L'ONU a lancé un appel : les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ne seront pas atteints sans un engagement plus soutenu de la communauté internationale.
Le premier ministre Harper n'hésita pas une seconde face à ces Millennium development goals. En cette période de l'année, le mot goals soulève invariablement le plus grand enthousiasme.
Le Canada, leader en matière d'aide au développement, répondit aussitôt en envoyant sur la patinoire son meilleur marqueur, le célèbre numéro 17, un homme qui ne manquerait pas d'atteindre le but, quel qu'il fût.
La situation était fort simple : la partie était déjà terminée mais on accordait au 17, à titre humanitaire et conformément à la politique étrangère canadienne, l'occasion, une dernière fois -- son équipe venait d'être éliminée -- de s'élancer vers le but adverse.
S'agissait-il d'un moment historique ? Le 17 n'en était pas sûr, malgré, ou peut-être à cause des savantes explications d'Ottawa, dont il n'avait rien compris. Son entraîneur, qui le connaissait bien, lui résuma le tout en une image fort simple : il allait être seul sur la patinoire, il allait s'élancer vers le but et... suivre son instinct de marqueur.
Les spectateurs, informés à la dernière minute de l'événement inédit, n'avaient pas quitté leurs sièges. Ils étaient plus de 20 000, comme un mur d'enceinte opaque et oppressant. Au choc de la défaite de son équipe se mêlait donc maintenant, dans l'esprit du 17, la tension de ce moment décisif, du moins quant son avenir. Si je n'atteins pas le but, ils ne me le pardonneront pas, se dit-il. Un murmure profond tournoyait dans le noir tout autour de lui. L'air était lourd, tiède et suffocant.
Enfin il s'élança. Soulagé de ne plus avoir à réfléchir.
En traversant le centre de la patinoire, il s'empara du disque, puis accéléra en quelques foulées puissantes et élégantes. C'est curieusement lorsqu'il atteignit sa pleine vitesse qu'une première question le rattrapa. Que lui avait-il dit, au juste, cet homme ? Il s'apprêtait à retirer son uniforme quand on lui avait passé le téléphone : un appel d'Ottawa, une affaire importante. L'homme, un fonctionnaire, parlait rapidement, en employant un vocabulaire plutôt inhabituel dans un vestiaire. Qu'avait-il dit au juste ? Il avait saisi des bribes de sens : « fierté d'être canadien », « privilège », « héros », « talent », puis un mot semblable à ONG, ou OSM, OGM, OMD... Il s'agissait peut-être des gaz à effet de serre. Son beau-frère lui en avait parlé plus d'une fois. Hier encore il pestait contre Harper qui mettait la hache dans le programme... ÉnerGuide, oui, c'était cela, il se souvenait maintenant. Ouf ! Ce programme subventionnait l'isolation des maisons afin de réduire la consommation de mazout pour le chauffage. Le mazout, les gaz à effet de serre, oui... Une cause importante sans doute. L'isolation... Le beau frère ne disait-il pas pourtant que le Canada, après ce coup de hache, s'était retrouvé, justement, très isolé sur la scène internationale ? Il lui fallait suivre son instinct, voilà tout. C'est l'entraîneur qui l'avait dit, un homme qui le connaissait bien, savait tirer le meilleur de lui. L'instinct du marqueur... Ne pas réfléchir... De toute façon, il n'y avait plus à réfléchir, l'image étant fort simple : seul sur la patinoire, il s'élançait, passait la ligne bleue en s'emparant de la rondelle, fonçait à toute allure vers le but adverse... une feinte vers la gauche -- il était gaucher -- pour déplacer le gardien de but, puis vers la droite et hop ! du revers, la rondelle dans le coin supérieur, et les spectateurs se levant d'un bond, criant de joie...
C'est en amorçant sa feinte -- d'abord vers la gauche... -- qu'il remarqua qu'il n'y avait PAS de gardien de but ! -- ... puis vers la droite... -- on lui avait simplement demandé d'ATTEINDRE le but. Par automatisme il visa tout de même le coin supérieur comme prévu dans son exercice de visualisation, mais le choc émotionnnel était tel qu'il perdit le contrôle de la rondelle et qu'à la place ce fut lui qui se retrouva dans le fond de la cage. Cul par-dessus tête.
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Lire aussi :
Buzzetti, Hélène, Castonguay, Alec. « Énerguide, un secret d'État. Ottawa refuse de dire en quoi le programme était inefficace ». Le Devoir [En ligne]. (Vendredi, le 9 juin 2006) (Page consultée le 9 juin 2006)
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