Mort de l'écrivain québécois Louis Gauthier (1944-2023).
Un fantôme de plus.
Gauthier a été ma première découverte littéraire, c'est-à-dire, survenue alors que la littérature commençait à devenir pour moi une dimension de l'existence. J'avais peut-être dix-neuf ans, un ami m'avait prêté Les Aventures de Sivis Pacem et Para Bellum (1970), le « livre le plus lu en fumant un joint », dixit Pierre Foglia. Roman parodique, débridé, en effet, sabordage littéraire que le narrateur des Grands légumes célestes vous parlent (1973) résumera, trois ans plus tard, ainsi : « Ah ! celui-là ne s'en était pas sorti, je peux le dire, je l'avais complètement massacré. Je l'avais rendu méconnaissable. Les gens se trompaient, se méprenaient sur son compte, le rangeaient dans leur bibliothèque sous la rubrique papier de toilette. Un livre dont je suis fier ».
Mon attachement à cet écrivain méconnu, à l'humour particulier, ne s'est depuis jamais démenti. Son œuvre présente deux modalités d'expression : d'abord humoristique, parodique (Anna, Les Aventures de Sivis Pacem et Para Bellum, Les Grands légumes célestes vous parlent), puis, après le référendum de 1980, mélancolique (Voyage en Irlande avec un parapluie, Le Pont de Londres, Voyage au Portugal avec un Allemand) ; entre ces deux séries, un roman de transition : Souvenir du San Chiquita.
Or, ces modalités sont les deux facettes d'une même réalité, d'une même impossibilité, que Gauthier n'a jamais cessé d'explorer, jusqu'au silence. La question posée sera toujours la même : comment être original ? comment ne pas répéter ce qui a déjà été écrit (dit, fait) par d'autres ? Comment être authentique ? Qu'est-ce qui fonde l'identité ? Qu'est-ce qu'être québécois ? C'est par cette, ou ces questions que je suis né à moi-même ; aujourd'hui encore, elles me définissent.
Vous remarquerez, tous les titres cités plus haut reprennent des clichés, des lieux communs. Du coup, je pense à Laferrière. Chez lui, le cliché, aussi très présent, est un vecteur d'énergie, et renvoie à l'art naïf, à une expérience positive du monde. Chez Gauthier, rien de tel ; l'exubérance, l'énergie du cliché se retourne contre la littérature, puis, se vidant, s'épuisant, contre le narrateur lui-même, qui, malgré ses voyages, ne trouve pas d'issue à son mal-être.
Les romans de Gauthier me font aussi penser à ceux de François Blais (1973-2022), son héritier spirituel. Même esprit parodique, même lucidité féroce, pour paraphraser Emil Cioran. L'issue : le silence pour le premier, le suicide pour le second.
Mais l'écriture de Gauthier me semble plus resserrée, précise, dépouillée, d'une grande maîtrise. Je joins à ce billet deux pages tirées des Grands légumes célestes vous parlent, en espérant vous donner le goût de (re)lire cet auteur sous-estimé.
Référence :
Louis Gauthier, Les Grands légumes célestes vous parlent, précédé de Le Monstre-mari, Montréal, Cercle du livre de France, 1973, 153 p.
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