Rechercher dans ma chambre

vendredi, septembre 17, 2010

La vermine

Juste avant que j’attrape ce foutu rhume carabiné… On dit : attraper, mais c’est plutôt le rhume qui nous attrape. C’est vivant cette vermine ! Tellement vivant que j’ai cru que j’allais en crever. Mais ce n’était qu’une fausse alerte. Me voilà de retour, au lit certes, mais tout de même capable de lire les journaux sur l’Internet.

Juste avant que j’attrape le rhume, disais-je, il était beaucoup question des panneaux de signalisation routière que le gouvernement Charest veut remplacer au plus vite à la grandeur du Québec. Il y en a 400 000 ; une bagatelle de 700 millions. Et pourquoi tant de hâte ? Pour « accommoder une population vieillissante » (1) qui pourraient avoir de la difficulté à lire les panneaux actuels. Réjouissons-nous d’avoir un gouvernement si accommodant. Comme par hasard, le service chargé de la fabrication de ces panneaux vient d’être cédé au secteur privé. (2)

De retour de l’hôpital, qu’est-ce que je lis ? Les gaz de schiste par-ci, les gaz de schiste par-là, des hommes d’affaires qui se frottent les mains, André Caillé qui nous prend pour des valises (3) et un gouvernement libéral qui, une fois de plus, couche avec l’industrie. Et la plus pute de toutes, la ministre des Ressources naturelles, qui nous dit que si nous voulons conserver nos garderies à sept dollars, eh ben il faut faire des « choix judicieux » : ce sera les gaz de schiste. (4) Car il faut voir plus loin que le bout de son nez, il faut penser à l’avenir, notre système de santé, nos services sociaux, ce dont nous sommes, nous petites gens, manifestement incapables.

Si bien lancée, Normandeau ne s’est pas arrêtée là. Les gaz de schiste, c’est comme la belle époque de René Lévesque et du développement de l’hydroélectricité, dit-elle. Remarquez, elle n’est pas aller jusqu’à évoquer la nationalisation de cette ressource. Trop dangereux. Explosif. Les gaz de schiste doivent d’abord profiter au secteur privé, quelques entreprises québécoises qui prospectent le sous-sol québécois depuis une dizaine d’années, et des multinationales d’Alberta et d’ailleurs qui éventuellement vont les avaler. Nos ressources gazières sont essentiellement destinées à l’exportation. Le marché de l’énergie n’a pas de frontières, le pétrole et le gaz se vendent sur les places boursières, l’acheteur peut être chinois ou brésilien. La ministre Normandeau sait très bien cela, mais le mot d’ordre du gouvernement et de l’Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ), c’est de nous bullshiter jusqu’au « consensus ».

Ce qui me tue, c’est l’effronterie de la manœuvre, le mépris qui lui est sous-jacent. Les ficelles sont si grosses, pour ne pas dire grossières : du personnel politique au plus haut échelon passe d’urgence au service du lobby gazier, (5) des firmes de relations publiques sont enrôlées, quatre « consultations » publiques sont lancées de front alors que le BAPE -- le seul organisme consultatif à pouvoir mener un tel débat au nom de l’intérêt de tous les Québécois – de son côté a reçu un mandat biaisé, limité à quatre mois alors qu’il lui faudrait plusieurs années. (6)

Cette fin de semaine, c’est justement la fin de semaine Nettoyons la Terre. Une bonne occasion de nous débarrasser de nos déchets politiques et de cette vermine affairiste et cupide qui menace la santé démocratique du Québec.

__________

 (1) Fabien Deglise. « Panneaux neufs : une manne de 700 millions pour le privé ». Le Devoir, 4 août 2010. (Page consultée le 15 septembre 2010)

(2) Fabien Deglise. « Transports Québec - Tomber dans le panneau du vieillissement ». Le Devoir, 5 août 2010. (Page consultée le 15 septembre 2010)

(3) Pierre Foglia. « Les valises ». cyberpresse.ca, 2 septembre 2010.

(4) Alexandre Shields. « Gaz de schiste : Normandeau fait vibrer des cordes sensibles ». Le Devoir, 15 septembre 2010. (Page consultée le 15 septembre 2010)

(5) Antoine Robitaille. « Un gouvernement en crise - Les schistes, une filière libérale ? ». Le Devoir, 3 septembre 2010. (Page consultée le 15 septembre 2010)

(6) Louis-Gilles Francoeur. « Deux experts se prononcent - Le BAPE : un mandat atrophié ». Le Devoir, 4 septembre 2010. (Page consultée le 15 septembre 2010)

dimanche, juillet 18, 2010

Quelque chose de sacré

Des aborigènes d'Amazonie disent ce qu'ils pensent de certains aspects de la civilisation occidentale. Ces hommes ont revêtu pour l’occasion leurs tenues d’apparat ; les femmes, et c’est dommage, ne sont pas admises à cette assemblée.

Le moment le plus émouvant : quand ils écoutent Maria Callas chanter Casta Diva. Je ne sais pas pourquoi, j’ai pleuré. Un air qui ne m’avait jamais touché à ce point.

Un des sages, peut-être le chef, a cette remarque d'une profonde sensibilité : « Je trouve ça bouleversant. Sans la comprendre, on sent qu'il y a quelque chose de sacré ».

Dans l'ensemble, cette vidéo au titre très discutable demeure toutefois imprégnée du mythe du « bon sauvage », encore aujourd'hui très prégnant chez les Français, et auquel je n'adhère pas. Il n'y a pas de civilisation, pas de peuple supérieur aux autres.

mercredi, juin 23, 2010

Vingt ans après l'échec de Meech. Grosse fatigue

Une commémoration bien québécoise cette semaine : celle d’un échec. Il y a vingt ans, l’accord du lac Meech devenait « l’échec du lac Meech ». Moi-même, je me souviens, j’y étais opposé. Quand le député manitobain Elijah Harper a fait déraillé le processus de ratification de l’accord, j’ai poussé un grand « yes sir ! » bien senti. J’y voyais un événement favorable à la souveraineté du Québec que je croyais, à l’époque, encore possible. J’attendais, pour reprendre les mots de René Lévesque, notre « rendez-vous normal avec l’Histoire ». Ce rendez-vous n’a jamais eu lieu. De 1980 à 1995, nous avons donc vécu l’échec du premier référendum, puis l’échec de Meech, puis le rejet de l’entente de Charlottetown, puis l’échec d’un second référendum sur la souveraineté. Que peut bien vouloir dire aujourd’hui ce vers de Miron : « Un jour j’aurai dit oui à ma naissance » ? Plus rien. Le statut du Québec au sein du Canada demeure problématique. Mais, aussi bien, son rapport au monde. Qui sommes-nous ? Quelle est notre pertinence ? Que voulons-nous ? Être heureux avec notre nouveau iPad ? Si ce n’est que cela, alors pourquoi défendre notre langue ? Pourquoi freaker sur la question du voile islamique ? Que voulons-nous au juste préserver, perpétuer ?

Ces questions n’ont rien de rhétorique. Elles nous habitent comme des fantômes. Les fantômes d’un peuple qui se meurt à lui-même et au monde. Au point où désormais il doute de la plus fondamentale des évidences, celle d’être un peuple. Cette régression s’accompagne d’une perte implacable du pouvoir politique, lequel se concentre de plus en plus à Ottawa.

Une idée communément admise -- et si rassurante -- veut que l’échec de Meech et celui de Charlottetown aient consacré la victoire du statu quo. Il n’y a pas de statu quo possible. Le Canada continue d’évoluer suivant sa dynamique propre, vers un État unitaire, centralisé, indifférent à la spécificité québécoise et aux revendications qui découlent du désir – évanescent il est vrai – de la préserver. Il y a trois ans, le groupe TSX (qui détient la bourse de Toronto) achetait la bourse de Montréal, une transaction que certains médias ont pudiquement appelé « fusion ». Aujourd’hui, le gouvernement Harper s’entête à vouloir créer, contre l’avis de tous les experts, une commission des valeurs mobilières unique, au lieu des dix commissions provinciales actuelles, une attaque si brutale à l’autonomie des provinces que le gouvernement Charest a porté l’affrontement devant la Cour d’appel du Québec. Parallèlement, Harper, avec l’appui des libéraux de Michael Ignatieff, s’apprête à passer la loi C-12 qui ajoutera 30 nouvelles circonscriptions aux 308 que compte actuellement le pays : 18 iront à l’Ontario, 7 à la Colombie-Britannique, 5 à l’Alberta et… aucune au Québec. Rappelons que c’est le Québec qui, aux dernières élections, a empêché le Parti conservateur d’obtenir une majorité à la Chambre des communes. Il s’agit donc pour Harper de faire en sorte de pouvoir désormais se passer de nos votes, une stratégie qui profitera aussi au Parti libéral du Canada. Pour occulter notre marginalisation, à laquelle participent sans broncher les quelques députés québécois des deux principaux partis fédéraux, il sera désormais interdit d’utiliser l’expression « Québécois de service » à la Chambre des communes.

Dans cette même perspective, il faut aussi rappelé le jugement controversé rendu par la Cour suprême du Canada, lequel a invalidé la loi 104 qui interdisait le recours aux « écoles passerelles » au Québec.

Ces quelques exemples n’ont pour but que d’illustrer les conséquences de notre démission collective, de notre régression dans la recherche d’un bonheur individuel, axé plus que jamais sur la consommation infantilisante, aliénante et dénuée de sens. Vingt ans après l’échec de Meech, notre refus de faire des choix affirmés qui nous définissent et nous ouvrent au monde, nous place en position vulnérable, défensive, face aux choix des détenteurs du pouvoir.

C’est peut-être là, dans cet démission, qu’il faut voir l’expression de ce que Hubert Aquin appelait, il y a plus de quarante ans déjà, notre  « fatigue culturelle ».

jeudi, mai 20, 2010

La morale qui tue

J’ai parlé l’autre jour d’Elie Wiesel, ce grand humaniste, prix Nobel de la paix, auteur de nombreux romans, pièces de théâtre, essais… Interrogé en 2006 sur son appui à l'invasion de l’Irak, il a eu cette réponse : « Si j'avais su à l'époque ce que je sais maintenant, j'aurais évidemment dit non à la guerre ». Et, conscient de la gravité de sa faute, il ajoute : « N'oublions pas qu'à cette époque aucun service de renseignements au monde ne disait que Saddam Hussein ne possédait pas [d’]armes [de destruction massive] ». (1)

Certes. Mais, aussi bien, aucun service de renseignements ne pouvait prouver qu’il en possédait. Durant les mois qui ont précédé le déclenchement de l’attaque américaine, Hans Blix, chef des inspecteurs en armement de l’ONU, n’a rien trouvé en Irak. Il demande alors plus de temps pour terminer les inspections, qui sont menées, faut-il le rappeler, avec la collaboration des services secrets britanniques et américains, mais Washington, pressé de liquider le régime qui lui bloque l’accès au pétrole, ne l’écoute plus. (2) Le 20 mars 2003, les premières bombes s’abattent sur Bagdad.

Ce qui étonne le plus, c’est que, en toute logique, ce n’est pas la présence sur le territoire irakien d’armes de destruction massive qui devait justifier l’attaque américaine, mais le lien supposé de Saddam Hussein avec Al-Qaïda. Car ce projet belliqueux se voulait – officiellement -- la réplique des États-Unis aux attentats du 11 septembre 2001. Comment Elie Wiesel peut-il négliger ce fait ? Comment peut-il faire abstraction du fait que personne à l’époque ne croyait honnêtement à l’existence d’un quelconque lien du dictateur avec Ben Laden ?

La réponse se trouve peut-être dans une lettre publiée par le Devoir le 23 mars 2003. Parmi tous les crimes de Saddam Hussein, il y en un qui justifie aux yeux de Wiesel ce qu’il appelle la « guerre », c’est-à-dire « des orphelins, des veuves, des corps, des cadavres, du sang » : durant la première guerre du Golfe, « il a dirigé contre Israël des missiles Scud », (3) il a voulu tuer des Juifs. Le tragique manque de jugement de Wiesel, cet homme au prestige moral incomparable, et que consultait George W. Bush, semble puiser à une profonde souffrance, celle d’Auschwitz où il fut déporté, adolescent, et où il perdit sa famille. Et dont il n’est jamais revenu.

Que dire par contre de ces intellectuels américains qui signèrent, dès 2002, une lettre publique qui fit grand bruit, et qui justifiait la violence des armes dans le cadre d’une « guerre juste » ? Il faut la lire, cette lettre, dégoûtante d’hypocrisie bigote, avec des phrases comme : « Si l'on a la preuve incontestable qu'un recours à la force peut empêcher le massacre d'innocents incapables de se défendre par eux-mêmes, alors le principe moral de l'amour du prochain nous ordonne de recourir à la force ». (4)

À ces adeptes de la morale qui tue, et qui pourtant osent affirmer qu’une « guerre juste ne peut être menée que contre des combattants », je propose le vidéo suivant.


__________

(1) François Busnel. « Elie Wiesel : ‘ Si j'avais su... ’ ». L’Express.fr, 1er juin 2006. (Page consultée le 15 mai 2010)

(2) Olivier Da Lage. « L’implacable réquisitoire de Hans Blix ». Radio France internationale, 8 avril 2004. (Page consultée le 19 mai 2010)

(3) Elie Wiesel. « Le Prix Nobel Élie Wiesel se prononce - Il fallait affronter l'Irak ». Le Devoir, 25 mars 2003. (Page consultée le 15 mai 2010)

(4) Collectif. « Lettre d'Amérique, les raisons d'un combat ». Voltairenet.org, 1er février 2002. (Page consultée le 2 mai 2010)

samedi, mai 01, 2010

La victime et le bourreau

Durant les années difficiles de mon adolescence, la lecture m’a servi de refuge. Un de mes auteurs préférés : Isaac Asimov. Ses histoires qui se passaient en l’an 11 000 et quelque me permettaient de prendre momentanément congé de mon handicap et de cet horizon tourmentant des premiers deuils, les plus difficiles. Par toutes les pensées refoulées qui lui étaient, d’une certaine manière, à mon insu associées, Asimov avait fini – je le comprends aujourd’hui – par m’apparaître intime. Je l’admirais. Mon intérêt pour la science a d’abord été un intérêt pour la science-fiction. Mais je me souviens d’un après-midi aux galeries d’Anjou, au La Baie, ou au Simpson, un petit présentoir isolé au bout d’une allée, dans une section de vêtements. Que deux livres, posés là, inexplicablement : Seconde fondation et Fondation foudroyée. J’avais déjà le premier tome de la trilogie. Personne autour. Sentiment étrange d’irréalité... Je m’approche. Prends les deux livres puis la sortie tout près.

Évidemment, trente secondes plus tard, deux agents marchent à côté de moi. Me conduisent à un petit local où l’on m’interroge, sans toutefois oser me fouiller. On remplit un formulaire en proférant de lourdes menaces, puis on me relâche. De retour chez moi, j’ai éclaté en sanglots. La pire humiliation de ma vie.

Or, voilà que la semaine dernière, quelque trente ans plus tard, au hasard de mes lectures, je retrouve – avec émotion – Asimov. Ou plutôt Isaac, le Juif, à travers un extrait de son autobiographie. Et je découvre que cet homme, avec ses lunettes à large monture et son air benêt, est aussi un sage analyste politique et un authentique humaniste. Son anecdote, présentée ici, au sujet d’Elie Wiesel m’a réconforté. D’abord parce qu’elle concerne Elie Wiesel, ce prix Nobel de la paix qui a publiquement cautionné, de son prestige moral, l’infamante guerre contre l’Irak. Ensuite parce qu’elle met le doigt sur une idée communément admise et si hérissante. Il n’y a pas, dit-il, de peuple essentiellement bon ; il n’y a que des peuples agressés, soumis, exterminés, mais entre ceux-ci et leurs agresseurs, la différence ne tient qu’aux circonstances historiques.

Voilà une vérité qui demande un certain courage, surtout à un Juif. Ce courage, Asimov l’a ; Wiesel, peut-être parce qu’il a trop souffert, ne l’a pas. Je cite :

Je me suis publiquement exprimé là-dessus une seule fois, dans des circonstances délicates. C’était en mai 1977. J’étais convié à une table ronde en compagnie notamment d’Elie Wiesel, qui a survécu à l’Holocauste et, depuis, ne sait plus parler d’autre chose. Ce jour-là, il m’a agacé en prétendant qu’on ne pouvait pas faire confiance aux savants, aux techniciens, parce qu’ils avaient contribué à rendre possible l’Holocauste. Voilà bien une généralisation abusive ! Et précisément le genre de propos que tiennent les antisémites : « Je me méfie des Juifs, parce que jadis, des Juifs ont crucifié mon Sauveur. »

J’ai laissé les autres débattre un moment en remâchant ma rancœur puis, incapable de me contenir plus longtemps, je suis intervenu : « Monsieur Wiesel, vous faites erreur ; ce n’est pas parce qu’un groupe humain a subi d’atroces persécutions qu’il est par essence bon et innocent. Tout ce que montrent les persécutions, c’est que ce groupe était en position de faiblesse. Si les Juifs avaient été en position de force, qui sait s’ils n’auraient pas pris la place des persécuteurs ? »

A quoi Wiesel m’a répliqué, très emporté : « Citez-moi un seul cas où des Juifs auraient persécuté qui que ce soit ! »

Asimov lui cite un exemple, emprunté à l’histoire biblique, tout en remarquant dans son autobiographie – publiée en 1996 – qu’aujourd’hui il n’hésiterait pas à évoquer l’oppression des Palestiniens par Israël. Mais si, au total, il y a de fait peu d’exemples – quoique, du point de vue essentialiste qui est celui de Wiesel, un seul suffise – c’est pour une raison très simple, répond Asimov :

C’est qu’il n’y a pas d’autre période dans l’histoire où les Juifs aient exercé le pouvoir, ai-je répondu. La seule fois où ils l’ont eu, ils ont fait comme les autres.

Et de conclure :

A l’heure où j’écris, on assiste à un afflux de Juifs ex-soviétiques en Israël. S’ils fuient leur pays, c’est bien parce qu’ils redoutent des persécutions de nature religieuse. Pourtant, dès qu’ils posent le pied sur le sol d’Israël, ils se muent en sionistes extrémistes impitoyables à l’égard des Palestiniens. Ils passent en un clin d’œil du statut de persécutés à celui de persécuteurs.

Cela dit, les Juifs ne sont pas les seuls dans ce cas. Si je suis sensible à ce problème particulier, c’est parce que je suis juif moi-même. En réalité, là encore le phénomène est universel. Au temps où Rome persécutait les premiers chrétiens, ceux-ci plaidaient pour la tolérance. Mais quand le christianisme l’a emporté, est-ce la tolérance qui a régné ? Jamais de la vie. Au contraire, les persécutions ont aussitôt repris dans l’autre sens. Prenez les Bulgares, qui réclamaient la liberté à leur régime dictatorial et qui, une fois qu’ils l’ont eue, s’en sont servis pour agresser leur minorité turque. Ou le peuple d’Azerbaïdjan, qui a exigé de l’Union soviétique une liberté dont il était privé par le pouvoir central pour s’en prendre aussitôt à la minorité arménienne.

La Bible enseigne que les victimes de persécutions ne doivent en aucun cas devenir à leur tour des persécuteurs : « Vous n’attristerez et vous n’affligerez pas l’étranger, parce que vous avez été étrangers vous-mêmes dans le pays d’Égypte » (Exode 22 : 21). Mais qui obéit à cet enseignement ? Personnellement, chaque fois que je tente de le répandre, je m’attire des regards hostiles et je me rends impopulaire.

Dans toute victime, il y a un bourreau qui attend. Cette vérité s’applique aux Juifs comme aux Palestiniens, aux Hutus comme aux Tutsis, aux Blancs européens qui ont fui les persécutions religieuses au XVIIe siècles comme aux Noirs dont ils ont fait leurs esclaves, aux Iroquoïens qui ont terrorisé les Canadiens français comme aux descendants de ceux-ci qui ont créé les conditions d’une aliénation profonde et irréversible des aborigènes.

Tel est l’enseignement de l’Histoire. Cette incapacité ou ce refus d’assumer la part de Mal qu’il y a en nous, c’est aussi notre incapacité ou refus à voir l’Autre, à le comprendre à partir de ce qui constitue son altérité même. C’est aussi ce qui nous condamne, tous, ensemble, sur cette planète, à une souffrance aveugle et bornée, donc inutile et, de ce fait, profondément tragique.

__________

(1) Alain Gresh. « Isaac Asimov, Elie Wiesel et l’antisémitisme ». Les blogs du Diplo – Nouvelles d’Orient. (Lundi, 18 janvier 2010) (Page consultée le 1er mai 2010)

dimanche, avril 04, 2010

Les deux mains sur le volant

« En collaboration avec la communauté internationale, les dirigeants haïtiens s'engagent à conclure un nouveau contrat social avec le peuple. Autrement dit, il faut un gouvernement entièrement démocratique, doté de politiques économiques et sociales judicieuses pour faire face à l'extrême pauvreté et aux disparités profondes en matière de répartition des richesses. » (1)

Quelle incroyable foutaise ! Je suis habitué au langage diplomatique, qui a sa raison d’être. Mais y’a toujours ben une maudite limite ! Le président René Préval en fin de mandat n’a qu’un objectif, et ce n’est pas de conclure un nouveau contrat social avec le peuple ayisien. Plutôt le contraire. Ne rien changer. Et pour cela, il lui faut « les deux mains sur le volant », forcer la tenue d’élections « démocratiques » afin d’assoir au plus sacrant une légitimité au moment où des milliards de dollars d’aide à la reconstruction sont promis à Ayiti pour les prochaines années.

Oubliez la Commission intérimaire pour la reconstruction d'Haïti, par laquelle vont transiter tous ces milliards. Bill Clinton, qui en est, avec le premier ministre Jean-Max Bellerive, le co-président, n’est là que pour donner le change. Cette commission, composée de 23 personnes de différents milieux, ne changera rien au foutoir qu’est présentement Ayiti. Un rapport du Département d’Etat américain sur la corruption dans les instances de pouvoir, notamment au sein de l’exécutif, place le pays au 168e rang sur 180, et lui accorde une note de 1,8 sur 10. (2) Préval a réfuté ces « allégation », mais d’autres voix, dont celle du sénateur Youri Latortue les ont confirmées. (3) Et, comme pour noircir encore le tableau, je tombe tout à l’heure sur un article où il est question d’un rapport de l’université Harvard très critique envers la MINUSTAH. Celle-ci aurait échoué à accomplir sa mission, qui est de désarmer et démobiliser les troupes, de soutenir le processus démocratique et le respect des droits de l’homme. (4)

La question, néanmoins, qu’il ne faut pas poser : donner ou ne pas donner ? « Carine Guidicelli, du CECI, dit évidemment qu'il faut encore donner aux organismes, mais après avoir fait ses recherches. ‘ Avant de faire un don, il faut se poser des questions. L'organisme était-il présent dans le pays avant la catastrophe ? Depuis longtemps ? A-t-il des partenaires crédibles sur place ? ’

» C'est aussi ce que prône le Dr Réjean Thomas, cofondateur de Médecins du monde Canada […] ‘ De la corruption, il y en a partout, y compris chez nous, alors qu'on a en main tous les mécanismes pour la prévenir ! En situation d'urgence, dans un pays pauvre, c'est sûr que la corruption a plus de risques de s'installer. Je continue néanmoins de penser qu'il se fait beaucoup plus de bien que de mal. Il faut donner, en choisissant un organisme fiable. ’ » (5)

__________

(1) Ban Ki-moon. « Vers un nouvel avenir pour Haïti ». Le Monde.fr [En ligne] (Mercredi, 31 mars 2010) (Page consultée le 31 mars 2010)

(2) Ces chiffres ne sont pas cités comme tels dans le rapport, ils émanent plutôt de Transparency International qui produit, à chaque année, au terme d’une enquête, son Indice de perceptions de la corruption. Le Département d’État américain s’appuie sur cet indice qui fait autorité.

(3) JMD. « Le rapport du Département d’Etat américain sur la corruption dans les instances de pouvoir en Haïti reflète la réalité, selon le sénateur Youri Latortue ». Radio Kiskeya [En ligne] (Mardi, 16 mars 2010) (Page consultée le 31 mars 2010)

(4) Auteur non mentionné. « La mission de l'ONU en Haïti a échoué, selon un rapport ». Le Devoir [En ligne] (Mardi, 23 mars 2010) (Page consultée le 31 mars 2010)

(5) Louise Leduc. « Le travail des organismes humanitaires critiqué ». Cyberbresse.ca [En ligne] (Lundi, 22 mars 2010) (Page consultée le 31 mars 2010)

mercredi, mars 10, 2010

Offre de services

Une trouvaille, l’autre jour, en parcourant le blogue du chroniqueur Nelson Dumais, de Technaute. Un logiciel appelé TeamViewer. Gratuit. Simple à installer et à utiliser.

J’ai dit une trouvaille. Plutôt une petite révolution. La deuxième de ma vie. La première, il y a déjà une dizaine d’années, que je dois également à Dumais, ce fut Paragon CD-ROM Emulator, un logiciel qui me permettait d’utiliser mes cédéroms sans avoir à les mettre dans l’ordinateur. Ou, pour être exact : sans avoir à demander à quelqu’un de les mettre dans l’ordi pour moi. Quelqu’un qui n’était pas nécessairement présent au moment où j’avais besoin de lui. Attente, contrariété. Une époque révolue. Révolue au sens où de nouvelles contrariétés ont remplacé l’ancienne. Ainsi va la vie : une lutte perdue d’avance, mais – et là réside tout le bonheur possible – jamais complètement perdue. Toujours, cette légère saveur de victoire. Largement attribuable au développement des techniques de l’informatique et de la communication. Paragon, aujourd’hui obsolète, a depuis été remplacé par d’autres logiciels du même genre, compatibles avec Vista et Windows 7. Quant à moi, je l’ai remplacé par DAEMON Tools Lite, également gratuit.

La seconde petite révolution, qui m’occupe depuis quelques jours, me semble encore plus déterminante. Il m’est désormais possible, de chez moi, de mon lit, d’un simple clic de souris, de partager l’utilisation d’un ordinateur, où qu’il soit sur la planète, à la condition que TeamViewer y soit également installé. À mon écran apparaît un fenêtre représentant le bureau de l’ordinateur distant, avec les icônes, la barre des tâches, le menu Démarrer…

J’ai donc pu, au cours des derniers jours, en me connectant grâce à TeamViewer, dépanner ma sœur et mes préposées qui ne sont pas des utilisatrices très expérimentées du PC. Moi-même, je ne suis pas un crack de l’informatique, loin de là. Mais je peux régler sans difficultés la plupart des problèmes courants. Et si exceptionnellement je n’ai pas la solution immédiate à un problème particulier, je la trouve sur l’Internet.

TeamViewer offre bien d’autres possibilités. Mais, l’essentiel, c’est que maintenant je me sens moins confiné à ma chambre, et, jusqu’à un certain point, plus utile et valorisé. En outre, je peux faire ce que j’aime.

C’est drôle, jeudi dernier, j’ai pensé à papa. Qu’un machin vienne à briser, il en devenait tout excité. Un gamin auquel on donne un jouet ; Obélix devant une patrouille romaine. C’est aussi le sentiment qui m’habite devant un bogue. Je me frotte les mains intérieurement, jubilatoirement. Enfin, une bonne bagarre !

J’en viens maintenant au vif du sujet. Ce billet, contrairement aux autres, n’est pas désintéressé. Je suis à la recherche de clients. Si vous, ou quelqu’un de votre entourage, avez quelque difficulté à maintenir votre ordinateur en bon état de fonctionnement, et si vous n’avez personne qui puisse vous dépanner en tout temps, n’hésitez pas à me contacter. Par courriel – lseguin2@gmail.com – ou en laissant un commentaire ci-dessous. Je vous indiquerai alors la procédure à suivre.

dimanche, février 14, 2010

Quitter Haïti

Patrick Lagacé a fait parler de lui dernièrement. On lui reproche un texte écrit à son dernier jour en Haïti, un texte critique envers le peuple haïtien, et entaché de préjugés. (1) J'ajouterais quant à moi : écrit par un homme profondément heurté, secoué par ce qu'il a vu, et qui cherche mentalement à sortir de là, à s'en sortir.

Mais, voilà : il ne suffit pas de quitter Haïti pour qu'Haïti nous quitte.

Moi-même, dans le confort de mon appartement, j'ai des moments d'émotions. La poitrine nouée tantôt par le chagrin, tantôt par la colère, l'indignation et la volée d'insultes.

Comme dimanche passé, en écoutant Tout le monde en parle.

Gaétan Barrette, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), y explique qu'en taxant davantage les bouteilles d'eau, les hot-dogs et la gomme balloune, le gouvernement se donnerait les moyens de financer « l'expertise » à sa juste valeur. Pas seulement l'expertise des médecins spécialistes, non, non, qu'allez-vous chercher là ! Toutes les expertises ! Celle des « professeurs », des « infirmières » et des... « aidants naturels ».

Arrêt sur image. Au moment de prononcer cette énormité, le Dr Barette tourne son regard vers Chloé Saint-Marie qui a la politesse de ne pas lui répondre. Mais elle a un mouvement du corps, un mouvement qui ne dure qu'une seconde, mais que le montage souligne dans un plan rapproché : elle ne la trouve pas drôle. Elle qui consacre sa vie à lutter pour la cause des aidants naturels, voilà que cette cause, devant un million de téléspectateurs, est détournée au profit d'une petite caste en quête de légitimité. Tabarn... !

Si l'expertise n'est pas financée selon les attentes de la FMSQ – qui réclame la parité, rien de moins, avec les spécialistes canadiens – eh bien elle va s'en aller ailleurs. Où ? Pourquoi pas à Vancouver, tiens, une si belle ville. Les salaires y sont aussi très élevés. D'ailleurs, c'est de là que nous vient ce propos de Pierre Foglia :

Robin et Carline « [s]ont ici depuis deux ans. Le paradis. Ne s'ennuient pas du froid, mais s'ennuient beaucoup des garderies à 7 dollars, des hypothèques raisonnables, des universités subventionnées, du transport scolaire. À Vancouver, pas d'autobus scolaire, il faut laisser les enfants à un service de garde qui les mènera et les récupérera... 1000 $ par mois. Le paradis, mais vont quand même retourner à Trois-Rivières cet été ». (2)

Le Dr Barrette ne semble pas s'intéresser beaucoup à cette réalité. Pas plus qu'à cette réflexion d'un professeur de l'Université de Montréal qui a voté contre un mandat de grève : « Ce n'est pas un rejet des principes, mais étant donné le contexte économique, il faut faire preuve de modération, a-t-il affirmé. On n'a pas les salaires des médecins spécialistes, mais on n'a pas de si mauvais salaires non plus ». (3)

Le président de la FMSQ ne s'intéresse pas beaucoup à l'actualité.

Comment dit-on gros crisse de mangeux d'marde en créole ?

__________

(1) Patrick Lagacé. « Haïti, malade de ses charades ». cyberbresse.ca [En ligne] (Samedi, 30 janvier 2010) (Page consultée le 14 février 2010)

(2) Pierre Foglia. « La flamme ». cyberbresse.ca [En ligne] (Vendredi, 12 février 2010) (Page consultée le 14 février 2010)

(3) Lise-Marie Gervais. « Université de Montréal - Les professeurs refusent la grève ». Le Devoir [En ligne] (Mercredi, 10 février 2010) (Page consultée le 14 février 2010)

Sur le même sujet :

– « Le vide ». Mercredi, 3 février 2010

A lire aussi :

– Jean-Paul Mari. « Haiti. Le cauchemar des hommes en blanc ». Le Nouvel Observateur [En ligne] (Semaine du jeudi 25 février 2010) (Page consultée le 5 mars 2010)

– Michel David. « L'odeur de la poudre ». Le Devoir [En ligne] (Samedi, 20 mars 2010) (Page consultée le 28 mars 2010)

mercredi, février 03, 2010

Le vide

Le texte d'aujourd'hui n'a pas rapport avec Haïti mais un peu quand même.

Les médecins spécialistes ne sont pas contents.

En 2007, le gouvernement leur a accordé une importante augmentation de 25,3 % étalée jusqu'en 2016. Au total, cette année-là, ils recevront 1,27 milliard de plus. Or, les voilà aujourd'hui qui s'impatientent : leur salaire n'augmente pas assez vite : 6,1 % de 2007 à 2010, contre 11 % pour leurs collègues canadiens. Eux qui pourtant visent la parité. INACCEPTABLE !

Ils réclament donc, en vue des négociations de mars prochain, des « hausses de salaire d'au moins 4 %, voire 5 à 6 % par année ». (1)

En 2007, pour mieux faire accepter leurs revendications par l'opinion publique, ils avaient évoqué l'impérieuse nécessité d'assurer l'accès aux soins. Cette fois-ci, Gaétan Barrette, président de la FMSQ, n'a montré aucun scrupule : il faut « suivre le marché, point ». Business is business.

À chaque fois que je vois des travailleurs pourtant choyés -- il n'y a pas que les médecins, hélas ! -- faire une « crise » pour avoir plus d'argent, ce qui me frappe, c'est le vide, l'ahurissant vide d'existence que recouvrent leurs infantiles gesticulations.

Être heureux, un livre entre les mains, ne coûte rien. Aider son prochain, si un séisme ne l'a pas jeté dans le dénuement le plus total, ne coûte rien. Vivre la richesse inouïe qu'il y a dans le simple fait d'exister, d'être au monde, conscient et solidaire, ne coûte rien.

__________

(1) Louise-Maude Rioux Soucy. « Les spécialistes veulent 4 % par an minimum ». Le Devoir [En ligne] (Lundi, 1er février 2010) (Page consultée le 3 février 2010)

Sur le même sujet :

-- PC. «  Santé - Jusqu'à 150 000 $ de plus par année pour les spécialistes  ». Le Devoir [En ligne]. (Mercredi, 19 septembre 2007) (Page consultée le 3 février 2010)

-- Louise-Maude Rioux Soucy. « Recul salarial - Les médecins de famille se rangent derrière les spécialistes ». Le Devoir [En ligne] (Lundi, 1er février 2010) (Page consultée le 3 février 2010)

-- Christian Bordeleau, Benoît Dubreuil. « Revendications salariales des médecins - Pour mettre fin un jour au chantage ». Le Devoir [En ligne] (Samedi, 6 février 2010) (Page consultée le 7 février 2010)

mardi, janvier 26, 2010

Patchwork haïtien

Rien à faire. Pendant des heures, j’ai travaillé à rassembler mes notes, à structurer un propos… Je n’y arrive pas. Cette catastrophe est au-delà de mes forces. Trop de journalistes rédigent trop d’articles sur ce qui se passe en Haïti. Il y a trop à dire, trop à penser. Trop d’événements dans ce désordre, trop de casques bleus, trop de soldats américains, canadiens, trop d’ONG, trop de travaux urgents, trop de malheurs, trop de pauvres, de sinistrés, trop de gravats, trop de morts, trop de tout dans ce pays où tant de gens n’ont plus rien.

Voici, en vrac, pêle-mêle, des extraits qui ont retenu mon attention. Chaque extrait est coiffé d’un titre. Une idée que j’ai emprunté à Laferrière.

Un patchwork qui aura une suite.

*

La dette

Lorsque j'entends des calculs savants concernant le coût de l'aide canadienne à Haïti, j'éprouve toujours un sentiment étrange. Je ne comprends pas pourquoi cet effort n'est pas comptabilisé dans la colonne du remboursement de la dette. A-t-on pensé un seul instant au nombre d'ingénieurs, de chimistes, d'enseignants et d'écrivains qu'Haïti nous a offerts sur un plateau d'argent depuis un demi-siècle ?

Haïti n'a pas de mines et encore moins de pétrole. Mais il a des cerveaux. Comme le disait Dany Laferrière, « la culture est la seule chose que Haïti a produite ». Son élite est même l'une des plus brillantes au monde, comme en témoignait de façon éloquente le géographe Georges Anglade, mort la semaine dernière à Port-au-Prince et qui fut l'un des fondateurs de l'Université du Québec à Montréal. (1)

L’État haïtien

La désorganisation de l'État a d'ailleurs frisé la catastrophe, dit-il. « Si le président René Préval était mort dans l'effondrement du palais présidentiel, il n'aurait pas eu de successeur. » Selon la Constitution, dans ce genre de situation, c'est le président de la Cour de cassation qui prend la succession. Or Préval n'a jamais nommé personne à ce poste. (2)

Solidarité haïtienne

Mais il faut préciser ici que la solidarité locale joue un rôle essentiel, à Haïti comme partout dans ce genre de situation. La plupart des personnes qui ont été sorties des décombres ont été sauvées par leurs voisins, de même que la nourriture et les autres formes d'entraide ont été assurées par les Haïtiens eux-mêmes. À considérer les reportages, il semble que seule l'aide provenant de l'étranger soit homologuée comme telle, alors que l'aide locale, pourtant primordiale, est ignorée. Il est vrai que la solidarité quotidienne ne fait pas de bruit et n'offre pas de spectacle, contrairement aux rassemblements menaçants et aux scènes de violence. (3)

Les forêts

S'il y a tellement de gens massés dans Port-au-Prince et ces bidonvilles qui leur sont tombés sur la tête, c'est que la population a massivement quitté des campagnes et des régions forestières qui ne peuvent plus leur fournir nourriture, vêtements et gîte sécuritaire.

Les forêts d'Haïti couvraient autrefois 80 % de l'île. Il en reste aujourd'hui entre 1 % et 2 %. Leur disparition s'est accélérée récemment, car ces forêts couvraient encore 20 % du territoire haïtien en 1960. (4)

Promesses

Aujourd'hui à Montréal, le monde se porte au chevet d'Haïti et prépare une grande conférence internationale — sans doute en mars ou en avril — qui aura lieu tout juste un an après un autre exercice du même genre, à Washington en avril 2009, qui avait abouti à des promesses de 350 millions de dollars. Promesses dont on attendait toujours la concrétisation à la veille du séisme. (5)

L’enfer

Je me suis dit que l'enfer sur Terre, c'est ici, c'est maintenant, en cet après-midi surchauffé, à Solino. Sauf que ce n'est pas vrai. Il n'a pas plu depuis deux semaines, à Port-au-Prince. Quand il pleuvra, quand le plancher de ces gens sera un champ de boue, là, ce sera l'enfer. (6)

Froideur administrative

Le message officiel lancé par le ministre canadien de l'Immigration lundi était bien sûr un message de solidarité et de compassion à l'endroit du peuple haïtien. Jason Kenney a parlé de « mesures spéciales » et de « traitement prioritaire » pour les dossiers de réunification des familles haïtiennes. Dans les faits, au-delà du beau discours, les mesures annoncées ne sont malheureusement pas d'un grand secours pour les victimes du séisme et leurs proches.

Une situation exceptionnelle commande des mesures exceptionnelles. « Qu'est-ce que je réponds à ma mère qui me dit : J'ai survécu au tremblement de terre, mais là, je vais mourir de faim ? » La question troublante posée à Marjorie Villefranche, de la Maison d'Haïti à Montréal, illustre bien le désarroi de la communauté haïtienne et l'urgence d'agir. Or, pour l'heure, comme l'a bien dit Mme Villefranche, Ottawa n'a offert qu'une « réponse froide et administrative » au désarroi de la communauté. (7)

Le peuple haïtien

Ce n'est pas le malheur d'Haïti qui a ému le monde à ce point, mais la façon dont ce peuple fait face à son malheur. Ce désastre aura fait apparaître, sous nos yeux éblouis, une forêt de gens remarquables que les institutions (l'État, l'Église, la police et la bourgeoisie) nous cachaient. Il a fallu qu'elles disparaissent momentanément pour qu'on voie apparaître ce peuple à la fois discret et fier. (8)

La dette bis

Je me souviens de l'embarras de la ministre de l'Immigration du Québec, Yolande James, lorsque je lui avais demandé si le Québec ne contribuait pas au pillage des pays pauvres en sélectionnant les travailleurs les plus qualifiés. Elle s'était contentée de répondre que le Québec n'avait pas le choix devant la concurrence. (1)

Le temps

Je ne savais pas que 60 secondes pouvaient durer aussi longtemps. Et qu'une nuit pouvait n'avoir plus de fin. Plus de radio, les antennes étant cassées. Plus de télé. Plus d'Internet. Plus de téléphones portables. Le temps n'est plus un objet qui sert à communiquer. On avait l'impression que le vrai temps s'était glissé dans les 60 secondes qu'ont duré les premières violentes secousses. (9)

__________

(1) Rioux, Christian. « Les vrais pilleurs ». Le Devoir [En ligne] (Vendredi, 22 janvier 2010) (Page consultée le 26 janvier 2010)

(2) Rioux, Christian. « De l'aide, pas la charité ». Le Devoir [En ligne] (Samedi, 23 janvier 2010) (Page consultée le 26 janvier 2010)

(3) Brauman, Rony. « Libre opinion - De l'aide adossée aux solidarités locales ». Le Devoir [En ligne] (Lundi, 25 janvier 2010) (Page consultée le 26 janvier 2010)

(4) Francoeur, Louis-Gilles. « Analyse - Haïti: la viabilité passe par le reboisement ». Le Devoir [En ligne] (Vendredi, 22 janvier 2010) (Page consultée le 26 janvier 2010)

(5) Brousseau, François. « Reconstruire ». Le Devoir [En ligne] (Lundi, 25 janvier 2010) (Page consultée le 26 janvier 2010)

(6) Lagacé, Patrick. « Mes excuses, Marcellin ». Cyberbresse.ca [En ligne] (Lundi, 25 janvier 2010) (Page consultée le 26 janvier 2010)

(7) Elkour, Rima. « Bienvenue chez nous, mais restez chez vous ». Cyberbresse.ca [En ligne] (Mercredi, 20 janvier 2010) (Page consultée le 26 janvier 2010)

(8) Laferrièr, Dany. « Le moment Haïti ». Le Devoir [En ligne] (Samedi, 23 janvier 2010) (Page consultée le 26 janvier 2010)

(9) Laferrière, Dany. « Tout bouge autour de moi ». Le Devoir [En ligne] (Samedi, 23 janvier 2010) (Page consultée le 26 janvier 2010)

mardi, janvier 19, 2010

Aide humanitaire à Haïti - Un bon départ

La réaction du gouvernement fédéral, selon la chroniqueuse Chantal Hébert, a donné des « résultats impressionnants » : nous assistons « à un déploiement intelligent de la gamme de moyens dont dispose le Canada pour intervenir dans ce genre de circonstances ». (1)

Bravo. Le peuple Haïtien n’en attend pas moins.

Mais on me permettra un petit bémol. Il y a quelques jours, après avoir très rapidement débloqué cinq millions, Ottawa annonçait que, pour chaque dollar versé par les Canadiens à des ONG qui interviennent en Haïti, il ajoutera un dollar, jusqu’à concurrence de 50 millions. Wow ! Quand je pense que Harper pourrait dépenser jusqu’à 45 millions, à même les fonds publics, simplement pour imprimer des milliers de pancartes géantes promouvant son plan de relance économique à travers le pays ! (2)

Ce matin toutefois, devant un appel de financement lancé par l’ONU, Ottawa annonçait que 80 millions de dollars supplémentaires seraient débloqués pour l’aide humanitaire d’urgence. (3).

Ce qui porte la contribution canadienne à environ 125 millions de dollars, auxquels s’ajoutent les coûts liés à la mobilisation de 1700 soldats, sept hélicoptères et deux navires.

Un bon départ. Surtout lorsque comparé à d’autres pays, comme la France qui a pourtant une faramineuse dette historique envers Haïti.

Selon une estimation qui a circulé dans les journaux, il en coûtera dix milliards pour remettre Haïti sur pied.

___________

(1) Hébert, Chantal. « Stephen Harper et Haïti : la suite ». Le Devoir [En ligne] (Lundi, 18 janvier 2010) (Page consultée le 19 janvier 2010)

(2) Bourgault-Côté, Guillaume. « Des pancartes fédérales très coûteuses ». Le Devoir [En ligne] (Mardi, 3 novembre 2009) (Page consultée le 19 janvier 2010)

(3) Beauchemin, Malorie. « Ottawa envoie 80 millions supplémentaires ». Cyberpresse.ca [En ligne] (Mardi, 19 janvier 2010) (Page consultée le 19 janvier 2010)

lundi, janvier 18, 2010

Partir, c'est mourir un peu

J’ai décidé de faire comme Foglia et de me tourner vers le Pays sans chapeau ¹, de Dany Laferrière. Lui, pour « affronter la réalité » dans son « essence » ², moi, plus simplement – mais c’est peut-être la même chose -- pour me sentir plus près des Haïtiens.

Depuis que j’ai reçu ce roman, au jour de l’An, je me suis bien gardé d’en lire ne serait-ce qu’une page. D’abord finir de le numériser. Mais, voilà : cette tâche ne sera pas terminée avant deux semaines. Le besoin devenait trop pressant.

J’ai donc lu jusqu’à la page 178.

Un récit qui avance par touches légères de quelques paragraphes, suivant une métaphore qui nous est donnée dès les premières pages :

« Tiens, un oiseau traverse mon champ de vision. J’écris : oiseau. Une mangue tombe. J’écris : mangue. Les enfants jouent au ballon dans la rue parmi les voitures. J’écris : enfants, ballon, voitures. On dirait un peintre primitif. Voilà, c’est ça, j’ai trouvé. Je suis un écrivain primitif. » (p. 14)

Désir de nommer, de se réapproprier par les mots une réalité perdue. Désir de revivre. Le retour au pays natal du narrateur, après vingt ans d’absence, est un retour à la vie.

D’ailleurs, en lisant ces pages, une phrase de Haraucourt m’est revenue. Partir, c'est mourir un peu :

« Ma mère ne dit jamais Montréal. Elle dit toujours là-bas. » (p. 28)

« L'au-delà. Est-ce ici ou là-bas ? Ici n'est-il pas déjà là-bas ? C'est cette enquête que je mène. » (p. 69)

« Je remonte vers le morne Nelhio, les mains dans les poches. Exactement comme je le faisais à vingt-trois ans. Je reprends ma vie au moment où je l'ai quittée. Je respire à pleins poumons. Libre dans la nuit port-au-princienne. » (p. 89)

C’est le bonheur que je souhaite au peuple haïtien : respirer la liberté à nouveau.

__________

1. Laferrière, Dany. Pays sans chapeau. Boréal compact, 2006, 323 pages.

2. Foglia, Pierre. « Pays sans chapeau ». Cyberpresse.ca [En ligne] (Jeudi, 14 janvier 2010) (Page consultée le 18 janvier 2010)

samedi, janvier 16, 2010

Coeurs atteints

Plus de 100 000 Haïtiens au Québec. Et pas un qui n'ait perdu un parent, un ami. Voire plusieurs. L'épicentre du séisme à quelques kilomètres de Port-au-Prince, mais des secousses ressenties jusqu'ici. Les cœurs atteints à jamais, et cette obsédante – et pourtant vaine – question : pourquoi Haïti, toujours ?

Mes préposées endeuillées, presque toutes originaires de là.

Je ne sais quoi leur dire. Catinette, hier au matin, très irritable. Je n'ai pas su éviter la dispute, qu'elle cherchait par son agressivité. Cœur atteint.

Jeudi après-midi. Sur RDI, les images sinistres défilent. Je discute avec ma sœur lorsqu'elle réalise qu'il est presque 16 h 30. Dans quelques minutes Gigi va arriver. Précipitamment, comme par pudeur, Francine saisit la télécommande et éteint la télé.

Hier au soir, peu avant qu'elle ne quitte à 23 h 30, ma préposée africaine me demande comment va Gigi. Je lui réponds qu'elle ne va évidemment pas bien, comme tous les Haïtiens.

-- Tu te rends compte, 50 000 morts !

Elle continue à travailler comme si elle ne m'avait pas entendu. Je suis au lit, près d'elle, je ne vois qu'un côté de son visage. Étrange silence.

Cœur atteint ?

samedi, janvier 02, 2010

Bilan 2000-2009. Clivage Nord-Sud

Ma brève revue de la dernière décennie.

Bien sûr, tout d'abord, l'incontournable 11 septembre 2001, événement inimaginable, dont la charge symbolique n'a pas fini de nous hanter. L'effondrement des deux gratte-ciel a brusquement mis au jour, en ce début de XXIe siècle, la vulnérabilité d'une Amérique qui se croyait toute puissante. Quand Bush lance, quelques mois après les attentats, ses armées sur le pays du dictateur Saddam Hussein, cette Amérique-là, nous ne le savons pas encore, a déjà cessé d'exister. Les deux guerres menées concurremment contre l'Irak et l'Afghanistan vont nous confirmer dans l'horreur et le sang ce changement profond : un Islam radical émerge et défie l'ordre établi, lequel est fondé sur l'appropriation de la richesse, l'intimidation militaire et l'injustice.

La crise économique qui a frappé à l'échelle mondiale en fin de décennie s'inscrit dans cette évolution. Son épicentre, situé aux États-Unis, montre un pays atteint au cœur de sa puissance, incapable de s'imposer face aux pays « émergeants » que sont le Brésil, l'Inde et, surtout, la Chine. Cette dernière, entrée à l'OMC deux mois après les attentats, est désormais un partenaire et un adversaire économique de premier plan. La Chine, comme nous l'avons constater en décembre dernier, lors de la conférence de Copenhague sur le climat, en impose.

Mais il n'y a pas que l'Asie. Ici, sur cette grande île qu'est notre continent, la donne géopolitique évolue rapidement. Les médias n'ont pas souligné ce qui constitue, à mon avis, un événement de première importance : l'émergence tant espérée d'une autre Amérique, latine celle-là, menée par des gouvernements de gauche non inféodés aux États-Unis. Le Brésil, puissance régionale affirmée, le Vénézuela de Hugo Chavez, l'Argentine, l'Équateur, l'Uruguay, la Bolivie, tous ces pays, auxquels nous pourrions encore ajouter le Chili, ont abandonné, à des degrés divers, les politiques « néolibérales » jusque-là imposées par le FMI et la Banque mondiale, et se sont tournés vers un type de développement plus soucieux des immenses besoins sociaux. Plus que Barak Obama, l'élection la plus significative et porteuse d'espoirs fut celle, historique, d'Evo Morales à la présidence de la Bolivie. Pensons-y un instant : un aborigène, un Aymara, peuple méprisé comme le sont toutes les first nations, prend les commandes du pays et impose ses réformes à une élite outrée, corrompue et raciste. Les vrais Nègres, sur cette terre d'Amérique, ce ne sont plus les Noirs mais eux, les aborigènes, ne l'oublions jamais. (1)

En novembre 2001 s'amorçait, dans le cadre de l'OMC, le cycle de Doha, du nom de la capitale du Qatar, cycle de négociations destinées à libéraliser le commerce des produits agricoles de manière à favoriser les pays en voie de développement (PVD) en leur offrant un meilleur accès au marché des pays développés. Impliquant 153 pays, ces négociations, qui devaient aboutir à un accord en 2004, se sont vite transformées en un affrontement Nord-Sud et sont aujourd'hui dans une impasse. « De nombreux membres [de l'OMC] ont pointé du doigt la mauvaise volonté des Américains qui paralysent les négociations depuis des mois. » (2) Pendant ce temps, une crise alimentaire frappait à une échelle sans précédent. En quelques mois, en 2008, 100 millions de pauvres étaient jetés dans la précarité extrême, portant leur nombre à près d'un milliard. Cette crise a plusieurs causes, la plupart impliquant directement les pays développés, comme la spéculation sur les marchés à termes, le détournement des terres agricoles vers la production de biocarburant, le réchauffement climatique...

À ce propos, j'ai mentionné plus haut la conférence de Copenhague, tenue en décembre 2009, en clôture de la décennie : c'est, à mon avis, un autre événement phare. Cent quatre-vingt-douze pays réunis, 15 000 personnes, négociateurs, représentants d'ONG et du milieu des affaires, journalistes. Du jamais vu. Nul ne peut désormais douter de l'importance des problèmes environnementaux, devenus aussi bien des problèmes sociaux, donc politiques. Une évolution marquante au cours des dix dernières années. Mais qui, malheureusement, arrive trop tard.

Échec du cycle de Doha, échec à Copenhague... Les dix dernières années semblent marquées par un durcissement du clivage Nord-Sud. L'hégémonie états-unienne qui s'affaiblit, la montée des PVD, regroupés dans le G77, emmenés par la Chine, l'Inde et le Brésil, tout cela dans le contexte d'une triple crise environnementale, économique et alimentaire : la prochaine décennie s'annonce charnière, déterminante, et passionnante.

__________

(1) AFP. « Un rapport de l'ONU - Les indigènes meurent jeunes ». Le Devoir [En ligne] (Vendredi, 15 janvier 2010) (Page consultée le 16 janvier 2010)

(2) AFP. « Les ministres devront accélérer s'ils veulent conclure Doha en 2010 ». Le Devoir [En ligne] (Jeudi, 3 décembre 2009) (Page consultée le 2 janvier 2010)

mercredi, décembre 23, 2009

Joyeux Noël !

11 h. Je suis au lit, comme tous les jours à cette heure. La préposée va arriver bientôt pour me donner un demi-Boost et un verre de jus de légumes. De gros flocons dansent dans le carré de la fenêtre, et, au moment précis où j'écris cette phrase, un air de Noël, joué à l'orgue Hammond par Lucien Hétu, remplit mon appartement de vibrations nostalgiques.

J'ai rassemblé toutes mes chansons de Noël en une seule liste d'écoute (playlist) que Winamp parcourt de manière aléatoire.

Un beau temps des Fêtes. Le corps et l'esprit remplis de réminiscences. Tout n'est pas parfait, les nuits sont parfois tourmentées, mais la lumière du jour et, ce matin, cette clarté neigeuse et scintillante, me ramènent à des pensées plus sereines.

*

Il est quinze heures vingt. La préposée s'apprête à quitter : « Bye Ket ! »

Où en étais-je ?

L'année dernière, je constatais, déçu, que je n'arrivais pas à trouver Noël. Cette année, l'esprit des Fêtes a surgi dès la fin de novembre, comme un regain inattendu après le passage à vide du 13, jour de double anniversaire : de ma naissance et de la mort de papa.

Ce qu'il y a de curieux, c'est que les conditions objectives de mon existence ne se sont pas améliorées depuis ce temps. Je ne vais au fauteuil qu'une journée sur deux, de 14 h à 19 heures ; quant à ma colonne, elle est une chose de moins en moins vertébrale, et mes poumons... Et cætera.

Le corps et l'esprit ne sont pas toujours en phase. L'intensité d'une émotion va entraîner le corps dans le mouvement – volontaire ou non – de l'esprit, alors qu'à l'inverse, il arrive qu'un état physique vienne brusquement occuper tout le volume de la conscience. Un va-et-vient qui ressemble parfois à une lutte.

Mais aujourd'hui, dans mon lit si confortable, nul tiraillement. À côté de moi, deux chandelles projettent une lueur chaude et douce pendant que j'écris ce billet. Il est 16 heures. Bientôt la pénombre. Je suis bien, je suis heureux.

Joyeux Noël à tous et à toutes.







lundi, décembre 21, 2009

Échec à Copenhague, succès à Washington (et Ottawa)

Premier de trois textes.

Harper est reparti satisfait de Copenhague. Voilà qui dit, mieux que tout, l'échec que fut la conférence qui devait relancer la lutte contre le réchauffement climatique pour la période post-2012. La faute au Canada bien sûr, qui, pour une troisième année consécutive, a reçu le prix Fossile de l'année. Mais, surtout, la faute aux États-Unis et à la Chine, les deux plus grands émetteurs de gaz à effet de serre (GES) de la planète. Obama, malgré ses discours encourageants, n'a exercé aucun leadership. Pire, les négociateurs américains ont sciemment paralysé le groupe chargé d'élaborer le « plan de coopération à long terme » (long-term cooperative action) en y ajoutant un nombre si élevé de propositions que sa négociation devenait impossible compte tenu du peu de temps qu'il restait. En outre, les États-Unis n'ont rien concédé quant à leur cible de réduction d'émissions de GES ni, même, quant à l'année de référence qu'ils ont choisi pour évaluer la progression des réductions, soit 2005. C'est donc dire qu'il y aura désormais deux années de référence : 1990 pour le reste de la planète, 2005 pour les États Unis... et 2006 pour le cancre seul au fond de la classe : le Canada.

Il faut dire, à la décharge d'Obama, que le Congrès ne lui donne aucune marge de manœuvre. L'opinion américaine est peu préoccupée par la lutte contre le réchauffement climatique et reçoit une image déformée, embellie du rôle des États-Unis en la matière. L'article du New York Times consacré à l'« entente » de Copenhague est à cet égard assez représentatif : Wen Jiabao y tient le mauvais rôle, par sa mauvaise volonté et ses provocations, devant un Obama déterminé qui force les portes et arrache in extremis un accord. (1) Curieusement, c'est cette version tronquée que l'on retrouve sur Cyberpresse : « Malgré la tenue de deux rencontres entre le président américain et le premier ministre chinois, Wen Jiabao, le moment clé des négociations serait survenu lorsque M. Obama est entré sans s'annoncer dans une rencontre réunissant la Chine, l'Inde et le Brésil, selon le New York Times. Faisant fi des protestations des responsables chinois du protocole, M. Obama aurait alors affirmé que les négociations ne devaient pas se tenir en secret, geste qui aurait permis aux pays de se rapprocher et ainsi, de dénouer l'impasse ». (2)

Pour une version plus juste des négociations de Copenhague, il vaut mieux s'en remettre au Devoir, notamment au remarquable article de Louis-Gilles Francoeur paru aujourd'hui. (3)

__________

(1) Revkin, Andrew C. et Broder, John M. « A grudging accord in climate talks ». The New York Times [En ligne] (Samedi, 19 décembre 2009) (Page consultée le 21 décembre 2009)

(2) Cardinal, François. « Une entente au rabais à Copenhague ». Cyberpresse.ca [En ligne] (Vendredi, 18 décembre 2009) (Page consultée le 21 décembre 2009)

(3) Francoeur, Louis-Gilles. « Analyse - L'après-Copenhague s'annonce laborieux ». Le Devoir [En ligne] (Lundi, 21 décembre 2009) (Page consultée le 21 décembre 2009)

jeudi, décembre 17, 2009

La tranquille certitude de la ministre Courchesne

Le Parti libéral du Québec est corrompu. La cause est entendue et il n'y a, ma foi, plus grand chose à en dire. Reste la sentence, qui sera prononcée au prochain scrutin.

J'ai tout de même trouvé assez savoureux, lors d'un point de presse le 2 décembre dernier, l'aveu involontaire de la ministre Courchesne : « Vous savez aussi bien que moi qu'il y a beaucoup, moi, je dirais [que] la majorité des entreprises privées soutiennent tous les partis politiques ». (1) Et comme pour s'enfoncer encore un peu plus, elle a ensuite répété le commentaire en anglais.

Commentaire qui n'a rien d'un lapsus inopportun, mais tout d'une tranquille certitude... contraire à la loi. Celle-ci en effet ne permet que les dons individuels d'argent, jusqu'à un maximum de 3000 $ par individu, par année.

Inutile de dire que M. le directeur général des élections a froncé les sourcils. Surtout que c'est la deuxième fois qu'un ministre libéral se compromet ainsi.

Dans la masse des révélations des dernières semaines, ce fait anecdotique a le mérite de nous confirmer que Mme Courchesne sait très bien, tout comme ses collègues, où aller chercher les 100 000 $ qu'elle est tenue d'apporter au PLQ à chaque année. (2)

__________

(1) Presse canadienne. « En bref - Courchesne devra s'expliquer ». Le Devoir [En ligne] (Mardi, 15 décembre 2009) (Page consultée le 17 décembre 2009)

(2) Presse canadienne. « Financement du PLQ : les ministres donnent l'exemple ». Le Devoir [En ligne] (Vendredi, 11 décembre 2009) (Page consultée le 17 décembre 2009)

Sur le même sujet :

Presse canadienne. « Financement du Parti libéral du Québec - Normandeau défend les pratiques ». Le Devoir [En ligne] (Mardi, 9 mars 2010) (Page consultée le 9 mars 2010)

lundi, décembre 14, 2009

La grande immortalité

Je cite l'écrivain Milan Kundera : « Face à l'immortalité, les gens ne sont pas égaux. Il faut distinguer la petite immortalité, souvenir d’un homme dans l’esprit de ceux qui l’ont connu […], et la grande immortalité, souvenir d’un homme dans l’esprit de ceux qui ne l’ont pas connu. » (1)
La plupart des gens qui affirment croire en Dieu agissent au quotidien comme s'Il n'existait pas. C'est peut-être pour cette raison que l'idée de l'immortalité de l'âme a moins d'attrait, moins d'influence sur les comportements que l'idée profane de la grande immortalité telle que définie par Kundera. Si ce n'était pas le cas, si le souci de l'âme, et ce qui en advient dans l'au-delà, devait primer, nous ne vivrions pas dans un tel monde d'égoïsme et d'inégalités (et Moisson Montréal n'aurait pas reçu dix fois moins de denrées non périssables que l'an dernier). (2)
Jusqu'à présent, la grande immortalité n'était réservée qu'aux personnages illustres, ces privilégiés que ne quittent jamais les projecteurs de l'Histoire. C'est la métaphore qu'emploie souvent Kundera : une scène inondée de lumière où, devant l'humanité, se tiennent les grands personnages historiques. Mais voilà : désormais il y a l'Internet, ce formidable moyen de projeter son ego à la face du monde. Sur le site très fréquenté – 30 000 visiteurs, selon AFP, les 6 et 7 novembre dernier (3) – d'Anne Lamic, nous pouvons lire : « J'ai le droit de sortir de l'ombre. J'ai une webcam qui vous permet de me voir vivre en direct et en temps réel, dans mon petit Monde ». C'est la mère d'Anne qui s'exprime ainsi au nom de sa fille, une handicapée de 32 ans qui n'a pas l'usage de la parole et qui, aux dires de son père, « a l’évolution d’une enfant d’un mois » (4).
Notez l'affirmation péremptoire : j'ai le droit. Tout se passe comme s'il n'était plus nécessaire de sacrifier à l'effort d'une pensée originale, à l'ascèse d'une longue élaboration artistique, au courage d'un combat politique : il suffit d'avoir une webcaméra, de livrer l'existence dans la nudité du quotidien pour que le sens jaillisse de lui-même.
L'exemple d'Anne – même si dans son cas l'ego n'est évidemment pas impliqué – a ceci d'intéressant qu'il rend encore plus évident le caractère immanent de ce nouveau droit : celui de laisser un souvenir dans l’esprit de gens qui ne nous ont pas connus.
Un droit qui prend sa source dans un double fantasme. D'une part, la scène illuminée de l'Histoire, à laquelle chacun aurait désormais accès sans efforts, par le moyen des nouvelles techniques de communication, en projetant son ego, comme j'ai dit, à la face du monde. D'autre part, la « virtualisation » de l'être, son désancrage du corps et de sa finitude ; lu dans le Devoir, ce commentaire d'un psychologue français : « Aujourd'hui, nous avons la possibilité d'exister en même temps à plusieurs endroits, d'avoir des vies parallèles, plusieurs identités et, désormais, de pouvoir rester présent dans ces mondes après notre mort, au même titre que les vivants. » (5)
_________
(1) Kundera, Milan. L'Immortalité. Édition Gallimard, Paris, 1990, pp. 66-67
(2) Bérubé, Stéphanie. « Moisson Montréal a reçu dix fois moins de denrées ». Cyberpresse.ca [En ligne] (Samedi, 12 décembre 2009) (Page consultée le 14 décembre 2009)
(3) AFP. « ' Près de 30.000 visiteurs ' sur le site d'Anne, polyhandicapée bientôt filmée ». Google actualités [En ligne] (Vendredi, 6 novembre 2009) (Page consultée le 14 décembre 2009)
(4) « Ils exposent la vie de leur fille handicapée sur le net ». Europe1.fr [En ligne] (Jeudi, 5 novembre 2009) (Page consultée le 14 décembre 2009)
(5) Deglise, Fabien. « In Numeriam ». Le Devoir [En ligne] (Mardi, 10 novembre 2009) (Page consultée le 14 décembre 2009)

lundi, décembre 07, 2009

Une très bonne question

« Au sein de la députation libérale, on se dit que mieux vaut susciter la grogne populaire en écartant la tenue d'une enquête publique que de renoncer au pouvoir pendant dix ans à la suite de l'enquête. C'est la leçon qu'on tire de la commission Gomery et des malheurs des libéraux fédéraux depuis.

» On se dit aussi que Gérald Tremblay a fini par gagner ses élections même s'il a fermé les yeux pendant des années sur la collusion dans l'industrie de la construction. » (1)

Ces deux paragraphes, tirés du Devoir, résument tout ce que j'ai lu depuis un mois sur le gouvernement Charest. Les faits sont accablants, et les médias nous en apportent de nouveaux à chaque jour. Les derniers en date concernent le marchandage de places en garderie. Véritable système de corruption, c'est-à-dire d'avilissement :

« Le milieu des garderies n'est pas réputé riche. Que tant de propriétaires de garderies donnent de l'argent à un parti politique, c'est déjà étonnant. Que plusieurs d'entre eux, en plus, obtiennent des permis après avoir fait des dons importants, alors qu'ils n'avaient jamais contribué auparavant, cela l'est encore plus.

» Lorsqu'une famille donne 24 000 $ en six ans (ça fait 4000 $ par année, ce qui est beaucoup au Québec) à un parti et obtient quatre permis de garderie, il est permis de poser des questions.

» Lorsque dans une région comme Lanaudière, 70 % des garderies ayant obtenu des permis appartiennent à des donateurs du parti au pouvoir, il est aussi légitime de soulever une ou deux questions.

» Idem lorsque des entreprises obtiennent un permis après que leur projet de garderie eut reçu une évaluation médiocre du ministère de la Famille. » (2)

Remarquez, il fallait s'y attendre. Le PLQ, contrairement à Québec Solidaire ou au PQ de 1976, n'est pas porté par un programme politique visionnaire, par des idéaux, voire même, par le souci du bien commun. Le parti de Charest tire sa force – entendez : sa richesse – de la somme des intérêts particuliers qu'il conjugue, de ses accointances historiques avec le milieu des affaires. La preuve a contrario de cet état de fait : Charest a démis en février 2006 son ministre de l'Environnement, Thomas Mulcair, pourtant très populaire, afin de calmer certains collègues ainsi que certains élus municipaux et promoteurs immobiliers, tous fort courroucés de constater que les lois environnementales seraient désormais appliquées. (3)

Ajoutez à ce péché originel du PLQ le fait qu'il est au pouvoir depuis 2003, qu'il vient de remporter une troisième élection d'affilée – du jamais vu depuis Duplessis – et qu'il fait face, au parlement, à une opposition affaiblie en quête de crédibilité.

Dans un tel contexte de pourrissement, le pouvoir sert avant tout à l'enrichissement du parti et des amis du régime. Je cite à nouveau l'article du Devoir :

« D'ailleurs, presque sept ans après avoir pris le pouvoir, le PLQ est une formidable machine à collecter de l'argent. L'an dernier, le parti de Jean Charest a encaissé 10 millions. C'était une année faste, car c'était une année d'élections. Mais bon an, mal an, le PLQ récolte entre sept et neuf millions, soit le double du PQ. On se demande ce que fait le PLQ avec autant d'argent, surtout quand on pense que les dépenses électorales des partis au Québec ne peuvent excéder 3,8 millions et que les élections ont lieu habituellement tous les quatre ans. »

Voilà une très bonne question.

__________

(1) Dutrisac, Robert. « Québec - Le pari de l'entêtement ». Le Devoir [En ligne] (Samedi, 5 décembre 2009) (Page consultée le 7 décembre 2009)

(2) Marissal, Vincent. « Poupongate ou pur hasard ? ». Cyberpresse [En ligne] (Jeudi, 3 décembre 2009) (Page consultée le 7 décembre 2009)

(3) Francoeur, Louis-Gilles. « Environnement - Mulcair victime de son bilan et de sa pugnacité ». Le Devoir [En ligne] (Mercredi, 1er mars 2006) (Page consultée le 7 décembre 2009)

A lire aussi :

– « Pourrissement ». 27 novembre 2008

mardi, décembre 01, 2009

Trop d'argent

L'Institut de la statistique du Québec a publié son rapport sur la rémunération au Québec la semaine dernière. Intéressant. Surtout de comparer les comptes rendus dans les journaux.

Le Devoir, idéologiquement à gauche, disons centre gauche, résumait ainsi :

« Selon les données rendues publiques hier, la rémunération globale des employés de l'État, qui prend en compte le salaire, les avantages sociaux et les heures de présence au travail, affiche un retard de 3,7 % par rapport à l'ensemble des autres salariés. Il était de 2,9 % l'année dernière. Ils jouissent toutefois d'une avance de 3,6 % par rapport au secteur privé, employés syndiqués et non syndiqués confondus. » (1)

Sur le portail Cyberpresse, campé à droite, nous lisons cependant :

« L'État québécois demeure un employeur tout à fait concurrentiel. Cette année, les fonctionnaires provinciaux bénéficieront, dans l'ensemble, d'une rémunération 3,6 % plus élevée que leurs homologues du privé, indique le nouveau rapport de l'Institut de la statistique du Québec. » (2)

Alors, ces employés de l'État, gagnent-ils trop ou pas assez ?

Trop.

Et les employés des sociétés d'État, comme Hydro-Québec, Loto-Québec, la SAQ ? Trop aussi. Tout comme les employés municipaux, à commencer par ces pompiers de merde.

Mais les infirmières en milieu hospitalier, elles ? Et les enseignants ?

Foutez-moi la paix.

Au Québec, comme ailleurs dans les pays occidentaux, trop d'honnêtes travailleurs gagnent trop d'argent. Pour quoi, cet argent ? Pour les trois ordinateurs par maison trop grande. Pour la télé au plasma de 52 pouces. Pour les tatas en VTT, pour les hors-bord et les motoneiges. Les voyages dans le Sud.

Pour maintenir un ordre social fondé sur l'iniquité et la souffrance (30 000 itinérants juste à Montréal (3), le pillage des ressources naturelles, la destruction de l'écosystème planétaire.

Et dire que Noël approche.

__________

(1) Shields, Alexandre. « Rémunération : l'administration québécoise est toujours en retard ». Le Devoir [En ligne] (Vendredi, 27 novembre 2009) (Page consultée le 28 novembre 2009)

(2) Krol, Ariane. « Québec, un employeur de choix ». Cyberpresse [En ligne] (Vendredi, 27 novembre 2009) (Page consultée le 28 novembre 2009)

(3) Rioux Soucy, Louise-Maude. « Vaste recherche pour briser le cycle de l'itinérance ». Le Devoir [En ligne] (Mardi, 24 novembre 2009) (Page consultée le 28 novembre 2009)

J'ai quitté mon île

Je reçois un courriel de Francine ce matin. Une très belle chanson que j'avais oubliée, de Daniel Lavoie : « J'ai quitté mon île ». Elle la fredonnait hier, en numérisant les pages de Tristes tropiques. Je voulais la retrouver sur l'Internet aujourd'hui. Plus besoin. Ma sœur me l'offre, jointe à son courriel.

J'ai cliqué...


Une très belle chanson, j'ai dit. Plus que belle : émouvante. Une mélodie très douce, des paroles simples qui racontent le deuil, la séparation. J'avais le cœur serré.

Plus tard, durant ma sieste après le clapping, j'ai rêvé que moi et papa – et peut-être d'autres membres de la famille, sur le siège arrière – nous quittions la maison du village pour aller à la messe. Mais notre Cherokee rouge ne s'est pas arrêté devant la petite église blanche de mon enfance. Il a continué jusqu'à une fourche qui menait au Lac à la Truite (là où nous avons déménagé en 1974, quand j'avais huit ans). Le chemin de terre était couvert de neige ; Noël ne devait pas être loin. J'ai dit à papa :

« Oui, mais papa, on a plus de maison au Lac. – C'est pas grave, m'a-t-il répondu. On va se promener et regarder. »

Sa réponse triste m'a fait sentir que nous étions seuls et abandonnés, comme des êtres errants.

À ce sentiment s'ajoute maintenant cet étrange silence d'avoir vécu quelque chose d'important.

J'ai quitté mon île
quand on m'a envoyé.
L'ai quitté tranquille,
sans chanter ou pleurer.
Un beau matin, vous verrez les voiles de mon voilier
prendre le large...

dimanche, novembre 08, 2009

Cellulite

Dernier de trois texte.

Samedi matin, à l'urgence, j'ai la surprise de voir apparaître dans ma chambre le Dr Khadir, oui, oui, la sœur d'Amir Khadir. J'aurais voulu la féliciter de ressembler si parfaitement à son frère, pour lequel j'avais évidemment voté aux dernières élections, mais j'étais incapable d'avaler ma gorgée de Boost.

Mon auscultation a été menée de manière rigoureuse et impitoyable, le Dr Khadir mettant tout de suite ses doigts précisément là où j'avais le plus mal : dans les aines. Aïe ! que je lui criais.

Heureusement, elle n'est pas restée longtemps. Cinq minutes après son entrée, elle était déjà disparue. Ouf !

Je pus enfin avaler ma gorgée de Boost en la faisant descendre avec une gorgée d'eau. Quant au mal qui m'affectait, je n'en savais toujours rien. C'est finalement le spécialiste en médecine interne – une discipline dont j'entendais parler pour la première fois – un type un peu austère dont je n'ai curieusement pas retenu le nom, qui a finalement décelé l'œdème et m'a annoncé la grande nouvelle : je souffre d'une cellulite.

Une cellulite, tabarouette ! Et sur une fesse en plus. Rare, très rare, si je me fie à la réaction de l'interniste, retenue mais sans équivoqe.

Et d'abord, c'est quoi, cette maladie-là ?

Le lendemain Irène me lit l'article sur Wikipédia consacré à la cellulite. Très intéressant. Je comprends que les bactéries qui me bouffent le cul, elles ont nécessairement dû entrer par quelque part, mais je n'allume pas encore. Je suis comme ça en général, lent à faire les liens. C'est d'ailleurs la moquerie préférée de Gigi, et ma vexation la plus sentie : « Catch up pépé ! ». Le soir-même, lorsque j'en parle à Catinette, elle ne met pas, elle, deux secondes :

Ben oui, Lulu, c'est évident : ton scrotum.

*

Lundi le 19. Je rentre chez moi, après 62 heures difficiles passées sur le dos, sur une civière inconfortable, le plus souvent à regarder le plafond, à écouter les voix dans le corridor devant ma chambre, à voir ma force – le peu que j'ai – disparaître complètement sous l'effet du Cloxacilline, jusqu'à ne plus pouvoir déglutir et, à certains moment, articuler des mots.

Il est 14 heures. En allant vers l'ambulance, j'ai le ciel – cette immensité ouverte tout à coup – et le soleil en plein visage, aveuglant, irrésistible.

La vie va reprendre son cours normal. J'ai tiré la leçon d'une certaine habitude déraisonnable qui, en fin de compte, va m'avoir coûté deux semaines au lit.

Je suis de bonne humeur.

mardi, novembre 03, 2009

62 heures à l'urgence de l'hôpital Saint-Luc

Deuxième de trois textes.

Le mot hôpital appartient à la même famille étymologique que le mot hospitalité, défini, selon l'emploi ancien, comme un acte de « charité qui consiste à recueillir, à loger et nourrir gratuitement les indigents, les voyageurs dans un établissement prévu à cet effet ». Quand je suis arrivé à l'urgence de l'hôpital Saint-Luc, c'est d'abord ce qui m'a frappé : l'accueil, la prise en charge consciencieuse. Nul ne semble excédé ici, accablé par le système ; les voix sont posées, parfois enjouées, et, pour peu qu'on y mette du sien, on s'y amuse.

Pour que Gigi puisse s'assoir, un type nous a d'abord spontanément conduits un peu à l'écart, dans une petite salle tranquille, réservée aux chirurgies légères. La chaise fut en effet très appréciée ; moins, cependant, la poubelle tout près, remplie de seringues et de lingettes souillées de sang. Quant à moi, je ne vois que ce qui entre dans mon champ de vision statique : le plafond devant, les épaules et la tête de Gigi à ma gauche et, de temps à autres, un préposé d'au moins 100 ans qui postillonne sur moi, un médecin, le Dr Brissette qui voudrait bien baiser ma Gigi, une inhalothérapeute, Magalie, moitié haïtienne, moitié congolaise, délicieusement chocolatée, croquable, et qui m'a rendu presqu'agréable le test de dépistage du H1N1.

Quatre heures après mon admission, j'avais passé tous les tests, répondu à toutes les questions, d'ailleurs toujours les mêmes : on me plaçait sous observation dans la chambre 39. La meilleure, face au poste, ce qui n'est pas un détail : n'étant pas capable d'appuyer sur le bouton de la cloche, je peux appeler le personnel de vive voix.

À 5 h du matin, Gigi me quitte pour aller travailler. À 8 heures, Irène, que j'avais finalement réussi à rejoindre la veille après plusieurs appels anxieux, arrive enfin. Infirmière auxiliaire à la retraite depuis peu, ma sœur sait s'occuper de moi. Au point où le personnel me fera remarquer à deux reprises à quel point je suis chanceux de l'avoir. Et c'est vrai. Sa générosité ne se tarit pas. Pas plus que celle de Catinette, elle aussi infirmière auxiliaire, qui, malgré un horaire surchargé, a trouvé le temps de venir s'occuper de moi les deux soirs que j'ai passés à l'urgence. Et c'est ce qui me frappe tout à coup : tant de gens font tant d'efforts – sans m'en rendre compte à ce moment-là, j'exagérais tout de même un peu –, tant d'efforts pour me garder en vie que, cette vie, ce serait me montrer bien ingrat de ne pas l'apprécier pleinement.

lundi, novembre 02, 2009

Voyage de noce

Premier de trois textes.

Mercredi, 14 octobre. Je m'éveille mal en point, pris d'un malaise auquel, vers midi, s'ajoute la nausée et, plus tard, la fièvre. Le lendemain, le pic de fièvre grimpe d'un degré et, le surlendemain, d'un autre degré. À plus de 103 ° F, vendredi après-midi, seul, au lit, je commence à paniquer. En soirée, une infirmière du CLSC, venue évaluer mon état, me recommande d'aller à l'hôpital.

Aller à l'hôpital !

Je suis catastrophé. J'imagine une urgence bondée, comme dans les Invasions barbares ; le personnel qui passe et repasse près de moi sans m'accorder la moindre attention, moi, couché sur une civière dans un corridor sombre aux murs jaunis...

Et qui va m'accompagner ?

Au deuxième coup de fil j'ai ma réponse : Gigi bien sûr.

Une heure plus tard, elle est chez moi, et, pendant qu'elle fait les bagages, Hadja, dont c'est la soirée de travail, me donne un bain au lit.

Les ambulanciers n'ont pas tardé. J'ai tout juste eu le temps de faire passer le rasoir sur ma tête crasseuse, qu'il valait mieux avoir dénudée en la circonstance. Une douche aurait été préférable, car, en vérité, l'effort pressé de Hadja n'avait pas produit de résultat bien tangible. Mais il aurait fallu pour cette tâche la présence de Catinette, l'experte en travaux lourds d'hygiène. Catinette vous décrasse un infirme en moins de deux : l'eau gicle, la peau rougit, le sang s'active. Parfois, même, un pet inopiné. Vous ressortez de la salle de bain propre, vivifié et vidé.

Les ambulanciers étaient sympathiques. L'un d'eux a pris mes signes vitaux, a posé quelques questions. J'étais un peu embêté car ma fièvre était tombée et je me sentais bien.

Dehors, le ciel opaque de cette nuit d'automne a réveillé un vieux désir d'étoiles. J'ai pensé aux Laurentides de ma jeunesse. L'air frais réconfortait.

En route vers l'hôpital Saint-Luc, le corps embué de réminiscences, j'ai fait remarquer à Gigi – dont je suis perpétuellement amoureux – que nous avions là, finalement, notre voyage de noce. Je portais une jolie couverture rouge, et elle, tous mes bagages dans une poche de lavage.

dimanche, octobre 11, 2009

99 francs

J'avais téléchargé 99 francs, de Jan Kounen, en pensant qu'il s'agissait d'une comédie. La présence de Jean Dujardin m'aura trompé. Le registre du film est plutôt celui du drame. Un passage m'a particulièrement frappé : « Pour lui la vie sans cocaïne est presqu'une découverte. C'est un peu comme la vie sans télé pour certains. Tout est plus lent, et l'on s'ennuie vite. Il se dit que c'est peu-être ça le secret qui sauvera le monde : accepter de s'ennuyer. »

La vie sans consommer de cocaïne, ici, nous renvoie très clairement à la vie sans consommer, point. A cette vie donc qui pourrait être la nôtre, à nous qui au fond n'aimons à peu près rien faire d'autre qu'acheter. Acheter même – surtout – ce qui est gratuit. Acheter des bidules, des gugusses électroniques, acheter ce qu'il faut pour refaire la décoration intérieure qui « en a bien besoin », acheter du divertissement, du plaisir instantané, acheter, tiens, des idées. Une quantité ahurissante d'idées, pour occuper l'esprit. Combien de livres édités à chaque année ? De journaux et de magazines imprimés à chaque semaine ? Pour ne rien dire de l'Internet et de sa pléthore abrutissante. Je lisais justement hier dans le Devoir que les essais philosophiques se vendent très bien depuis quelques années. Paraîtrait que les gens vivent « une perte de repères dans un monde où les systèmes de valeur se sont écroulés ». (1) Qui dit perte, dit vide, besoin, et – inévitablement – consommation. Le système est ainsi fait ; il n'y a pas d'issue. Ou plutôt : pas d'issue qui ne soit radicale. Qui ne passe, pour ainsi dire, par une aliénation au second degré. S'aliéner l'aliénation capitaliste. C'est-à-dire accepter de vivre en marge de la société telle qu'elle est aujourd'hui. Accepter de rompre le pacte tacite qui nous lit aux autres à travers la même compulsion à l'achat, d'être le grain de sable dans l'engrenage. Et accepter, pour cela, d'être jugé. Car il n'y a que cela qui « sauvera le monde ». Les allusions christiques sont d'ailleurs explicites dans 99 francs. Le protagoniste, Octave, incarné par Dujardin, ne pourra en fin de compte se résoudre à l'ennui. Sa condamnation du monde est aussi bien une condamnation de lui-même, laquelle l'amènera au suicide rédempteur.

Une alternative ironique et métacritique à cette fin tragique nous est cependant proposée : Octave retrouve Sophie (qui n'est donc plus morte) sur une plage ensoleillée. La scène, idyllique à souhait, se fige bientôt en une image qui est l'exacte reproduction du panneau publicitaire présenté au tout début du film.

Au consommateur, donc, de choisir la fin qui lui convient le mieux...

__________

(1) Doyon, Frédérique. « Philo-pop versus psycho-pop ». Le Devoir [En ligne] (Samedi 6 et dimanche 7 mai 2006) (Page consultée le 11 octobre 2009)

dimanche, septembre 27, 2009

Un prix à payer

« L'image était frappante de contraste : au moment où le président américain Barack Obama s'exprimait pour la première fois devant l'Assemblée générale [de l'ONU, à New York], devant un parterre prestigieux, M. Harper était en visite au Centre d'innovation Tim Hortons, à Oakville, posant devant des beignes. » (1)

Et dire que les Canadiens vont bientôt placer ce cancre à la tête d'un gouvernement majoritaire.

Nous en paierons tous le prix un jour. Comme les Étatsuniens paient aujourd'hui le prix des années Bush (et un peu quand même aussi des années Clinton).

__________

(1) Bourgault-Côté, Guillaume. « Harper prolonge sa pause-café ». Le Devoir [En ligne]. (Jeudi, 24 septembre 2009) (Page consultée le 27 septembre 2009)