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jeudi, décembre 26, 2024

Sur les routes avec Catherine Mavrikakis

Avec Sur les routes, Catherine Mavrikakis nous emmène dans son périple aux États-Unis, à la veille de la campagne électorale qui a porté, comme on le sait maintenant, Donald Trump à la présidence. Périple qui ne va pas de soi, car il est loin le temps de Kerouac et son célèbre roman Sur la route, temps du « parcours initiatique » mené dans « l'exaltation ». Cinquante ans plus tard, en 2006, avec la publication de La Route, Cormac McCarthy prend acte du changement. Son roman dystopique ne nous permet plus de croire à la « route du progrès et de la joie à l’américaine » ; « la seule route empruntable ne mène plus nulle part, sauf à notre disparition, au jour le jour ». Mavrikakis n'admet pas entièrement ce verdict pessimiste. Oui, il faut « passer à autre chose, mais à quoi ? », se demande-t-elle. Sa démarche oscille entre le singulier et le pluriel. Ainsi, elle écrit : « Néanmoins, même si de la route je ne pourrai connaître que la mienne, très étriquée et bien balisée, je vais la prendre ». En même temps, le pluriel du titre renvoie dos à dos Kerouac et McCarthy et leur vision univoque ; « la route » devient « les routes », « les chemins de traverse, les détours de toutes sortes » : certains chemins menant vers un passé familial difficile ; d'autres vers un avenir « qui n’est pas déjà tracé, qui n’est pas inéluctable », malgré les inondations, les sécheresses, les conséquences dévastatrices du réchauffement climatique. Dieu circule aussi sur ces routes, où vous croisez le désarroi (« I don’t know my country anymore »), le désespoir (« la Rust Belt constitue l’épicentre de l’épidémie récente d’overdoses »), la pauvreté, l'ignorance, « l'étroitesse d'esprit », mais qui vous mèneront aussi bien vers des lieux de savoir, de culture, comme l'université d'Ann Arbor, ou vers la beauté, la lumière éblouissante du parc national des White Sands. Les routes font cohabiter tous les contraires. Avec elles se déroule la durée qui emporte l'expérience intérieure aussi bien que les événements qui transforment le monde extérieur.

Ce récit m'a beaucoup plus. Le lisant, j'ai pensé aux Crépuscules de la Yellowstone, de Louis Hamelin, qui raconte également un périple aux États-Unis. Mais Hamelin est plus pessimiste que Mavrikakis. Son enquête nous met face à la « prédation sous toutes ses formes », et face à un questionnement moral, existentiel, dont il se protège par une ironie constante. Mavrikakis n'apparaît pas aussi désespérée, mais un sentiment d'impuissance se manifeste chez elle aussi. Impuissance devant un monde qui s'éloigne de ses valeurs d'ouverture d'esprit, de pluralisme, de réflexion. Mais aussi impuissance, à certains moments, à voir la réalité, à décoder les signes :

« Qu’est-ce que Crissie ne reconnaît plus dans son Sioux Falls à elle ? »
« Que pense Lee ? En lui le républicain gagne-t-il sur le démocrate ? Qu’est-ce qu’être un homosexuel blanc, un serveur de 50 ans dans un resto cher de Memphis en 2024 ? Je ne sais pas… »
« M’installer ici, pourquoi pas ? Même si je ne suis pas née au Wyoming… Pourquoi pas ? Évidemment, si j’étais noire, je penserais sûrement autrement. Comment verrais-je le monde ? Et le Wyoming ? »
« Je m’en voudrai longtemps de ne pas avoir pu déchiffrer les signes d’un immense désespoir dans la ville et le comté ».

Peut-être est-ce là la raison pour laquelle son récit fait à peine cent pages. Un récit qui tourne court.

 

Catherine Mavrikakis, Sur les routes , Héliotrope, Montréal, 2024, 126 p. Édition numérique.

 

 

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