Rechercher dans ma chambre

lundi, janvier 22, 2007

Individualité infantilisée

La plus récente enquête de Statistique Canada sur le niveau d'alphabétisation des Canadiens laisse sans voix : elle révèle que 48 % de la population de 16 à 65 ans a un niveau de littératie inférieur au seuil dit souhaitable, ne serait-ce que pour fonctionner dans la société. Au Québec, toujours selon l'Enquête internationale sur l'alphabétisation et la compétence des adultes (IECA, 2003), ce pourcentage est de 49 %. (1)

Je n'ai pas d'explication à cette statistique alarmante. Néanmoins quelques évidences s'imposent. La première, c'est que l'école échoue à inculquer une connaissance adéquate du français. La raison de cet échec -- deuxième évidence -- c'est que nous vivons dans une culture qui ne valorise pas l'écrit mais qui paradoxalement apparaît de plus en plus centrée sur l'expression de l'indivualité, non pas, il est vrai, l'expression réfléchie, argumentée et cohérente mais plutôt la spontanée, celle qui jaillit d'une subjectivité triomphante, placée au-dessus de tout, seule critère qui nous autorise désormais à juger de la valeur d'un texte. Il suffit de parcourir Blogue.ca pour s'en convaincre : la qualité du français y est généralement lamentable. Je ne parle pas ici de style... Mon Dieu non ! Je parle du simple fait de placer des mots les uns à la suite des autres tout en respectant leur orthographe et leur sens et en montrant un souci minimal de la syntaxe et de la grammaire.

Bien sûr, cela demande un certain effort. Et c'est là ma troisième et dernière évidence : nous vivons dans une société qui ne valorise plus l'effort, lequel a été dissous dans une indivualité infantilisée qui ne s'incarne plus que dans l'acte de consommation.

Quand nous écrivons sur notre blogue, nous n'exprimons pas un point de vue, avec ce que cela implique de responsabilité et d'effort, non, nous consommons un acte de liberté et d'expression. Le résultat de cet acte, le texte, comme nous pouvons le constater, n'a pas d'importance. Seul l'acte en a.

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(1) Chouinard, Marie-Andrée. « Vers une désertion des classes d'alphabétisation ? ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi le 13 et dimanche le 14 janvier 2007) (Page consultée le 21 janvier 2007)

Lire aussi :

-- « L'indélicatesse de l'ego ». 2 septembre 2006.

-- « Se distraire ». 15 juin 2006.

-- « ' Ont écries pédophile ' ». 8 juin 2006

-- « Écriture et émotions ». 5 mai 2006.

-- « Nos ego en quête de reconnaissance ». 4 mai 2006

-- « L'ego ne sait pas aimer ». 19 Avril 2006

-- « Pourquoi écrire si l'on n'aime pas écrire ? ». 7 avril 2006

mercredi, mai 31, 2006

Le mouvement slow

Comment m'est venue l'idée de ce pseudonyme : Lent Slow ?

C'est une excellente question, je vous félicite.

Cela ce passait au matin, je ne dormais plus que d'un sommeil très léger, rempli d'une profusion d'images, de scènes incohérentes. Dans la toute dernière de ces scènes, j'étais un chevalier en train de dérouler un papyrus. Tiens, tiens : il n'y a rien d'écrit sur ce papyrus. Je déroule encore, jusqu'à ce qu'apparaisse au bas ma signature : Lent Slow.

Je me suis alors réveillé, en riant. Remarquez ceci : les initiales de ce pseudonyme sont aussi celles de mon nom : LS.

C'est donc dire qu'au coeur de mon identité, il y aurait cette idée de la lenteur. Que faire ?

Or, quelques années plus tard, en décembre 2004, Le Devoir lançait une invitation à ses lecteurs :
« Il y a deux semaines, notre journaliste Fabien Deglise consacrait une série d'articles au mouvement slow -- du Slow Food aux cittaslow -- tel qu'il est vécu en Italie, là où il a vu le jour. Le mouvement faisant des petits, nous invitions, en éditorial, nos lecteurs à nous parler des ' lenteurs ' du Québec. Le regard est assez pessimiste, comme en témoigne cet aperçu des lettres reçues. »
Je voulus donc répondre sans délai à cette irrésistible invitation de mon journal. Apporter l'exemple optimiste d'une lenteur assumée. Montrer, par exemple, qu'il y a plein d'avenir dans le fait de prendre quarante minutes pour manger un demi-sandwich au jambon. Que manducation rime très bien avec éducation, que nourrir le corps procède de la même nécessité que nourrir l'esprit. Qu'il s'agit toujours, en définitive, de mordre dans la vie.

Surtout, je tenais à me positionner, sur l'échiquier mondial, comme un des précurseurs du mouvement slow. Je n'allais quand même pas avoir rêvé pour rien. Je songeai à créer une association, un club, une fondation, enfin une entité juridique qui porterait mon pseudonyme.

Avec mes vieilles pantoufles décousues, déchirées, je serais le chevalier d'une cause à ma mesure. Je lutterais contre l'abrutissement de la vitesse, contre sa mécanique qui écrase tout et contre son bruit qui plonge dans la laideur tous nos gestes de tranquillité.

Cette lettre au Devoir, que je n'ai pas encore terminée, serait bien sûr signée :

Lent Slow.

samedi, mai 27, 2006

Propagande anti-iranienne : les puissances nucléaires ne respectent pas le TNP

Une dépêche d'AFP émise vendredi rapportait ce propos du directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Mohamed el-Baradeï :
« Tant que quelques pays continuerons à répéter obstinément que les armes nucléaires sont indispensables à leur sécurité, d'autres pays les voudront [... ] Nous sommes à la croisée des chemins. Soit nous commençons à nous éloigner d'un système de sécurité fondé sur les armes nucléaires, soit nous nous résignons à voir, comme l'avait prédit le président Kennedy dans les années 1960, 20 à 30 pays disposant de l'arme nucléaire [...] Les efforts pour contrôler la prolifération de ces armes ne feront que retarder l'inévitable -- un monde où chaque pays, chaque groupe, revendique sa propre arme nucléaire »
Cette remarque vise en premier lieu les États-Unis bien sûr. Ceux-ci violent en toute impunité le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) en poursuivant le développement d'armes nucléaires de faible puissance, appelées mini-nukes. Ce faisant ils deviennent plus menaçants pour un pays comme l'Iran qui se voit donc justifé de chercher à obtenir l'arme nucléaire. D'autant que ce pays est cerné par les troupes états-uniennes présentes en Irak, en Arabie Saoudite, au Kazakhstan, en Afghanistan, sans compter Israël, allié indéfectible, qui est doté de l'arme nucléaire et qui a refusé de signer le TNP !
Le discours officiel relayé par les médias est que l'Iran constitue une menace à la sécurité mondiale -- rien de moins ! Or, dans les faits, il se trouve que c'est exactement le contraire. Ce sont les États-Unis qui constituent une menace directe à la sécurité iranienne : encerclement militaire, menace nucléaire, discours officiel belliqueux (inclusion de l'Iran dans « l'axe du Mal » et refus de Bush d'exclure le recours à la force) et volonté hégémonique. Tout y est !

Lire aussi le billet :
-- « Propagande anti-iranienne ». 26 mai 2006
Et cet article :
-- Taillefer, Guy. « Hans Blix craint une nouvelle course aux armements ». Le Devoir [En ligne]. (Mercredi, le 7 juin 2006). (Page consultée le 7 juin 2006)

Propagande anti-iranienne

L'entendez-vous ce bruit ? Moi, même dans ma chambre, je n'y échappe plus. Le bruit de la guerre. Pas LES guerres, celles d'Irak, du Darfour, de la Tchétchénie... non, LA guerre, celle que le gouvernement Bush est à préparer. En Iran. Remarquez, la raison est la même pour toutes : le pétrole.
Première étape : la propagande. Faire croire tout d'abord à l'opinion publique que l'Iran est dirigé par des brutes, des barbares agressifs qui répriment leur propre peuple, lequel attend désespérément d'être libéré par une « coalition » de puissances étrangères. Ensuite marteler l'idée que ces barbares constituent une menace à la « sécurité » dans la région, le Moyen-Orient, d'une part parce qu'ils cherchent à se doter de l'arme nucléaire et, d'autre part, parce qu'ils soutiennent le terrorisme et qu'ils menacent donc aussi les États-Unis.

Pour être efficace, ce discours n'a pas besoin d'être véridique, ni même vraisemblable et cohérent, il lui suffit d'être répété inlassablement, sur toutes les tribunes, dans tous les médias, et d'installer dans l'opinion publique un climat de suspicion et de peur. À cet égard, le concept « d'armes de destruction massive », inventé par l'admiration Bush dans le cadre de sa guerre au terrorisme, s'est révélé jusqu'à présent très efficace. Une fois bien installé le climat de peur irrationnelle, avancer à l'étape suivante en évoquant des scénarios d'intervention militaire, appuyés en outre sur des valeurs morales indiscutables, comme la lutte contre le Mal. De la sorte, toute forme d'opposition démocratique à la guerre sera d'emblée discréditée, réduite au silence.

Cette stratégie a beau être usée comme de la vieille corde, c'est la seule que Bush a entre les mains pour pendre haut et court le régime du président Amhadinéjad. Car le pétrole iranien est aussi convoité par des puissances régionales, comme la Russie et la Chine, qui, elles, curieusement ne se sentent pas du tout menacées par Téhéran, et qui sont prêtes à bloquer au Conseil de sécurité de l'ONU tout projet de sanctions économiques. Pourquoi pas alors des sanctions ciblées spécifiquement sur les avoirs propres des dirigeants iraniens ? Parce que ceux-ci ont vu venir le coup : pour se protéger, ils ont au début de l'année retirer les 36 milliards d'actifs qu'ils gardaient dans les coffres des banques européennes pour les transférer vers des institutions financières de Singapour, de Shanghaï, de Hong Kong et de Malaisie.

Bush n'a donc que deux options : un embargo sur les armes vendues à l'Iran -- présentement négocié au Conseil de sécurité -- ou une intervention militaire. C'est dans la perspective de cette dernière qu'il faut replacer la nouvelle du National Post, parue le 19 mai, à l'effet que le gouvernement iranien s'apprêterait -- comme les Nazis l'avaient fait durant la Seconde Guerre mondiale -- à obliger les juifs, les catholiques et les zoroastriens d'Iran à s'identifier en portant un insigne de couleur sur leurs vêtements.

Cette nouvelle, d'abord mise en doute par les experts et par la suite démentie officiellement, relève du plus pur exemple de propagande politique. L'article a d'ailleurs été retiré du site Web du National Post qui a présenté de très discrètes excuses. Rappelons qu'il s'agit de rendre le gouvernement de Téhéran abject aux yeux de l'opinion publique nord-américaine. L'auteur de l'article, Amir Taheri, est membre du Benador Associates, un cabinet de relations publiques mis sur pied en 2001 par Eleana Benador et qui fut très actif dans la campagne de propagande ayant mené à l'invasion de l'Irak.
« [M]alheureusement, nous en avons déjà assez vu de la part de ce gouvernement pour suggérer qu'il est très capable de tels actes. » (1) Qui a prononcé ces mots ? George W.  Bush ? Donald Rumsfeld ? Vous y êtes presque : Stephen Harper, la nouvelle coqueluche des Québécois !

Je ne dis pas qu'il y aura inévitablement une guerre, mais ce qui apparaît très clairement, c'est que le gouvernement des États-Unis, appuyé cette fois-ci du gouvernement très conservateur de Stephen Harper, est à préparer le terrain.

À suivre.
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(1) Buzzetti, Hélène. « Téhéran proteste auprès d'Ottawa ». Le Devoir [En ligne]. (Jeudi, 25 mai 2006) (Page consultée le 26 mai 2006)
À lire :
-- Boileau, Josée. « Déjà vu ». Le Devoir [En ligne]. (Mardi, le 6 juin 2006) (Page consultée le 6 juin 2006)
-- Cloutier, Jean-Pierre. « Autour des signes distinctifs en Iran ». Jean-Pierre Cloutier : Le blogue [En ligne]. (Dimanche, 21 mai 2006) (Page consultée le 26 mai 2006)
-- Cloutier, Jean-Pierre. « Taheri persiste et signe, et autres précisions ». Jean-Pierre Cloutier : Le blogue [En ligne]. (Mardi, 23 mai 2006) (Page consultée le 26 mai 2006)
-- Cloutier, Jean-Pierre. « Le National Post présente ses excuses ». Jean-Pierre Cloutier : Le blogue [En ligne]. (Mercredi, 24 mai 2006) (Page consultée le 26 mai 2006)
-- Desrosiers, Éric. « Perspectives - Comment faire la guerre sans se faire mal ? ». Le Devoir [En ligne]. (Mardi 23 mai 2006) (Page consultée le 26 mai 2006)
-- Reed, Fred A. « Libre opinion: L'anatomie d'un mensonge ». Le Devoir [En ligne]. (Vendredi, 26 mai 2006) (Page consultée le 26 mai 2006)

Le système de justice état-unien est vicié et dangereux

Aux États Unis, entre juin 2004 et juin 2005, « chez les Noirs âgés de 25 à 29 ans, 11,9 % étaient en prison [...], contre 3,9 % des Hispaniques et 1,7 % des Blancs du même âge. » 1

11,9 % ! Plus d'un Noir sur dix !

Comme par hasard, c'est dans les États du Texas, de la Louisiane, du Mississipi et de la Géorgie que le taux d'incarcération est le plus élevé.

Ce n'est pas tout. Le Comité de l'ONU contre la torture, demande au gouvernement fédéral états-unien de « revoir ses méthodes d'exécution, en particulier en ce qui concerne l'injection létale, afin de prévenir toute souffrance ou douleur sévère. »

Le Comité se montre aussi préoccupé par des cas « de violences sexuelles à l'encontre des détenus, par le traitement des femmes détenues et par le grand nombre d'enfants condamnés à perpétuité ». 2

Ce système de justice est un véritable danger public.
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1. AFP. « Mille détenus de plus par semaine aux États-Unis entre mi-2004 et mi-2005 ». Le Devoir [En ligne]. (Mardi, 23 mai 2006) (Page consultée le 23 mai 2006)
2. Centre de nouvelles ONU. « Le Comité contre la torture estime que Guantanamo doit fermer ». Centre de nouvelles ONU [En ligne]. (Vendredi, 19 mai 2006) (Page consultée le 23 mai 2006)
Lire aussi :
Brodeur, Jean-Paul. « États-unis - Les armées de la compassion ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi, 20 et du dimanche, 21 novembre 2004) (Page consultée le 23 mai 2006)

Sur la dépendance au pétrole

L'extrait est tiré d'un article de Louis Hamelin sur un auteur américain complètement déjanté, Kurt Vonnegut Jr :
« Sur la dépendance au pétrole : ' Comme tant de drogués sur le point d'être en manque, nos dirigeants commettent à présent des crimes violents... ' » 1
Ici, il faut penser à l'invasion de l'Irak, bien sûr. D'ailleurs un organe de l'ONU, le Comité contre la torture, comme pour étayer cette comparaison lumineuse de Vonnegut, se dit « préoccupé » « par les allégations selon lesquelles les États-Unis ont établi des centres de détention secrets qui ne sont pas accessibles au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et [affirme] que Guantanamo doit fermer. » 2

Le Comité contre la torture mentionne huit autres infractions au droit international -- rien de moins !
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1. Hamelin, Louis. « Le blues de l'abattoir ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi, 20 et dimanche, 21 mai 2006) (Page consultée le 27 avril 2007)
2. Centre de nouvelles ONU. « Le Comité contre la torture estime que Guantanamo doit fermer ». Centre de nouvelles ONU [En ligne]. (Vendredi, 19 mai 2006) (Page consultée le 23 mai 2006)

Les 100 premiers jours du gouvernement Harper : les Québécois satisfaits !

Oui, je sais : un autre billet traitant de politique. Je deviens plat. Mais c'est vous qui ne me laissez pas le choix. Si vous preniez le temps de vous informer, vous ne seriez pas 72 % à vous déclarer satisfaits du gouvernement Harper.

72 % ! Tabarouette !

Les deux bras me sont tombés.

Pour faciliter votre retour sur Terre, voici tout d'abord le bilan que dresse Chantal Hébert des 100 premiers jours au pouvoir de ce petit George Bush canadien :
« Cent jours après l'assermentation du gouvernement Harper, le Canada a abandonné des pans complets de l'action libérale sur le front de l'environnement et de la politique autochtone. Les relations canado-américaines lui tiennent de plus en plus lieu de relations internationales. La guerre contre le terrorisme prend le pas sur l'action humanitaire. Les cinq priorités du gouvernement n'ont rien de structurant. Elles marient l'électoralisme avec le simplisme. On a affaire ici ou bien à une carence de vision ou bien à une volonté de s'assurer d'une majorité gouvernementale avant de mettre un programme véritablement conservateur en chantier. » 1
Prochainement : Harper et la pseudo-reconnaissance de la nation québécoise.
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1. Hébert, Chantal. « Le bulletin des 100 jours ». Le Devoir [En ligne]. (Lundi, 15 mai 2006) (Page consultée le 28 avril 2007)

La Bolivie nationalise ses ressources pétrolières et gazières

Je ne peux pas m'empêcher : un bref commentaire politique.

La Bolivie vient d'annoncer la nationalisation de ses ressources pétrolières et gazières. Véritable commotion, en particulier au Brésil, en Argentine et en Europe. Un très bon article du Monde diplomatique fait pourtant remarquer :
« La fin de ce partage inégal a également entraîné la désapprobation de la ministre autrichienne des affaires étrangères, Mme Ursula Plassnik, présidente en exercice du Conseil des ministres de l’Union européenne (UE), lors du sommet UE-Amérique latine, tenu à Vienne du 11 au 14 mai. Déjà, le chef d’Etat accueilli avec enthousiasme, il n’y a pas si longtemps, comme ' premier président indigène de la Bolivie ' se transforme en un ' populiste ' beaucoup moins apprécié. Nul, parmi ces responsables politiques, ne s’était pourtant ému jusque-là du fait qu’aucun des plus de 70 contrats signés par les gouvernements boliviens précédents avec les multinationales n’avait été ratifié par le Congrès, comme le prévoit la Constitution bolivienne. Tous étaient donc ' hors la loi ' ».
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À lire aussi :
-- AFP. « Pétrole - Les multinationales subissent un autre revers en Équateur ». Le Devoir [En ligne]. (Mercredi, 17 mai 2006) (Page consultée le 17 mai 2006). Cet article ne traite pas de ce qui se passe en Bolivie, mais en Équateur, pays qui connaît une évolution politique similaire à celle qui a cours en Bolivie.
-- AFP. « Libre-échange : les États-Unis arrêtent les négociations avec l'Équateur ». Le Devoir [En ligne]. (Jeudi, 18 mai 2006) (Page consultée le 19 mai 2006). Un autre article sur l'Équateur.
-- Desrosiers, Éric. « Perspectives - De l'eau dans le gaz ». Le Devoir [En ligne]. (Lundi, 8 mai 2006) (Page consultée le 19 mai 2006). Un bon article, qui offre une mise en perspective intéressante.

Une promenade avec Jennifer

Jennifer est venu cherché le « recyclage » hier. Une fois par semaine elle passe ainsi prendre les deux sacs remplis, l'un, de papier, l'autre, de plastique.

Tu viens avec moi ?

Comme il ne faisait pas froid dehors, j'ai accepté. Les bacs ne sont pas bien loin, à l'entrée du garage situé sous le  bloc A, lequel est attenant au mien – le bloc D.

En une minute nous y étions. C'est court, une minute, mais comme il s'agissait de ma première promenade de l'année, je m'en suis quand même trouvé tout guilleret. En fait, non, il ne s'agissait pas de ma première promenade, laquelle remonte au 3 avril. J'étais à ce moment-là avec Francine, ma soeur handicapée. Mais avec Jennifer, depuis l'automne passé, oui, c'était la première.

Donc, nous voilà à l'endroit où sont normalement placés les bacs : oh ! Stupeur : ils n'y sont plus ! Imaginez la fête tout à coup dans ma tête : il arrivait quelque chose ! Après un long hiver figé dans le froid et la routine, enfin un événement : les bacs avaient disparu ! Non, mais quel aventure ! Je me promettais de tout raconter sur mon blogue, car une aventure n'est telle, ou ne devient telle qu'une fois racontée. Pensez aux aventures amoureuses des adolescentes...

Pour revenir aux bacs, il a fallu demander au gardien de sécurité -- il a son bureau à l'entrée du garage -- où ils étaient rendus.

Il a levé un bras, pointant de l'index : là.

On les avait simplement déplacés de quelques mètres, temporairement.

Ah.

Pour ne pas que l'aventure prenne fin de manière aussi décevante, j'ai proposé à ma charmante amie d'allonger la promenade.

Un quartier laid sous une belle journée.

Allons-y.

Un but à atteindre

L'ONU a lancé un appel : les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ne seront pas atteints sans un engagement plus soutenu de la communauté internationale.

Le premier ministre Harper n'hésita pas une seconde face à ces Millennium development goals. En cette période de l'année, le mot goals soulève invariablement le plus grand enthousiasme.

Le Canada, leader en matière d'aide au développement, répondit aussitôt en envoyant sur la patinoire son meilleur marqueur, le célèbre numéro 17, un homme qui ne manquerait pas d'atteindre le but, quel qu'il fût.

La situation était fort simple : la partie était déjà terminée mais on accordait au 17, à titre humanitaire et conformément à la politique étrangère canadienne, l'occasion, une dernière fois -- son équipe venait d'être éliminée -- de s'élancer vers le but adverse.

S'agissait-il d'un moment historique ? Le 17 n'en était pas sûr, malgré, ou peut-être à cause des savantes explications d'Ottawa, dont il n'avait rien compris. Son entraîneur, qui le connaissait bien, lui résuma le tout en une image fort simple : il allait être seul sur la patinoire, il allait s'élancer vers le but et... suivre son instinct de marqueur.

Les spectateurs, informés à la dernière minute de l'événement inédit, n'avaient pas quitté leurs sièges. Ils étaient plus de 20 000, comme un mur d'enceinte opaque et oppressant. Au choc de la défaite de son équipe se mêlait donc maintenant, dans l'esprit du 17, la tension de ce moment décisif, du moins quant son avenir. Si je n'atteins pas le but, ils ne me le pardonneront pas, se dit-il. Un murmure profond tournoyait dans le noir tout autour de lui. L'air était lourd, tiède et suffocant.

Enfin il s'élança. Soulagé de ne plus avoir à réfléchir.

En traversant le centre de la patinoire, il s'empara du disque, puis accéléra en quelques foulées puissantes et élégantes. C'est curieusement lorsqu'il atteignit sa pleine vitesse qu'une première question le rattrapa. Que lui avait-il dit, au juste, cet homme ? Il s'apprêtait à retirer son uniforme quand on lui avait passé le téléphone : un appel d'Ottawa, une affaire importante. L'homme, un fonctionnaire, parlait rapidement, en employant un vocabulaire plutôt inhabituel dans un vestiaire. Qu'avait-il dit au juste ? Il avait saisi des bribes de sens : « fierté d'être canadien », « privilège », « héros », « talent », puis un mot semblable à ONG, ou OSM, OGM, OMD... Il s'agissait peut-être des gaz à effet de serre. Son beau-frère lui en avait parlé plus d'une fois. Hier encore il pestait contre Harper qui mettait la hache dans le programme... ÉnerGuide, oui, c'était cela, il se souvenait maintenant. Ouf ! Ce programme subventionnait l'isolation des maisons afin de réduire la consommation de mazout pour le chauffage. Le mazout, les gaz à effet de serre, oui... Une cause importante sans doute. L'isolation... Le beau frère ne disait-il pas pourtant que le Canada, après ce coup de hache, s'était retrouvé, justement, très isolé sur la scène internationale ? Il lui fallait suivre son instinct, voilà tout. C'est l'entraîneur qui l'avait dit, un homme qui le connaissait bien, savait tirer le meilleur de lui. L'instinct du marqueur... Ne pas réfléchir... De toute façon, il n'y avait plus à réfléchir, l'image étant fort simple : seul sur la patinoire, il s'élançait, passait la ligne bleue en s'emparant de la rondelle, fonçait à toute allure vers le but adverse... une feinte vers la gauche -- il était gaucher -- pour déplacer le gardien de but, puis vers la droite et hop ! du revers, la rondelle dans le coin supérieur, et les spectateurs se levant d'un bond, criant de joie...

C'est en amorçant sa feinte -- d'abord vers la gauche... -- qu'il remarqua qu'il n'y avait PAS de gardien de but ! -- ... puis vers la droite... -- on lui avait simplement demandé d'ATTEINDRE le but. Par automatisme il visa tout de même le coin supérieur comme prévu dans son exercice de visualisation, mais le choc émotionnnel était tel qu'il perdit le contrôle de la rondelle et qu'à la place ce fut lui qui se retrouva dans le fond de la cage. Cul par-dessus tête.
*
Lire aussi :
Buzzetti, Hélène, Castonguay, Alec. « Énerguide, un secret d'État. Ottawa refuse de dire en quoi le programme était inefficace ». Le Devoir [En ligne]. (Vendredi, le 9 juin 2006) (Page consultée le 9 juin 2006)

jeudi, mai 04, 2006

C'était quoi, au juste, cette fièvre ?

J'avais donc mon thermomètre rectal. Ne restait plus qu'à l'introduire doucement... Voilà.

Ainsi chaque matin, quatre matins durant. Debout, dans la salle de bain, penché devant le miroir.

À la suite de quoi j'expliquai aux copains que je n'avais pas encore attrapé la fièvre des séries, et que j'en étais bien soulagé. Le grand Duquette, qui toujours se croit le plus intelligent -- il m'énerve -- fit remarquer que de toute façon elle était passée, cette fièvre. Elle durait rarement plus d'une semaine.

La question me brûlait les lèvres, mais je n'osai la lui poser, par orgueil.

C'était quoi, au juste, cette fièvre ?

dimanche, avril 30, 2006

Une action politique

Cette marche pour la paix serait un grand événement. Et moi, cette douleur au tempe à mon réveil, et cette fatigue. Une nuit de mauvais sommeil. Des cauchemars sans doute.

Il était presque midi. J'essayais de me mettre en train, tout en mangeant le restant du souper de la veille. Le journal, sur la table, était ouvert : toute l'actualité internationale en un seul coup d'œil. Mon regard s'accrochait aux titres que je lisais avec une application exagérée.

Peu à peu, mon esprit émergeait. Des mots, puis des phrases, se formèrent : Mon camp... fout le camp... Non, bien sûr, quelle idée !

Mon camp, celui de la justice.

C'était mieux, mais... Il me fallait encore mieux...

Le monde... contre l'immonde.

Oui, voilà. Parfait. Du meilleur effet devant les caméras de télé... Sans les caméras de télé, cette marche n'en valait pas la peine. L'important était de ne pas rater ce qui, pour moi, serait une première action politique. Ne rien laisser au hasard...

Ma rêverie ne dura pas longtemps. Un grondement se fit entendre, puissant, saisissant tout, le corps, la pensée, les murs, jusqu'au sol. Je me levai, inquiet, mu par une soudaine tension intérieure.

J'étais en retard. Des militants, des milliers de militants disait la radio, marchaient vers... Au fait, où allaient-ils ? Plus moyen de m'en souvenir.

Dehors, le grondement était encore plus assourdissant. Je levai les yeux vers le ciel. C'était un avion-cargo, un Antonov immense. Il tournait au-dessus du quartier. Je pressai le pas.

En peu de temps, je rejoignis le cortège, sur Sherbrooke. De loin, celui-ci m'avait semblé avancer de manière ordonnée, sans hâte, au ralenti, eût-on dit. Mon approche apparemment coïncida avec une rupture de ce rythme. Le grondement insoutenable de l'Antonov... Je criai : « Allons ! Allons ! Plus vite ! ». Mais nul n'entendit. Je criai à nouveau, puis encore... L'immense avion-cargo tournoyait au-dessus de nos têtes comme un vautour, encore plus bas que tout à l'heure. L'exubérance, les slogans scandés à pleine voix, les cris de ralliement, propres à ce genre de rassemblement, toute cette force en marche n'avait peut-être existé que dans ma tête... Je ne savais plus. Le cortège n'avançait plus. Se désagrégeait. Nul exubérance. Que désordre et panique maintenant.

Je levai encore une fois -- courageusement -- les yeux. Et ce fut alors comme un coup de tonnerre dans mon sang. Je sus qu'il s'agissait de l'Antonov, celui-là et pas un autre, nul doute, utilisé par le gouvernement soudanais pour bombarder les populations innocentes du Darfour. Des milliers de victimes. Un communiqué dans le journal, hier...

Tout à coup j'entendis : « C'est lui ! » Le cri venait de près de moi, bientôt relayé par un autre, puis un autre plus loin. Une onde noire traversa la foule. Des regards chargés d'hostilité se braquèrent sur moi. « C'est lui ! ». Quelqu'un voulut m'empoigner mais je lui échappai. Je bousculai de même deux autres assaillants et me mis à courir.

Je ne regardais pas où j'allais. Je fuyais. Je n'entendais plus le grondement. Que, dans mes oreilles, un bourdonnement douloureux. Je courus. Longtemps. Jusqu'à perdre haleine, jusqu'à un terrain vague. L'Antonov ne me quittait pas. Je le savais, le sentais. Tournoyant, m'étourdissant. Je perdis pied et me retrouvai, exténué, transi d'effroi, étendu parmi les mégots, les canettes, tessons et autres détritus.

La masse gigantesque vibrant en moi. Mes deux paumes sur les oreilles...

Sous un ciel noir.

vendredi, avril 28, 2006

La « fièvre des séries » ?

« La fièvre des séries s'empare de Montréal ! »

La nouvelle, à la une de tous les grands quotidiens, m'a plongé dans l'inquiétude.

Quoi ! J'attendais la grippe aviaire, dont la souche H5N1 est, de l'avis des spécialistes, particulièrement virulente. Et voilà que... cette fièvre...

Et de quel virus est-elle le symptôme, cette fièvre ? Aucun des articles lus -- par ailleurs incompréhensibles -- n'était même intéressé à la question.

Donc, je descends à la pharmacie située dans le centre d'achat, sous l'édifice où j'habite. J'explique à la seule personne qui s'y trouve la raison qui m'amène. Celle-ci, après une brève hésitation, s'éloigna jusqu'à un rayon, hors de ma vue.

Quand finalement je me décidai à l'y rejoindre, elle réapparaissait : « Voici. C'est le seul que nous avons ».

Parfait, répondis-je.

J'avais mon thermomètre rectal.

Un moment de distraction

Hier, faisant mon premier sudoku, je me suis trouvé -- ces mains qui veulent toujours s'occuper ! -- à m'injecter une dose de thiopental de sodium.

La seringue était là, sur la table, selon toute vraisemblance. Je l'aurai prise. Voilà.

La deuxième seringue, elle, contenait du bromure de pancuronium, et la troisième, du chlorure de potassium. Que ces trois substances se soient retrouvées, pour ainsi dire à mon insu, à l'intérieur de mon organisme, mélangées au sang, illustre assez bien, je crois, la faiblesse de ma vigilance.

Un ami à qui je téléphonai le lendemain avança toutefois l'hypothèse suivante : c'est le sudoku, dont la résolution par calcul mental exige un important effort de concentration, qui m'aura été fatal.

Fatal ?

Oui, ajouta-t-il, ces trois substances sont celles injectées au condamné à mort aux États-Unis. Elles sont létales.

Je raccrochai.


Sur le même sujet :
-- AFP. « Injections anticonstitutionnelles ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi, 16 et dimanche, 17 décembre 2006) (Page consultée le 9 février 2007)
-- Human Rights Watch. « États-Unis : Négligence dans l’emploi des injections létales ». hcr.org [En ligne] (Lundi, 24 avril 2006) (Page consultée le 13 février 2008)

mercredi, avril 27, 2005

Kyoto : « plan » québécois de réduction de GES : quelques précisions

J'écrivais dans le billet du 21 avril que le bilan presque criminel du Québec en matière de consommation d'énergie « n'a pas empêché le gouvernement Charest d'abandonner le plan de lutte contre les changements climatiques, préférant s'en remettre au plan du... gouvernement fédéral ».
Un article du Devoir a depuis apporté quelques précisions qui ne sont pas totalement dénuées d'intérêt :
Quant au plan de lutte contre les changements climatiques de l'an 2000, que le gouvernement Landry avait entrepris de mettre à jour en 2002 avec une commission parlementaire tenue juste avant les élections, il serait « carrément au point mort ». Il y a visiblement consensus là-dessus de haut en bas du ministère. Néanmoins, dans l'entourage du titulaire du MDDEP, Thomas Mulcair, on affirme vouloir « publier une stratégie québécoise sur les changements climatiques » d'ici au début de l'été, ce qui est sensiblement différent d'un plan d'interventions structurées, avec budgets, ressources humaines et techniques à l'appui. 1
Une stratégie québécoise, donc, qui consistera, pour l'essentiel, comme de raison, à gagner -- c'est-à-dire perdre -- du temps.
__________
1. Francoeur, Louis-Gilles. « Réduction des GES : les écologistes demandent à Québec d'agir rapidement ». Le Devoir [En ligne]. (Mardi, 19 avril 2005) (Page consultée le 13 février 2008)

jeudi, avril 21, 2005

Kyoto : puérils

Ottawa a publié le 14 avril son plan de réduction de gaz à effet (GES). Je reviendrai prochainement sur certaines des mesures annoncées dans ce plan, car dans l'immédiat, ce qui retient l'attention, c'est la prémisse à la base de celui-ci, présentée comme un constat : « Le Canada est le pays signataire de Kyoto qui doit atteindre la cible de réduction des émissions la plus difficile. Parmi les pays signataires, la différence en pourcentage entre les émissions prévues en 2010 en cas de maintien du statu quo (MSQ) -- ce que seraient les émissions en l’absence de mesures de réduction -- et la cible de Kyoto est plus importante pour le Canada. En l’absence de toute mesure de réduction, nos émissions, en 2010, seraient supérieures d’environ 36 % aux niveaux de 1990 ou d’environ 45 % par rapport à notre cible de Kyoto. » 1

Cette façon de quantifier l'effort canadien est totalement biaisée et puérile. Le Canada s'est engagé à réduire ses émissions de GES de 6 % sous le niveau de 1990, ce qui est peu comparé à la Grande-Bretagne qui doit les réduire de 12,5 %, à l'Autriche, 13 %, au Danemark et à l'Allemagne, 21 % ! 2 Au total, il n'y a pas moins de vingt-trois pays qui se sont fixé des cibles de réduction plus contraignantes que la cible canadienne ! En outre, le Canada a obtenu une concession supplémentaire de la communauté internationale, soit de pouvoir réduire son effort national avec des « puits » de GES 3, ce qui ramène désormais son objectif près de 0 %, plutôt qu'à moins 6 %. La réduction de 36 % évoquée dans le document présenté par le ministre Stéphane Dion ne constitue donc pas l'objectif fixé initialement à Kyoto en 1997, mais plutôt le résultat d'années de laxisme de la part d'Ottawa qui en est encore au stade d'une « démarche » consistant « à bâtir, à apprendre et à nous adapter en cours de route ». 4 Alors que l'Allemagne a déjà presque atteint son objectif et l'aura vraisemblablement dépassé en 2012, Ottawa demeure campé dans une attitude dubitative : « Le Canada aura fort à faire pour atteindre sa cible de Kyoto ». 5

En effet, le Canada aura fort à faire. D'autant que le plan du gouvernement Martin fait porter le fardeau de la réduction des émissions de GES sur l'ensemble de la population afin d'épargner la centaine de grand pollueurs qui à eux seuls sont responsables de la moitié des émissions canadiennes.

Du côté de Québec, le discours est tout aussi puéril et se résume à ceci : c'est pas juste !

Le ministre de l'Environnement, Thomas Mulcair, n'en démords pas : le « Québec a réduit sa production de gaz à effet de serre en industrie de 9,9 % entre 1990 et 2002, en favorisant les sources d'énergie verte comme l'hydroélectricité », ces « efforts historiques [...] doivent être compensés ». 6 Cela est peut-être vrai. Comme il est vrai que si le Québec était un pays souverain, il aurait probablement atteint sa cible de réduction de GES, laissant le reste du Canada s'écraser sous le fardeau de sa propre réalité : un système de production qui a refusé -- en l'absence de tout leadership politique -- de prendre le virage Kyoto, qui demeure le plus grand émetteur de GES par habitant de la planète et qui, en 2005, ressemble plus que jamais à un monstre à neuf têtes assoiffées de combustible fossile.

Cela dit, si le Québec émet moins de GES que les autres provinces, ce n'est pas parce qu'il se consomme ici moins d'énergie mais simplement parce que près de 40 % de cette énergie vient de la filière hydro-électrique. Toutes sources confondues, nous en consommons en fait, par habitant, 245,50 gigajoules, 7 soit plus que la Colombie-Britannique (239,29 gigajoules) 8 et le Manitoba (229,79 gigajoules), 9 et légèrement moins que l'Ontario (268,97 gigajoules), 10 mais beaucoup plus que la moyenne des pays du G-8 (219,80 gigajoules) 11.

Le ministre Mulcair peut bien exiger toutes les compensations possibles, le fait demeure que le plus grand préjudice ne nous est pas causé par Ottawa mais, ici comme là-bas, par le manque de leadership d'une classe politique dénuée de vision et de détermination, incompétente et, en vérité, peu soucieuse du bien commun. Le Québec consomme 75 % plus d'énergie que la France 12 pour un niveau de vie comparable. Ce qui n'a pas empeché le gouvernement Charest d'abandonner le plan de lutte contre les changements climatiques, préférant s'en remettre au plan du... gouvernement fédéral. Quant à Hydro-Québec, société d'État, ce n'est que tout récemment, sous la pression sociale, qu'elle a daigné se doter d'un programme d'économie d'énergie, lequel, de l'avis des experts, n'est pas la moitié de ce qu'il devrait être.

Ces considérations ne sont pas anodines. L'énergie que nous économisons s'accumule dans les immenses réservoirs d'Hydro-Québec et peut par la suite être exportée vers l'Ontario, par exemple, permettant à cette province de réduire son recours aux centrales thermiques fonctionnant au mazout lourd, au charbon ou au gaz naturel, tous polluants. En fait, toute réduction de la consommation d'énergie, voire toute réduction de la consommation, point -- qu'ils s'agissent de biens manufacturés, de denrées, d'énergie hydro-électrique ou d'hydrocarbure -- se traduit ultimement par une réduction correspondante des émissions de GES. C'est cela que nous ne devons jamais perdre de vue. Et c'est cela que nous devons rappeler au gouvernement Charest qui voudrait nous faire croire que le problème de la surconsommation d'hydrocarbure n'est plus un problème québécois.
__________
1. Aller de l'avant pour contrer les changements climatiques : Un plan pour honorer notre engagement de Kyoto, p. 42. Ce plan a évidemment été retiré de l'Internet dès l'arrivée des conservateurs au pouvoir il y a deux ans. Un résumé demeure accessible sur le site d'Environnement Canada.
2. Ces chiffres sont tirés de l'excellent site de Jean-Marc Jancovici, accessible ici.
3. Par « puits » de GES, on entend toutes les techniques, comme la plantation d'arbres ou la fixation souterraine d'émissions de GES, qui soustraient de l'atmosphère ces gaz néfastes au lieu d'en réduire les émissions à la source
4. Op. cit., p. 7.
5. Ibid, p. 1.
6. PC. « Québec dénonce le plan de Stéphane Dion ». Canoë info - LCN [En ligne]. (Mercredi, 13 avril 2005) (Page consultée le 14 février 2008)
7. Le contenu en énergie d’un réservoir de 30 litres d’essence à moteur équivaut à environ un gigajoule. Donnée tirée d'un document de Statistique Canada, compilée pour l'année 2003.
Ménard, Marinka. « Le Canada, un grand consommateur d'énergie : une perspective régionale ». Statistique Canada [En ligne], p. 10. (Page consultée le 14 février 2008)
8. Idem, p. 21.
9. Idem, p. 15.
10. Idem, p. 13.
11. Idem, p. 4. Donnée compilée pour l'année 2002.
12. IBidem.

samedi, mars 26, 2005

Il faudra bien pourtant en sortir un jour

On trouve décidément de tout dans un journal. Récemment Le Devoir, sous la plume de Louis-Gilles Francoeur, posait cette question pertinente et lourde de sens : « Le nouveau Guide de consommation de carburant [...] confirme que les lois canadiennes autorisent les millionnaires à polluer libéralement : une Bentley Arnage avec une consommation urbaine de 23 litres les 100 km produit en toute impunité 9,2 tonnes de GES annuellement. Faudra-t-il en venir à interdire les véhicules les plus polluants, qui mettent en cause la sécurité environnementale de la planète, comme, au siècle dernier, on a mis fin au port d'armes libre au nom de la sécurité publique ? »

Quelques jours plus tard, le même journal, publiait un cahier spécial sur... les voitures de luxe. Y étaient présentés les résultats d'essais routiers de quelques modèles prestigieux. Plus que tout, ce qui a retenu mon attention, c'est le ton des articles ; je cite :
Côté mécanique, c'est le statu quo et on ne s'en plaindra pas. Lors de la refonte, on a conservé les deux V8 de la génération précédente, deux superbes moteurs dont l'onctuosité n'a d'égale que la fougue. Ils sont jumelés à une boîte automatique à 6 rapports dont la souplesse et la douceur s'harmonisent avec celles des moteurs. 1

L'Espagne, comme plusieurs pays européens, affiche des limites de vitesse que personne ne respecte. C'est donc au volant d'une 330i automatique que j'ai quitté le centre-ville de Valence pour me lancer à l'assaut des petites routes sinueuses de la banlieue. Durant près de deux heures et demie, j'ai savouré chaque instant derrière le volant. Entre les petites routes rapides à plus de 150 km/h et les chemins en enfilade au son d'une mécanique qui ne manque jamais de souffle, la Série 3 a fait preuve d'un aplomb et d'une rigidité exemplaires. Jamais récalcitrant quand vient le moment de mettre « toute la gomme », le moteur rugit d'un bonheur contagieux. Si, si, contagieux !  2
Il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur les chroniqueurs qui ont mené ces essais, ou sur la rédaction du Devoir qui, ici, a jugé qu'un tel cahier répondait à un intérêt réel d'une partie de sa clientèle.
Cela dit, il faudra bien un jour en sortir.

En sortir de cette euphorie de la performance, de la puissance vécue dans l'instant et l'« extase », pour reprendre le mot de Kundera. 3 Il faudra bien sortir de ce conditionnement social qui commence dès l'enfance avec les Hot Wheels, les Matchbox et autres Majorette, se poursuit à travers les pubs, qui m'inculque une conception de la liberté où toute pause critique, tout effort de lucidité est évacué. Une liberté qui n'accepte nulle maturité, ne m'élève pas verticalement au-dessus de réalités pourtant bien évidentes, au contraire me maintient bien au sol, sur des routes dont je n'ai d'autre choix que de suivre docilement le tracé, cherchant à dépasser plutôt que me dépasser.

Cette liberté infantilisante consistant à lancer ma voiture-jouet au-delà de la limite de vitesse permise, serait excusable si elle ne m'aveuglait pas aux enjeux environnementaux qui nous rattrapent implacablement, aussi vite puissons-nous vouloir filer.

Le désir de puissance est inscrit dans la psyché ; c'est un fait anthropologique. Il serait donc naïf de s'imaginer pouvoir l'éradiquer par des campagnes d'éducation publique et des lois. Il faut plutôt s'arrêter sur les comportements par lequel ce désir cherche à se satisfaire, qui sont pour la plupart des comportements de consommation, et leur créer des substituts. Et puisque le désir de se sentir détenteur d'un pouvoir est largement compensatoire, pourquoi ne pas chercher le pouvoir réel là où il se trouve, dans la solidarité, l'action politique concertée, le refus des dogmes économiques, à commencer par celui du consommateur-roi ?

Le désir de pouvoir ne trouve-t-il pas une formidable source de satisfaction dans la révolte tranquille de ces milliers d'étudiants qui ont décidé de prendre la rue et leur destin en mains ? Qu'est-ce que l'euphorie vide, dénuée de sens, de filer à 150 km/h dans une bagnole de 60 000 $, comparée au moment historique que nous offrent les jeunes qui, mine de rien, sont en train de nous servir une leçon.

Jean-Guillaume Dumont, journaliste au Devoir, s'étonnait ce week end que « malgré tous les désavantages économiques reliés à l'utilisation de la voiture, elle ne cesse de gagner en popularité aux dépens du transport en commun. Entre 1998 et 2003, le parc automobile dans la grande région montréalaise a augmenté de 10 %, alors que la population a crû de seulement 3 %. La longueur de toutes ces voitures, mises bout à bout, équivaut à la distance entre Montréal et Berlin. » 4 Pourquoi s'étonner ? Sous prétexte de toujours mieux nous servir, les élites cherchent depuis toujours en fait à nous asservir. Créer sans cesse de nouveaux besoins : voiture high tech, cellulaire dernier cri, ordinateur surpuissant, cinéma maison Hi-Fi... Ne pas nous laisser de répit, maintenir la pression, ne pas nous laisser le temps nécessaire à certaines remises en question.

Reprendre le pouvoir, dans ce monde de gadgets infantilisants et aliénants, c'est d'abord crier son refus et le mettre en pratique. En consommant moins, et mieux. « Simplicité volontaire », « consommation éthique », « consommaction », « commerce équitable », « éco-consommation », « bien commun »... tous ces termes traduisent, de manière, il est vrai, encore diffuse, fragmentée, le refus de l'ordre socio-économique actuel. Refus qui se cristalise épisodiquement autour d'événements comme l'opposition au projet de centrale thermique du Suroît, et maintenant l'opposition aux coupures de 103 millions $ à l'aide financière aux étudiants.

L'horizon devant lequel se profile cette rumeur et cette humeur désobéissante, faut-il le répéter, c'est celui d'un réchauffement climatique dont les conséquences potentiellement catastrophiques nous imposent un ralentissement immédiat du rythme où nous consommons.
__________
1. Laguë, Philippe. « Jaguar XJ - Au sommet de son art ». Le Devoir [En ligne]. (Mercredi, 16 mars 2005) (Page consultée le 15 février 2008)
2. Charette, Benoît. « BMW Série 3 2006 - La mesure étalon de la voiture de luxe ». Le Devoir [En ligne]. (Mercredi, 16 mars 2005) (Page consultée le 15 février 2008)
3. Milan Kundera, La Lenteur, Gallimard, 1995, 154 p. « [L]'homme penché sur sa motocyclette ne peut se concentrer que sur la seconde présente de son vol ; il s'accroche à un fragment de temps coupé et du passé et de l'avenir ; il est arraché à la continuité du temps ; il est en dehors du temps ; autrement dit, il est dans un état d'extase ; dans cet état, il ne sait rien de son âge, rien de sa femme, rien de ses enfants, rien de ses soucis et, partant, il n'a pas peur, car la source de la peur est dans l'avenir, et qui est libéré de l'avenir n'a rien à craindre. » (p. 10)
4. Dumont, Jean-Guillaume. « Économie - Un puissant moteur de développement ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi, 19 et dimanche, 20 mars 2005) (Page consultée le 15 février 2008)

samedi, mars 12, 2005

Le piège de l'« efficacité énergétique »

Au cours des prochaines années, il sera de plus en plus question d'efficacité énergétique. Le Grand dictionnaire terminologique définit le concept comme suit : « Propriété d'un appareil dont la consommation d'énergie est réduite ». L'efficacité énergétique est donc liée au principe général d'économie d'énergie, mais ne doit être confondue avec lui. Elle se présente comme une vitrine attrayante derrière laquelle scintille le bonheur d'une consommation déculpabilisée : un lave-vaisselle certifié Energy Star, aux lignes épurées ; une maison, elle aussi certifiée Energy Star, inutilement luxueuse et grande ; une voiture hybride, là où il serait possible de prendre le transport public, ou mieux encore, le vélo.

L'objectif auquel nous sommes collectivement assignés est de réduire de manière DRASTIQUE la consommation d'énergie, et en cela, oui, une plus grande efficacité énergétique des appareils que nous utilisons est indispensable, mais insuffisante. Ce qu'il faut impérativement, c'est une réduction de la consommation, point. Car toute réduction de la consommation -- qu'ils s'agissent de biens manufacturés, de denrées, d'énergie électrique, ou d'hydrocarbure -- se traduit ultimement par une réduction de gaz à effet de serre (GES).

L'exemple de l'État du Vermont, notre voisin, montre bien les limites de l'efficacité énergétique.
Samedi dernier Le Devoir nous présentait les grandes lignes du programme d'économie d'énergie de cet État américain. Le programme, d'une efficacité sans égal au Canada, a donné des résultats impressionnants : « EVT [l'organisme qui gère le programme] a évité, durant ses quatre premières années d'existence, à cet État quelque 1,7 million de tonnes d'émission de GES, 2000 tonnes d'oxydes d'azote, 7000 tonnes de dioxyde de soufre et 600 tonnes de matières particulaires potentiellement cancérigènes. » 1

Voilà qui n'est pas rien. D'autant que l'État du Vermont ne compte que 600 000 habitants. Imaginez un tel programme à l'échelle du Québec !

Et pourtant cette belle réussite, qui draine l'effort de toute une collectivité, suscitant espoir et enthousiasme, demeure entachée d'une incohérence fondamentale. Les résultats obtenus sont en partie annulés par une augmentation de la consommation. Je cite :
Mais quand on lui fait remarquer qu'une maison d'un tel volume pour deux ou trois personnes engendre néanmoins une facture d'énergie discutable, Bart Frisbie non seulement en convient immédiatement mais ajoute spontanément : « L'augmentation de la surface et du volume des maisons est certainement ce qui explique que, malgré leur efficacité énergétique croissante, la demande en énergie pour le secteur résidentiel continue de grimper. Entre 2000 et 2003, la surface moyenne des résidences construites au Vermont est passée de 2000 à 2500 pieds carrés, une augmentation de 25 % ! »
Steven Maier, le représentant de Middlebury à la Chambre législative du Vermont et parrain d'un projet de loi sur le contrôle des émissions de gaz à effet de serre, reconnaît que les législateurs ont évité jusqu'ici cet aspect du problème qui touche un trait fondamental de la culture étasunienne : « Même si personnellement je préfère vivre avec des moyens et dans un espace modestes, je sais qu'ici, en général, on préfère acheter un gros utilitaire sport hybride plutôt qu'une petite voiture tout aussi performante et moins chère. Même chose pour les maisons. » 2

Voilà. Tout le problème est là. Tout programme d'économie d'énergie doit impérativement s'accompagner d'un plan de réduction de la consommation, point. Surtout au Canada, le deuxième plus grand émetteur de GES per capita de la planète, derrière l'Arabie Saoudite. Reprenons l'exemple de la voiture. En 1970, le parc automobile mondial était estimé à 194 millions d'unités, en 1997, ce nombre était passé à 500 millions, et pourrait franchir le cap du milliard en 2025. Une telle croissance ne pourra JAMAIS être compensée par une efficacité énergétique accrue des véhicules. Il n'y a pas d'alternative à la diminution du parc automobile. PAS d'alternative -- que nous le voulions ou non -- au changement profond de notre mode de vie, de notre conception pathologique du confort, du bonheur. Le protocole de Kyoto, qui suscite encore bien des grincements de dents, qui pourtant nous demande si peu, conviant aimablement le Canada à une réduction de 6 % des GES sous le niveau de 1990, n'est rien en regard de la réduction de 60 % 3 à laquelle nous serons collectivement obligés, cette fois avec un couteau sur la gorge !

J'exagère ?

La capacité d'absorption du CO2 de la planète est de 3 gigatonnes (Gt), c'est-à-dire trois mille milliards de tonnes de CO2. Or, l'activité humaine, principalement dans les pays industrialisés, produit plus du double de cette quantité, près de 9 Gt je crois.

Acheter des biens énergétiquement plus efficaces est un moyen d'assumer notre part de responsabilité en tant que citoyens du monde, mais ce moyen, insuffisant, ne doit pas nous distraire de l'urgence d'une transformation radicale et rapide de notre train de vie. Pour les consommateurs égocentriques que nous sommes, nul doute qu'une telle transformation sera plus douloureuse que la satisfaction bourgeoise de s'acheter une rutilante et high tech voiture hybride. Mais inévitable, si nous voulons épargner aux générations à venir le chaos d'un monde privé de ressources, encore plus inégalitaire et invivable qu'aujourd'hui.
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1. Francoeur, Louis-Gilles. « Se loger vert ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi, 5 et dimanche, 6 mars 2005) (Page consultée le 15 février 2008)
2. Ibidem.
3. Jancovici, Jean-Marc. « A quel niveau faut-il stabiliser le CO2 dans l'atmosphère ? »

dimanche, février 27, 2005

Acheter équitable, oui mais...

Le titre du dernier roman de Laure Waridel, Acheter, c'est voter, est devenu en peu de temps un véritable slogan. L'idée derrière ce slogan, c'est que des gestes simples peuvent faire toute la différence, ou du moins une grande différence. Or, dans le cas du commerce équitable auquel je limiterai ici mon propos, cela est tout simplement faux. Combien de produits équitables connaît-on ? J'ai fait une rapide recherche sur l'Internet : il y a bien sûr les quatre produits canoniques : thé, café, sucre, cacao, auxquels s'ajoutent les céréales, le riz et la banane. Le site de la Fairtrade Labelling Organizations International mentionne une dizaine de produits, dont le vin, tout en prévoyant une croissance et une diversification de la production. Outre ces quelques denrées, on peut aussi acheter de jolies babioles à la boutique Dix mille villages, à Montréal. That's it. On est très loin de la « révolution au quotidien ».

Marginal comme phénomène, et voué à le rester, le commerce équitable, comme l'a noté Jean-François Nadeau, 1 est aussi très limité quant à ses effets socio-économiques : les pauvres dans les plantatations du Sud vont l'être un peu moins, les riches du Nord vont le rester tout autant. La notion même d'équité me paraît discutable : « Notion de la justice naturelle dans l'appréciation de ce qui est dû à chacun » (Petit Robert). Appréciation de ce qui est dû à chacun. Et qui, croit-on, décide de ce qui est dû à chacun, suivant une justice naturelle ? Juan Valdez, le plus célèbre des cafeteros colombiens ? Plutôt ceux qui paient le café à la caisse, et qui ne voudraient surtout pas que les prix montent de manière indue.

Si l'on exagère autant le pouvoir du commerce équitable, c'est à mon avis qu'on le confond allègrement avec le commerce de produits bio, comme c'était le cas d'un lecteur du Devoir samedi. Beaucoup de denrées équitables sont également bio, il est vrai, mais pas toutes. Les denrées bio sont incomparablement plus nombreuses et appelées à accaparer une part sans cesse croissante du marché.
Car le bio répond avant tout à un impératif environnemental et de santé. C'est pour eux-mêmes que de plus en plus de consommateurs se tournent vers le bio, suivant un raisonnement plus égoïste qu'altruiste. Le commerce équitable fait au contraire appel à la bonne conscience des consommateurs, fermant ainsi pudiquement les yeux sur une réalité que le chroniqueur Pierre Foglia évoquait récemment, à savoir que le peuple est devenu l'ennemi du peuple. Ce que Laure Waridel nous dit, c'est que ce serait bien d'acheter tous ensemble équitable, de penser aux pauvres. Elle ne dit pas : comme ce serait beau, un peuple généreux, elle s'arrête juste avant. Juste avant le kitsch. Attention ! Kitsch ne veut pas dire quétaine. J'emploie le mot dans le sens plus large que le romancier Milan Kundera lui donne dans son oeuvre. Là où morale s'installe, le kitsch s'installe aussi.

Le pas que Laure Waridel ne fait pas, d'autres, plus près du pouvoir, lui feront faire. J'ai été étonnée de la popularité de cette femme et de son slogan ; elle a reçu au cours des dernières années quelques distinctions qui ont fait d'elle une citoyenne exemplaire, une belle petite Miss Équitable. Le risque, à mon avis, c'est que cette image désamorce chez les Québécois un désir de changement, vague il est vrai, diffus mais présent, pressant, en désir de beauté chez un peuple qui aime bien se voir tel. Qu'en se kitschifiant le message perde tout son potentiel subversif et profite en fin de compte à ceux qui souhaitent que rien ne change.

C'est une bonne idée que d'acheter équitable, puisque ce n'est pas plus cher, tout en gardant en vue d'autres actions citoyennes peut-être plus efficaces pour changer l'ordre des choses. Comme consommer moins. Comme ne pas voter pour un gouvernement qui tient mordicus à réduire l'impôt sur le revenu des Québécois, ce même impôt qui est l'un des principaux instruments de redistribution de la richesse.
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1. Nadeau, Jean-François. « Inoffensive Laure Waridel ». Le Devoir [En ligne]. (Samedi, 19 et dimanche, 20 février 2005) (Page consultée le 15 février 2008)

lundi, février 14, 2005

Un réchauffement irréversible ?

La publication d'un rapport sur le réchauffement climatique a suscité plusieurs commentaires dans les médias. Ainsi Louis-Gilles Francoeur, du Devoir, reprend, sans la discuter, la thèse soutenue par l'« équipe multidisciplinaire internationale », à savoir que le réchauffement du climat pourrait entrer dans une phase d'irréversibilité si les concentrations de CO2, actuellement de 379 parties par million (ppm), dépassaient les 400 ppm, éqivalant à un réchauffement moyen de 2°C. Au-delà de ce seuil, les « mécanismes naturels qui ont permis de stocker des milliards de tonnes de carbone au fond des océans, dans le permafrost arctique ou dans les tourbières et les marais commenceront à relarguer leur charge dans l'atmosphère terrestre », à quoi s'ajoutera « la libération de milliards de tonnes de méthane solidifié au fond des mers arctiques »1

Or, un article de Gavin A. Schmidt et Stefan Rahmstorf, paru sur le blogue Real Climate, sans nier la pertinence d'un tel scénario catastrophiste, s'attache à montrer qu'il ne repose pas sur une base scientifique solide. Pour ces deux scientifiques, le rapport Meeting the Climate Challenge représente une initiative d'un « goupe politique » qu'ils perçoivent de la façon suivante :
Existe-t-il un « point de non retour » ou « un seuil critique » qui sera franchi quand les forçages excèderont ce niveau, comme rapporté dans quelques médias ? Nous ne croyons pas qu'il y ait de base scientifique à cette hypothèse. Cependant, comme cela a été précisé l'année dernière à Beijing dans un colloque international à ce sujet par Carlo Jaeger : fixer une limite est une manière sensée de traiter collectivement un risque. Une limite de vitesse est un exemple typique. Quand nous fixons une limite de vitesse à 130 km/h, il n'y a aucun « seuil critique » -- rien de terrible ne se produit si vous allez à 140 ou 150 km/h. Mais peut-être à 160 km/h les morts excèderaient clairement les niveaux acceptables. Fixer une limite au réchauffement global à 2ºC de plus que la température pré-industrielle est l’objectif politique officiel de l'Union Européenne, et c'est probablement une limite sensée. Mais, comme pour les limites de vitesse, il peut être difficile d'y souscrire. 2
L'incertitude sur la sensibilité du climat ne va pas disparaître bientôt, et devrait donc être implémentée dans les évaluations futures du climat. Cependant, ce n'est pas une variable complètement libre, et les valeurs extrêmement élevées discutées dans les médias au cours des deux dernières semaines ne sont pas scientifiquement crédibles.

Un texte quelque peu technique mais qui apporte une lumière intéressante sur un débat social aux enjeux colossaux.

Surtout : un texte qui ne réfute pas l'idée d'un seuil d'irréversibilité. Ce seuil existe bel et bien et doit servir d'horizon nous permettant de maintenir le cap, au nom du bien commun, vers de nécessaires et profonds changements de notre mode de vie.
__________
1. Francoeur, Louis-Gilles. « D'autres études inquiétantes sur le réchauffement de la planète ». Le Devoir [En ligne]. (Jeudi, 3 février 2005) (Page consultée le 16 février 2008)
2. Schmidt, Gavin A. et Rahmstorf, Stefan. « 11ºC warming, climate crisis in 10 years? ». RealClimate [En ligne]. (Samedi, 29 janvier 2005) (Page consultée le 16 février 2008)