 h, car il m’est tout simplement impossible d’être prêt avant cette heure. Finalement ce fut 12 h 30. Loulou conduisait la fourgonnette adaptée, louée pour une journée, pendant qu’Irène, assise sur l’autre banquette, s’occupait de Moi et Francine. Deux heures pour l’aller, deux autres pour le retour. Et, entre les deux, un trop bref moment passé avec papa.

Ce qui m’a d’abord frappé, c’est de voir à quel point il avait l’air bien. Un soulagement. Bien toiletté, bien habillé et bien médicamenté, morphine et Versed. À travers les brumes opaques de l’inconscience, qui sait si l’infime étincelle de notre présence n’a pas pu se frayer un chemin.

Je tenais la main gauche de papa, étonnamment chaude, quand Céline et Rémi, que je n’avais pas vu depuis avril 2001, sont arrivés. En lâchant cette main pour me retourner vers l’entrée de la chambre, j’ai l’ai vue retomber au côté du lit, pendante dans le vide, ouverte, inerte, et j’ai senti dans un pincement fugace que j’abandonnais l’homme le plus important de ma vie, celui qui m’a donné plus que la vie : le bonheur. Puis Hélène et Jean sont arrivés à leur tour. Et, enfin, Karine. J’aurais aimé que la conversation tourne davantage autour de papa mais, apparemment, le plaisir d’être à nouveau réunis, les six enfants avec les deux belles-soeurs, après tant d’années, l’a emporté sur la gravité du moment. Comme d’habitude, les conversations n’ont rien eu de sérieux. J’ai pu constater que mes deux frères étaient aussi cons que moi. À dire vrai, je le savais. Mais d’en faire l’expérience physiquement m’a fait du bien.

Vers 17 h nous sommes repartis. Le ciel dégagé en s’obscurcissant ne laissait pas apparaître les étoiles, ce qui m’a étonné. Dans le stationnement du CHSLD, je m’écriais : « Où sont les étoiles ? » Sans comprendre qu’il était tout simplement trop tôt encore. Ainsi en est-il de celui qui n’a plus au-dessus de sa tête que le plafond sans âme de son appartement et, par la fenêtre, le ciel jaune et enfumé de la nuit urbaine. L’air était frais, propre, on aurait dit, différent. C’était mon pays, que j’avais désappris.

Papa est décédé le mardi suivant, comme je m’y attendais, sans savoir pourquoi, le jour de mes 42 ans. Il en avait quatre-vingt-huit. Je n’ai pu être présent aux obsèques, qui avaient lieu le matin à La Minerve, où papa a voulu être inhumé avec maman.

Depuis, il me semble que quelque chose a changé. Papa et maman sont plus vivants en moi. Il y a dix jours, j’écrivais à Jean :

« Pour me définir, quant à moi, j'emploierais plutôt cette formule lue dans le journal : je suis un athée de culture catholique. Et depuis quelques années, c'est vrai, mon ‘ fond ’ catholique refait surface. En particulier mon rapport à l'argent. Les protestants et les juifs valorisent la richesse alors que les catholiques ont avec elle des rapports plus tourmentés. Je méprise de plus en plus la mentalité bourgeoise. J'aimerais avoir de l'argent, bien sûr. Parce que, dans le système inégalitaire actuel, ce serait pour moi un moyen très efficace d'aider mon prochain. En une génération, nous avons oublié ce qu'est la pauvreté, la misère. Là se trouve peut-être la plus grande différence entre nous et nos parents. Combien de fois maman m'a dit de finir mon assiette parce qu'il y avait des ‘ p'tits pauvres ’ qui mouraient de faim. Je peux dire, quelque 40 ans plus tard : message reçu, merci maman. Il y a dans le catholicisme -- si on oublie un moment l'Église, sa hiérarchie, ses dogmes -- il y a un humanisme très puissant qui, lui, n'a pas pris une ride. Replacer l'être humain au centre de sa vie, c'est non seulement se préoccuper de justice sociale, mais aussi, par le fait même, d'environnement, d'équité entre les générations, entre le Nord et le Sud.

» J'en suis là. À essayer de vivre ma dignité d'homme. »

Ne pouvant assister aux obsèques, j’ai écrit un texte que Loulou a lu à l’église. Je le joins au présent billet.

Je voudrais témoigner aujourd'hui de ce que papa fut pour moi. Et témoigner aussi de certaines qualités qui ont fait de lui à mes yeux un homme unique.

La petite histoire veut que Henri ait quitté les sentiers battus pour prendre son propre chemin et se lancer dans le commerce des matériaux de construction. Un choix difficile qui n'a pas dû recevoir d'emblée l'assentiment paternel. Un choix courageux, dans une société qui favorisait plus la tradition, la continuité que l'initiative individuelle. C'est ce que je retiens d'abord de papa : la force de caractère.

Ensuite : la force de travail. Une maison à construire, puis une « boutique » et des bâtiments comme le « garage », la « shed à bois »... Un petit village au milieu du village. Des journées de 17 heures. Combien de fois ai-je vu papa courir vers la boutique en tenant sa poche de chemise toujours trop remplie ? Courir aussi vers la maison pour répondre à un appel téléphonique. Courir vers la shed. Bref, courir. À quoi s'ajoute ce que je ne pouvais voir, certaines nuits, durant mon sommeil : papa conduisant son camion rouge, direction Montréal, pour y chercher des matériaux. Je ne l'ai jamais entendu se plaindre. Cette vie exigeante, c'était la vie qu'il avait choisie. Le poids des lourdes responsabilités, plutôt que de l'écraser, l'a poussé à se dépasser au quotidien, dans ce cadre simple qu'est la vie d'un homme. Quand je pense à tout ce qui est sorti des mains de papa : meubles de tous genres, châssis, chaloupes, constructions diverses, je suis pris d'admiration et de fierté ; ces sentiments ne me quitteront jamais.

Mais la force de travail ne serait rien sans l'amour du travail. Plus que tout autre chose, papa aimait créer, inventer. Sur une photo datant des années 1950, on le voit penché sur une scie à ruban dont il n'a dû exister qu'un seul exemplaire dans le monde ! De même, j'ai vu papa découper la carcasse du chauffe-eau brisé pour remplacer une partie tout rouillée du plancher du jeep. Et que dire de ces patentes qu'il a inventées juste pour moi, parce que je ne marchais pas encore et que le médecin avait dit qu'il fallait me faire bouger les jambes. Mes deux petits pieds, au bout de mes deux petites jambes d'enfant de quatre ans, furent donc attachés à un pédalier, lui-même relié à un moteur électrique. Dès le moteur mis sous tension, je voyais mes jambes lancées dans un sprint aussi furieux qu'athlétique. À la même époque, il y avait aussi ce grand tonneau dans lequel une planche tenait lieu de siège ; une fois le tonneau rempli d'eau, et moi assis sur la planche, avec des chaussures à semelle de plomb, je n'avais qu'à laisser pendre mes jambes. Est-ce qu'on peut mesurer tout l'amour qu'il y a dans ces efforts, si humbles et pourtant remarquables, d'un père pour redonner la santé à son fils ? Cet amour, c'est le pays de mon enfance, c'est ma force intérieure et la plus précieuse des valeurs que j'ai reçues.

Mais si papa savait travailler avec ardeur, il savait tout autant s'amuser. En fait, l'ascèse du travail n'a jamais pu cacher le fait qu'il était avant tout un homme de plaisirs. Il aimait manger, disant, une main sur la panse, après un bon repas : « Mangeons bien, nous mourrons gras ! ». Il aimait contempler un beau paysage, et en particulier son lac, par les beaux soirs d'été, assis paisiblement sur la galerie avec une bière. Tout à coup se créait un moment d'éternité : j'étais assis sur la chaise placée à côté de la sienne, j'étais heureux. Sa capacité de jouir du moment présent, d'être dans le moment présent, n'était comparable qu'à celle d'un enfant. J'oserais même affirmer que là était sa plus grande force, sa potion magique sans laquelle il n'aurait pas eu cette incroyable force de travail et qui lui donnait aussi ce regard, cette présence unique. Papa ne disait pas tant son amour avec sa bouche -- sauf quand il nous mordait ! -- qu'avec ses yeux, son regard et l'entièreté de sa présence. Ce que j'ai perdu en quantité, je l'ai donc regagné en qualité et plus encore. Ainsi est fait le bonheur. De ces moments qui restent à jamais gravés dans la mémoire. J'aimais quand, au village, papa, en rentrant pour dîner, me prenait avec lui et m'emmenait jusqu'au lavabo de la cuisine : j'avais l'impression en me lavant les mains de ne pas être handicapé et de rentrer moi aussi d'une dure matinée de travail. Ou quand il m'emmenait avec lui dans le tracteur ou dans le camion rouge pour faire une livraison. J'aimais quand il me regardait avec un sourire entendu, sans rien dire. Ou quand il me disait : « T'es laid comme un cul ! », et que moi, je lui répondais : « Oui, pis i' paraît que j'te r'ssemble ! » J'aimais quand il chantait le matin en préparant le déjeuner, ou en travaillant ou au volant du jeep. J'aimais le voir découper des fausses semelles dans une vieille boîte de céréales, ou se gratter le dos sur un coin de mur, ou éplucher une orange en essayant de ne pas rompre le long ruban de la pelure. Ou le voir, au printemps, avec ses bottes de caoutchouc, son menteau à carreaux et sa casquette.

Si, encore aujourd'hui, j'atteins cette sorte de plénitude de l'être à l'approche de Noël, cet état de bien-être plus fort que tout, c'est grâce à papa, à cette magie du temps des fêtes qu'il avait su créer pour nous. Et c'est bien la preuve, s'il en fallait une, qu'il a réussi sa vie : il a créé pour ses enfants les conditions d'un bonheur durable.