Avec Nathalie Quintane, je retrouve ce qui m'a tant plu chez Éric Vuillard : une attention au réel. Mais le ton, ici, est tout autre.
Quintane ne cherche jamais à émouvoir, à aucun moment ne table sur une forme d'empathie. Son « je » est aux antipodes de notre époque, et c'est un tel plaisir !
Sa poésie ne nous dévoile pas une intériorité, ne cherche pas à nous transporter ailleurs, dans une subjectivité, une sensibilité qui nous ferait oublier un moment la réalité de notre propre existence. C'est ce que nous demandons habituellement à certaine littérature : du divertissement, de l'émotion, du lyrisme, bref, de nous offrir un échappatoire au réel. Quintane, au contraire, maintient le lecteur fixé à l'objet de son travail d'écriture : la chaussure. Après une courte remarque liminaire, le recueil s'ouvre ainsi :
« Dans les vitrines des magasins, les chaussures ont les lacets noués.
» Dans leur boîte, les chaussures sont protégées par une feuille de papier de soie pliée en deux.
» À l’intérieur de chaque chaussure, l’étiquette du fabricant se déplace parfois, sans se décoller »
L'extrait ci-dessus montre aussi que la conception de la littérature que défend l'autrice est réfractaire à l'idée du « beau style », du « bien-écrire », du « bon goût », à cette sacralisation de la littérature. Son recueil attaque, de manière très évidente, la densité de l'image poétique, par l'usage d'une prose « ordinaire », « insignifiante », et par une mise en page aérée à l'extrême, renforçant l'impression de vide qui ne peut manquer de saisir le lecteur. Ce vide, où il n'y a que la chaussure, c'est ce qui se rapproche le plus du réel, au sens où l'entend Clément Rosset : le réel singulier, « idiot », c'est-à-dire l'intolérable même.
Plus je lis Quintane, plus j'aime son je d'autant plus affirmé, violent, qu'effacé, humble, « provincial », pour reprendre un de ses termes. Un « je » qui a l'ambition de n'avoir rien de plus à dire de lui que ceci : « Pour enfiler une chaussure, j’incline d’abord le pied ; je dois ensuite réussir à loger le talon, qui s’enfonce d’un coup sec à l’intérieur »
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