J'avais téléchargé 99 francs, de Jan Kounen, en pensant qu'il s'agissait d'une comédie. La présence de Jean Dujardin m'aura trompé. Le registre du film est plutôt celui du drame. Un passage m'a particulièrement frappé : « Pour lui la vie sans cocaïne est presqu'une découverte. C'est un peu comme la vie sans télé pour certains. Tout est plus lent, et l'on s'ennuie vite. Il se dit que c'est peu-être ça le secret qui sauvera le monde : accepter de s'ennuyer. »
La vie sans consommer de cocaïne, ici, nous renvoie très clairement à la vie sans consommer, point. A cette vie donc qui pourrait être la nôtre, à nous qui au fond n'aimons à peu près rien faire d'autre qu'acheter. Acheter même – surtout – ce qui est gratuit. Acheter des bidules, des gugusses électroniques, acheter ce qu'il faut pour refaire la décoration intérieure qui « en a bien besoin », acheter du divertissement, du plaisir instantané, acheter, tiens, des idées. Une quantité ahurissante d'idées, pour occuper l'esprit. Combien de livres édités à chaque année ? De journaux et de magazines imprimés à chaque semaine ? Pour ne rien dire de l'Internet et de sa pléthore abrutissante. Je lisais justement hier dans le Devoir que les essais philosophiques se vendent très bien depuis quelques années. Paraîtrait que les gens vivent « une perte de repères dans un monde où les systèmes de valeur se sont écroulés ». (1) Qui dit perte, dit vide, besoin, et – inévitablement – consommation. Le système est ainsi fait ; il n'y a pas d'issue. Ou plutôt : pas d'issue qui ne soit radicale. Qui ne passe, pour ainsi dire, par une aliénation au second degré. S'aliéner l'aliénation capitaliste. C'est-à-dire accepter de vivre en marge de la société telle qu'elle est aujourd'hui. Accepter de rompre le pacte tacite qui nous lit aux autres à travers la même compulsion à l'achat, d'être le grain de sable dans l'engrenage. Et accepter, pour cela, d'être jugé. Car il n'y a que cela qui « sauvera le monde ». Les allusions christiques sont d'ailleurs explicites dans 99 francs. Le protagoniste, Octave, incarné par Dujardin, ne pourra en fin de compte se résoudre à l'ennui. Sa condamnation du monde est aussi bien une condamnation de lui-même, laquelle l'amènera au suicide rédempteur.
Une alternative ironique et métacritique à cette fin tragique nous est cependant proposée : Octave retrouve Sophie (qui n'est donc plus morte) sur une plage ensoleillée. La scène, idyllique à souhait, se fige bientôt en une image qui est l'exacte reproduction du panneau publicitaire présenté au tout début du film.
Au consommateur, donc, de choisir la fin qui lui convient le mieux...
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(1) Doyon, Frédérique. « Philo-pop versus psycho-pop ». Le Devoir [En ligne] (Samedi 6 et dimanche 7 mai 2006) (Page consultée le 11 octobre 2009)
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