C’est un roman sur le lien filial, mais aussi sur l’attachement aux autres, aux êtres vivants, aux animaux, bref, sur l’attachement à la vie. Un roman, évidemment, où la mort, la pensée de la mort est aussi présente, où les mots « mentir », « trahir », « peur », reviennent souvent.
Ce n’est pas un conte, même si les trolls des forêts profondes suédoises ne sont jamais loin. Et puis, le personnage-narrateur, écrasé sous le poids de sa mauvaise conscience, dans sa quête expiatoire fait un peu penser à Scrooge.
Ce n’est pas, non plus, un roman policier, et là est le problème. Les Chaussures italiennes 1 raconte l’histoire de Fredrik Welin, soixante-six ans, qui mène une vie recluse sur l’île que ses grands-parents ont autrefois habitée. Cet homme qui fuit son passé dans un passé plus lointain, voit ses erreurs, ses mensonges, lâchetés et trahisons lui revenir, pour ainsi dire, en pleine figure. Pendant une année, un cycle complet de saisons, il n’a plus le contrôle de sa vie. Son île ne le protège plus ; le voilà contraint d’en sortir par des personnes qui entre dans son silence, le bousculent physiquement et psychologiquement, et, jouant sur son sentiment de culpabilité, l’amène à une remise en question. Le trait fondamental de ce personnage est l’ambivalence : désir de transformer une vie qu’il n’aime pas, mais peur du changement ; besoin de l’autre, mais peur de l’engagement. Toute cette dynamique intérieure nous est bien expliquée. Henning Mankell sait aussi très bien faire parler le paysage. Le problème, c’est qu’il nous raconte cette histoire, qui n’a rien de l’intrigue policière, en reprenant certains codes du roman policier. Premier écueil : le rythme, soutenu, où défilent, comme en accéléré, les paysages, les gestes, les actions, les pensées, les paroles… Mais, pour que naisse l’émotion, il faut tout de même lui en donner le temps, créer une atmosphère. Mankell n’est pas un écrivain de l’intériorité, bien qu’il la traque sans relâche. Nous avons affaire ici à une écriture du mouvement, dans la tradition du polar.
Second écueil : des personnages singuliers, aux traits trop appuyés, à la limite de la caricature. Comme ce bottier italien, renommé mondialement, qui quitte son Italie natale pour poursuivre sa carrière dans un village abandonné au fin fond de la forêt suédoise... Mankell ne fait pas dans la dentelle : voilà Harriet, ancienne fréquentation du narrateur, aujourd’hui atteinte d’un cancer, phase terminale, qui marche trois kilomètres sur la glace, par - 20 degrés, appuyé sur son déambulateur, en direction de l’île. Pourquoi ? De même, quand la fille du narrateur vient le rejoindre sur son île, elle ne débarque pas simplement, avec quelques valises, non, elle accoste avec sa vieille caravane absolument délabrée, monté sur un bac à bestiaux. Réaction du père : « Pourquoi a-t-il fallu que tu traînes ta caravane jusqu’ici ? » Réponse de la fille : « C’est ma coquille. Je ne la quitte jamais ». (p. 197) Ah, bon…
Ce travers ne vient pas de nulle part. J’ai l’ai retrouvé dans un Fred Vargas lu l’année dernière. Et dans la série Malaussène, de Daniel Pennac, il y a une vingtaine d'années. Et dans les San Antonio de ma jeunesse, modèle du genre, dont l’influence sur le polar d’aujourd’hui semble avoir éclipsé celle de Simenon. Mais ce qui est acceptable dans le roman policier, dont le genre repose sur des codes bien définis, ne l’est pas dans Les Chaussures italiennes.
Ce roman m’a donné le goût de relire Simenon : des gens ordinaires, des gestes simples, mais signifiants, des souffrances contenues, des drames si humains, et une lenteur de l'existence...
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1. Mankell, Henning. Les Chaussures italiennes. [Fichier ePub], Seuil, 2009, Paris, 263 p.
Rechercher dans ma chambre
lundi, décembre 12, 2016
lundi, novembre 07, 2016
Le Tigre, de John Vaillant. Un commentaire
L’histoire se passe aux confins orientaux de la Russie, dans la vallée de la Bikine (kraï du Primorié), autour du village de Sobolonié. Elle met en scène des Autochtones et des Russes, tous pauvres, tous dépendants de la taïga pour leur survie. Le titre nous en donne le protagoniste : Le Tigre. Une histoire de survie dans la taïga ; 1 un roman remarquable, qui n’en est pas tout à fait un.
Quelle est la nature profonde de l’être humain ? Cette question est au coeur de la réflexion de l'auteur, John Vaillant. Ce dernier rejette la thèse du paléoanthropologue Robert Ardrey, voulant que nous soyons des prédateurs, obligés « depuis des millions et des millions d’années [de] tuer pour survivre ». (p. 135) S’appuyant sur les travaux, notamment, de George Schaller et Charles K. Brain, l’auteur croit plutôt que nous aurions été des charognards, que « nos ancêtres ne pratiquaient ni la chasse ni le meurtre gratuit, [que] [q]uand ils se battaient, c’était pour défendre leur vie contre des prédateurs bien mieux équipés qu’eux ». (p. 211) Si Vaillant cherche tant à cerner la nature profonde de l’être humain, c’est pour expliquer ce qu’il découvre dans l’Extrême-Orient russe, région qui nous offre une vision de ce que pourrait être notre avenir ; un avenir « post-industriel » (p. 96) où règnent l’« anarchie » (p. 97) et le dénuement sans espoirs. Car cette peur millénaire, inscrite dans nos gènes, continue « d’influer sur nos comportements, nos réactions et notre attitude face au monde qui nous entoure ». (p. 216) Dans un contexte marqué par l’impératif chrétien de dominer la Création, l'utilisation de moyens techniques surpuissants, l’incurie politique, la pauvreté de populations entières abandonnées à elles-mêmes après la pérestroïka, elle explique pourquoi l’espèce humaine est plongée dans une crise environnementale qui affecte les conditions de sa survie.
Mais la grande réussite de cette oeuvre s’explique par le fait que ces considérations scientifiques s'intègrent de manière fluide, sans rupture de rythme, à un récit qui tient à la fois de l’intrigue policière et du récit d’aventures à la Moby Dick, où le tigre est explicitement présenté, sur un plan mythique, comme l’équivalent du cachalot du capitaine Achab. Plus encore, l’auteur se reconnaît une affinité avec le célèbre explorateur du début du XXe siècle, Vladimir Arséniev, dont le Dersou Ouzala montre « un style littéraire mêlant avec succès science et aventure, doublé d’une grande subtilité dans la peinture des personnages » (p. 43)
Les faits auxquels s’intéressent Vaillant sont réels, de même que les personnages : 2 en décembre 1997, un tigre de l'Amour attaque Vladimir Markov, un braconnier de la taïga. Cet événement dramatique n'a rien de banal. Car l'animal ne s'est pas contenté de dévorer sa proie, il s'est aussi déchaîné contre tout ce qui portait l'odeur de Markov. Cette rage singulière, Vaillant nous la présente comme le signe d'une rupture dans l'ordre immémorial de la nature, dans les rapports entre l'homme, ici le taïojnik, et « Taïga Matouchka », mère Taïga. Le tigre lui-même en est transformé, ayant « franchi un point de non-retour » où tous « les liens qui l’avaient uni aux hommes et à sa propre nature étaient rompus », (p. 186) « il était devenu une créature qui n’existe pas en Occident, une sorte de tigre-garou » (p. 187) L’intrigue s’articule sur l’enquête qui fut menée alors par Iouri Trouch, chef de l’unité de l’« inspection Tigre » du secteur, et qui l’amena à traquer la bête devenue un danger pour la population.
Ce roman atypique est un pur bonheur de lecture. Mon plus beau voyage de l'année, avec America, de Denis Vaugeois. Voyage dans la connaissance : anthropologie, paléoanthropologie, histoire naturelle, histoire politique, éthologie... Voyage dans un monde si différent du nôtre, et, pourtant, étrangement familier, comme l'est tout paysage nordique. Familier, aussi, parce qu’il s’agit de la même civilisation chrétienne, agressive et destructrice : un même type de colonisation a déferlé sur la Mandchourie -- l’Extrême-Orient russe -- et l’Ouest américain ; les cosaques et les militaires américains ont lutté de la même manière, avec la même barbarie, contre les autochtones et leur mode de vie, leur spiritualité respectueuse de la nature. Sans jamais tomber dans le moralisme environnementaliste, sans juger, Vaillant associe la civilisation chrétienne à une déspirirualisation du monde, un monde où l’arme à feu a supplanté le chaman : « Dans presque toutes les régions du monde, y compris en Russie, on observe que la multiplication des armes à feu entraîne corrélativement une régression des croyances ancestrales. » (p. 285)
Or, c’est cela qu’incarnait le tigre de l’Amour, le plus grand de tous les prédateurs terrestres après l’ours polaire : une force spirituelle, un amba, pour reprendre un terme oudégué. Et c’est cela qui, aujourd’hui, nous manque.
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1. Vaillant, John. Le Tigre. Une histoire de survie dans la taïga. [Fichier ePub], Les Éditions Noir sur Blanc, Lausanne, 2011, 433 p.
2. Un documentaire primé de nombreuses fois en a d'ailleurs été tiré : Conflict tiger, sorti en 2008
Quelle est la nature profonde de l’être humain ? Cette question est au coeur de la réflexion de l'auteur, John Vaillant. Ce dernier rejette la thèse du paléoanthropologue Robert Ardrey, voulant que nous soyons des prédateurs, obligés « depuis des millions et des millions d’années [de] tuer pour survivre ». (p. 135) S’appuyant sur les travaux, notamment, de George Schaller et Charles K. Brain, l’auteur croit plutôt que nous aurions été des charognards, que « nos ancêtres ne pratiquaient ni la chasse ni le meurtre gratuit, [que] [q]uand ils se battaient, c’était pour défendre leur vie contre des prédateurs bien mieux équipés qu’eux ». (p. 211) Si Vaillant cherche tant à cerner la nature profonde de l’être humain, c’est pour expliquer ce qu’il découvre dans l’Extrême-Orient russe, région qui nous offre une vision de ce que pourrait être notre avenir ; un avenir « post-industriel » (p. 96) où règnent l’« anarchie » (p. 97) et le dénuement sans espoirs. Car cette peur millénaire, inscrite dans nos gènes, continue « d’influer sur nos comportements, nos réactions et notre attitude face au monde qui nous entoure ». (p. 216) Dans un contexte marqué par l’impératif chrétien de dominer la Création, l'utilisation de moyens techniques surpuissants, l’incurie politique, la pauvreté de populations entières abandonnées à elles-mêmes après la pérestroïka, elle explique pourquoi l’espèce humaine est plongée dans une crise environnementale qui affecte les conditions de sa survie.
Mais la grande réussite de cette oeuvre s’explique par le fait que ces considérations scientifiques s'intègrent de manière fluide, sans rupture de rythme, à un récit qui tient à la fois de l’intrigue policière et du récit d’aventures à la Moby Dick, où le tigre est explicitement présenté, sur un plan mythique, comme l’équivalent du cachalot du capitaine Achab. Plus encore, l’auteur se reconnaît une affinité avec le célèbre explorateur du début du XXe siècle, Vladimir Arséniev, dont le Dersou Ouzala montre « un style littéraire mêlant avec succès science et aventure, doublé d’une grande subtilité dans la peinture des personnages » (p. 43)
Les faits auxquels s’intéressent Vaillant sont réels, de même que les personnages : 2 en décembre 1997, un tigre de l'Amour attaque Vladimir Markov, un braconnier de la taïga. Cet événement dramatique n'a rien de banal. Car l'animal ne s'est pas contenté de dévorer sa proie, il s'est aussi déchaîné contre tout ce qui portait l'odeur de Markov. Cette rage singulière, Vaillant nous la présente comme le signe d'une rupture dans l'ordre immémorial de la nature, dans les rapports entre l'homme, ici le taïojnik, et « Taïga Matouchka », mère Taïga. Le tigre lui-même en est transformé, ayant « franchi un point de non-retour » où tous « les liens qui l’avaient uni aux hommes et à sa propre nature étaient rompus », (p. 186) « il était devenu une créature qui n’existe pas en Occident, une sorte de tigre-garou » (p. 187) L’intrigue s’articule sur l’enquête qui fut menée alors par Iouri Trouch, chef de l’unité de l’« inspection Tigre » du secteur, et qui l’amena à traquer la bête devenue un danger pour la population.
Ce roman atypique est un pur bonheur de lecture. Mon plus beau voyage de l'année, avec America, de Denis Vaugeois. Voyage dans la connaissance : anthropologie, paléoanthropologie, histoire naturelle, histoire politique, éthologie... Voyage dans un monde si différent du nôtre, et, pourtant, étrangement familier, comme l'est tout paysage nordique. Familier, aussi, parce qu’il s’agit de la même civilisation chrétienne, agressive et destructrice : un même type de colonisation a déferlé sur la Mandchourie -- l’Extrême-Orient russe -- et l’Ouest américain ; les cosaques et les militaires américains ont lutté de la même manière, avec la même barbarie, contre les autochtones et leur mode de vie, leur spiritualité respectueuse de la nature. Sans jamais tomber dans le moralisme environnementaliste, sans juger, Vaillant associe la civilisation chrétienne à une déspirirualisation du monde, un monde où l’arme à feu a supplanté le chaman : « Dans presque toutes les régions du monde, y compris en Russie, on observe que la multiplication des armes à feu entraîne corrélativement une régression des croyances ancestrales. » (p. 285)
Or, c’est cela qu’incarnait le tigre de l’Amour, le plus grand de tous les prédateurs terrestres après l’ours polaire : une force spirituelle, un amba, pour reprendre un terme oudégué. Et c’est cela qui, aujourd’hui, nous manque.
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1. Vaillant, John. Le Tigre. Une histoire de survie dans la taïga. [Fichier ePub], Les Éditions Noir sur Blanc, Lausanne, 2011, 433 p.
2. Un documentaire primé de nombreuses fois en a d'ailleurs été tiré : Conflict tiger, sorti en 2008
mardi, septembre 20, 2016
Charlotte, de David Foenkinos. Un commentaire
Est-il encore possible aujourd'hui de raconter une histoire liée à la Shoah ? Des milliers de récits, d'essais, de films, de documentaires, dont certains inoubliables, marquants... Et, dans l'imaginaire collectif, des images, des scènes, des émotions poignantes... Ce problème est au coeur de Charlotte, 1 dernier roman de David Foenkinos, racontant la vie d'un peintre allemand mort à Auschwitz en 1943. Comment rendre justice à ce que fut cette femme, et l'inscrire dans l'Histoire ? Comment éviter la banalité, la redite, le cliché ? Ici, le lecteur est au centre de la stratégie d'écriture.
Foenkinos réussit à maintenir l'intérêt du lecteur en employant divers procédés narratifs. Par exemple, ces fins de chapitres marquées par un temps fort qui relance la lecture ; ou cette ironie cruelle créant des images fortes, et donnant du relief au récit. Plus encore, en mettant en scène sa quête de Charlotte Salomon, quête qui le conduit jusqu'en Allemagne, puis dans le sud de la France, l'auteur crée un effet dynamique par l'alternance des deux époques. Ce dernier procédé lui permet aussi d'offrir en exemple sa propre « obsession », (p. 36) d'où la pertinence du choix le plus déterminant quant au succès de ce roman : celui d'abandonner la prose au profit du vers libre :
Le narrateur se présente comme émotionnellement très lié à cette Charlotte. Son désir de la hisser sur la grande scène de l'Histoire est indubitable. Sa stratégie d'écriture a pourtant pour effet paradoxal de nous tenir à distance du personnage. Aucun discours direct dans ce récit où le seul je est celui du narrateur. D'où, sans doute, cette critique non fondée, mais compréhensible, des Inrocks, lui reprochant d'exploiter la Shoah afin de se hisser, lui, d'abord, sur la scène de l'Histoire.
Si l'auteur semble sincère dans sa démarche, il n'en demeure pas moins que son roman n'entre jamais dans la complexité psychologique de son personnage, ni dans l'intelligence d'une oeuvre donnée pour singulière et remarquable, mais privilégie des effets stylistiques visant le lecteur. Il est évident, par exemple, que l'ironie d'un rapprochement comme celui-ci a pu choquer : voilà Charlotte et son amoureux à Wannsee, un parc dans Berlin ; pour la première fois de sa vie, elle goûte au bonheur…
Foenkinos n'est pas un auteur « profond », si tant est que ce terme veuille dire quelque chose, mais ce qu'il a à offrir, il l'offre de manière très réussie. Son roman n'évite pas les redites, les clichés, mais compense habilement cet faiblesse, et constitue une expérience de lecture vraiment singulière. Ai-je été ému ? Peu, mais j'ai aimé me replonger une fois de plus dans cet univers juif, ici une famille juive assimilée, dont l'intelligence et le raffinement se heurtent à la vulgarité nazie, d'une violence telle, si déshumanisante, qu'elle en devient presqu'irréelle. J'ai aussi été sensible au climat d'oppression familiale qui affecte l'héroïne, et que vient exacerber la haine nazie, comme s'il y avait un lien entre l'un et l'autre. Et je ne suis pas prêt d'oublier le nom de Charlotte Salomon.
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1. Foenkinos, David. Charlotte. [Fichier ePub], Éditions Gallimard, Paris, 2014, 116 p.
Foenkinos réussit à maintenir l'intérêt du lecteur en employant divers procédés narratifs. Par exemple, ces fins de chapitres marquées par un temps fort qui relance la lecture ; ou cette ironie cruelle créant des images fortes, et donnant du relief au récit. Plus encore, en mettant en scène sa quête de Charlotte Salomon, quête qui le conduit jusqu'en Allemagne, puis dans le sud de la France, l'auteur crée un effet dynamique par l'alternance des deux époques. Ce dernier procédé lui permet aussi d'offrir en exemple sa propre « obsession », (p. 36) d'où la pertinence du choix le plus déterminant quant au succès de ce roman : celui d'abandonner la prose au profit du vers libre :
« Quelle forme mon obsession devait-elle prendre ?Il est impossible de ne pas entrer dans la respiration haletante de ce texte. Comme un acteur voulant incarner un personnage. L'auteur atteint ainsi son but : forcer le lecteur à approcher, en quelque sorte, de l'intérieur le vécu du narrateur, lié à celui de Charlotte Salomon, à ressentir la pulsation oppressant de leur expérience. Lui, se disant hanté par « [l]a mort, incessant refrain de [s]a quête » ; (p. 15) elle, hantée par les fantômes de sa famille, toutes ces femmes suicidées, souvent dans les mêmes circonstances.
» Je commençais, j’essayais, puis j’abandonnais.
» Je n’arrivais pas à écrire deux phrases de suite.
» Je me sentais à l’arrêt à chaque point.
» Impossible d’avancer.
» C’était une sensation physique, une oppression.
» J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne pour respirer » (p. 36)
Le narrateur se présente comme émotionnellement très lié à cette Charlotte. Son désir de la hisser sur la grande scène de l'Histoire est indubitable. Sa stratégie d'écriture a pourtant pour effet paradoxal de nous tenir à distance du personnage. Aucun discours direct dans ce récit où le seul je est celui du narrateur. D'où, sans doute, cette critique non fondée, mais compréhensible, des Inrocks, lui reprochant d'exploiter la Shoah afin de se hisser, lui, d'abord, sur la scène de l'Histoire.
Si l'auteur semble sincère dans sa démarche, il n'en demeure pas moins que son roman n'entre jamais dans la complexité psychologique de son personnage, ni dans l'intelligence d'une oeuvre donnée pour singulière et remarquable, mais privilégie des effets stylistiques visant le lecteur. Il est évident, par exemple, que l'ironie d'un rapprochement comme celui-ci a pu choquer : voilà Charlotte et son amoureux à Wannsee, un parc dans Berlin ; pour la première fois de sa vie, elle goûte au bonheur…
« À quelques mètres de leur banc, il y a la villa Marlier.
» Ils admirent la beauté et l’élégance de cette maison.
» Le 20 janvier 1942 se retrouveront ici les hauts dignitaires nazis.
» Pour une petite réunion de travail dirigée par Reinhard Heydrich.
» Les historiens l’appellent la conférence de Wannsee.
» En deux heures seront peaufinés les rouages de la Solution finale. » (p. 50)
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Foenkinos n'est pas un auteur « profond », si tant est que ce terme veuille dire quelque chose, mais ce qu'il a à offrir, il l'offre de manière très réussie. Son roman n'évite pas les redites, les clichés, mais compense habilement cet faiblesse, et constitue une expérience de lecture vraiment singulière. Ai-je été ému ? Peu, mais j'ai aimé me replonger une fois de plus dans cet univers juif, ici une famille juive assimilée, dont l'intelligence et le raffinement se heurtent à la vulgarité nazie, d'une violence telle, si déshumanisante, qu'elle en devient presqu'irréelle. J'ai aussi été sensible au climat d'oppression familiale qui affecte l'héroïne, et que vient exacerber la haine nazie, comme s'il y avait un lien entre l'un et l'autre. Et je ne suis pas prêt d'oublier le nom de Charlotte Salomon.
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1. Foenkinos, David. Charlotte. [Fichier ePub], Éditions Gallimard, Paris, 2014, 116 p.
lundi, septembre 12, 2016
Une Histoire américaine. Commentaire
Mon deuxième Godbout ce mois-ci. Voilà un écrivain qui ne se casse pas trop la tête avec la vraisemblance. Dans Une Histoire américaine, 1 le personnage principal, Gregory, bien que détenu dans une prison en Californie, accusé de viol et d'acte incendiaire, est invité à présenter par écrit au jury sa version des faits... Aussi, l'intérêt n'est pas là. Godbout n'est pas un pur imaginatif, guidé par l'émotion. Chez lui, l'intrigue sert à mettre en valeur des idées, un propos. Ici, la manière est presque désinvolte : voici une histoire, qui aurait pu être autre. On a comparé l'auteur de Salut Galarneau ! à un écrivain-journaliste. Son oeuvre est celle d'un observateur fidèle du Québec et de ceux qu'on appelait autrefois les Canadiens français ; elle a valeur de témoignage. C'était vrai en 1986, année de la parution d'Une Histoire américaine, ce l'est encore plus aujourd'hui, alors que les questions abordées dans ce roman semblent se couvrir d’un voile suranné.
La situation de départ, ce Gregory Francoeur mis en accusation, mais bénéficiant d'un traitement particulier, a quelque chose de kafkaïen. Le sentiment de la faute. Comme le dit le narrateur : « Qui peut se prétendre sans péché ? » (p. 12) D'ailleurs, la situation même où se trouve Gregory s'apparente à une confession, le juge tenant le rôle du prêtre, et le jury celui de Dieu. Chez Godbout, la religion et ses succédanés ne sont jamais loin. Mais si, contrairement à Joseph K., du Procès, Gregory n'est pas mis à mort, il convient de noter qu'il n'est pas libéré pour autant. Le narrateur laisse seulement entrevoir cette libération. La scène décrite par l'incipit introduit d’emblée cette idée : un immense dattier a été transporté de la Death Valley jusque dans la cour de la prison afin d'y être replanté : il n'en bougera plus. Si Gregory s'évade, c'est plutôt par la rêverie, dans une fin qui semble aussi avoir inspiré celle du Temps des Galarneau : la vie réelle n'apporte que désillusion et désenchantement, seul l'imaginaire permet d'en sortir.
Le désir de fuir de Gregory n’est pas d'abord la conséquence de sa détention. Dès l’âge de vingt ans, le voilà en Éthiopie :
C’est alors que l’Ouest américain se présente à Gregory comme un paradis inespéré, « l’avenir du Québec ». (p. 16) Après deux années déprimantes, sans emploi stable, il reçoit une offre de l’American Association of Social Communicators : une vaste enquête sur le bonheur. Dès son arrivée, il se découvre « entre lui et la Californie [...] des relations magiques » (p. 19) : « J’absorbais les paysages comme une cellule photo-électrique se nourrit de lumière. J’en tirais une énergie nouvelle, inconnue à ce jour. [...] J’étais enfin bien dans ma peau. Libre. » (p. 21) Mais, là encore, la réalité le rattrape :
Effacement de soi, effacement de la conscience nationale, effacement de la mémoire, 2 telle est la trajectoire sans rédemption qui mène à l’emprisonnement.
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1. Godbout, Jacques. Une Histoire américaine. [Fichier ePub], Éditions du Seuil, Paris, 1986, 140 p.
2. De manière symptomatique, toute la mémoire nostalgique de Gregory ne se focalise pas sur quelques souvenirs de son enfance québécoise, mais sur son séjour en Éthiopie, alors qu'il est déjà marié et bien engagé dans sa vie d'adulte.
La situation de départ, ce Gregory Francoeur mis en accusation, mais bénéficiant d'un traitement particulier, a quelque chose de kafkaïen. Le sentiment de la faute. Comme le dit le narrateur : « Qui peut se prétendre sans péché ? » (p. 12) D'ailleurs, la situation même où se trouve Gregory s'apparente à une confession, le juge tenant le rôle du prêtre, et le jury celui de Dieu. Chez Godbout, la religion et ses succédanés ne sont jamais loin. Mais si, contrairement à Joseph K., du Procès, Gregory n'est pas mis à mort, il convient de noter qu'il n'est pas libéré pour autant. Le narrateur laisse seulement entrevoir cette libération. La scène décrite par l'incipit introduit d’emblée cette idée : un immense dattier a été transporté de la Death Valley jusque dans la cour de la prison afin d'y être replanté : il n'en bougera plus. Si Gregory s'évade, c'est plutôt par la rêverie, dans une fin qui semble aussi avoir inspiré celle du Temps des Galarneau : la vie réelle n'apporte que désillusion et désenchantement, seul l'imaginaire permet d'en sortir.
Le désir de fuir de Gregory n’est pas d'abord la conséquence de sa détention. Dès l’âge de vingt ans, le voilà en Éthiopie :
« Il aurait, à l’époque, entrepris n’importe quoi, assailli un géant, joué tous les rôles qu’on lui proposait, appris tous les codes, accepté de parler de rien, chanté le vide pour seulement fuir le pays glacé des tuques et du goupillon ! Il était né dans une famille d’esprit libre, mais emmaillotée dans une culture étouffante » (p. 18)L'échec référendaire de 1980 ne fera qu'exacerber ce désir. À près de cinquante ans, celui qui avait quitté le monde publicitaire pour s’engager politiquement dans l’accession du Québec à l’indépendance, dresse un constat froid : « J’avais embrassé la cause du peuple comme s’il s’était agi d’une vaste campagne de promotion publicitaire. Les clients ne répondaient plus ». (p 15) Gregory est-il un idéaliste sensible, vulnérable, qui se réfugie dans le cynisme ? Ou est-il un personnage symptomatique de son époque, où l’idéalisme politique s’est dégradé en stratégie de communication ? La seconde hypothèse me paraît plus plausible. Il serait tentant d’ailleurs d’y voir l’état de péché mentionné plus haut. D’autant que sa désillusion n’est pas dénuée de motifs égoïstes, carriéristes, qu’il avoue (confesse) avec une certaine candeur : « Je me sentais l’étoffe d’un ministre, ce n’était pas l’avis du Premier. Je m’ennuyais dans les corridors du parlement » (p. 14)
C’est alors que l’Ouest américain se présente à Gregory comme un paradis inespéré, « l’avenir du Québec ». (p. 16) Après deux années déprimantes, sans emploi stable, il reçoit une offre de l’American Association of Social Communicators : une vaste enquête sur le bonheur. Dès son arrivée, il se découvre « entre lui et la Californie [...] des relations magiques » (p. 19) : « J’absorbais les paysages comme une cellule photo-électrique se nourrit de lumière. J’en tirais une énergie nouvelle, inconnue à ce jour. [...] J’étais enfin bien dans ma peau. Libre. » (p. 21) Mais, là encore, la réalité le rattrape :
« Ici les échanges se font avec célérité, les communications avec civilité, mais personne ne s’engage au plan personnel. » (p. 34)Délaissant son enquête sur le bonheur qui exige de lui de l’initiative, Gregory, dans un second geste de rupture, se retrouve bientôt impliqué dans un réseau d’immigration clandestine qui le remet en contact avec l’action sociale, un certain idéalisme, et l’insère dans un réseau de solidarité qui rompt sa solitude. Mais, plus encore, il y trouve un cadre structurant, où des tâches précises lui sont assignées. Dans le portrait qu’il trace, à travers Gregory, de l’homme québécois, Godbout insiste sur ce trait : son immaturité. Celle-ci n’est pas que politique, elle affecte tous les aspects de sa vie. Son manque d’autonomie, son besoin d’être valorisé, d’entendre sa femme lui dire qu’il est « le plus beau, le plus grand, le plus robuste » (p. 23), ses états d’âme d’« enfant », (p. 23) et, surtout, son manque de jugements : « Ce n’est pas seulement une évidence physique : sans elle, je n’ai jamais pu y voir clair » (p. 44) Jusqu’au point où il ne sait plus même se voir qu’à travers le regard fantasmé de sa femme : « Le monde, la culture, l’économie évoluent. Toi, tu ne changes pas. Tu es toujours le même boy-scout à la recherche d’une cause, d’un sens historique, d’un chef clairvoyant, d’une générosité planétaire ! » (p. 111)
« [L]a violence en Californie est démente, gratuite » (p. 47 )
« Ce n’est pas le sang et l’argent qui circulent ici, c’est la loi du plus fort » (p. 47)
Effacement de soi, effacement de la conscience nationale, effacement de la mémoire, 2 telle est la trajectoire sans rédemption qui mène à l’emprisonnement.
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Une Histoire américaine n’est pas un roman de premier plan. J’ai trouvé particulièrement problématique l’emploi de deux narrateurs : l’un, extradiégétique, omniscient, s’exprimant à la troisième personne ; l’autre, intradiégétique, s’exprimant à la première personne (Gregory). L’alternance de ces deux voix donne, certes, du relief au récit, mais Godbout n’en tire aucun effet de sens particulier. Or, il y avait là pourtant des possibilités intéressantes. Mais l’humour est là, les jeux de mots, et aussi, évidemment, le propos. Propos qui a un peu vieilli, n’est plus en phase avec le discours social actuel, et donne à ce roman, comme aux autres de l’auteur, ainsi que je l’ai mentionné, une valeur de témoignage. Une valeur véritablement humaine.__________
1. Godbout, Jacques. Une Histoire américaine. [Fichier ePub], Éditions du Seuil, Paris, 1986, 140 p.
2. De manière symptomatique, toute la mémoire nostalgique de Gregory ne se focalise pas sur quelques souvenirs de son enfance québécoise, mais sur son séjour en Éthiopie, alors qu'il est déjà marié et bien engagé dans sa vie d'adulte.
samedi, septembre 03, 2016
Le temps (révolu) des Galarneau. Commentaire
C’est un roman sur le lien familial, qui unit les trois frères Galarneau envers et contre tous, parfois eux-mêmes, « dans cet espace qui [les] désassemble », 1 pour reprendre une formule de Gaston Miron.
C’est un roman sur la mémoire (« Aujourd’hui je numérote et j’écris pour ne pas oublier ») 2 et l’identité, dans un Québec en plein changement, où les Galarneau se cherchent ici, et ailleurs, se perdent de vue dans des projets qui les dépassent : mariage gris de François, roman inachevable de Jacques, action humanitaire frauduleuse d’Arthur, et pour finir : vol d’objets d’art… Une perpétuelle fuite en avant, jusqu’à la fin, où François -- qui avait déjà renoncé à son appartement, squatté par « sa » famille cambodgienne -- lui remet symboliquement sa terre natale, dans deux lettres d’adieu, l'une adressée à celle qu’il avait mariée pour faciliter son immigration : « Je vous laisse l’hiver qui s’annonce à l’horizon. À vous de pelleter ! » (p. 153) ; et l'autre, adressée au frère de cette dernière : « Je te laisse la responsabilité de la famille, de l’économie, de la société. Nous avons fait la révolution tranquille, à vous la transformation du même nom » (p. 153) Fuite en avant jusqu’à l’exil en Guyane, avec cette phrase qui clôt le récit : « [La terre] où nous sommes nés, il faut bien l’avouer, ne nous appartient déjà plus » (p. 158)
C’est un roman de la résistance, qui commence pourtant sur une note de résignation : « Je veux dire, ça n’a pas été facile, au début, de me conformer, de me soumettre » (p. 12) Mais l'uniforme d’agent de sécurité de François (« un agent de sécurité et d’ordre dans la société contemporaine. Faut ce qu’il faut » (p. 14), qu’il porte depuis six ans déjà, et que l’incipit décrit pourtant en détail, comme s’il était nouveau, ne saurait faire illusion... L’étape de conformité de Galarneau tire à sa fin. Sous l'uniforme, la « rage » (p. 116) couve. Résister, toutefois, ce n'est pas vaincre. En ce sens, l'exil mentionné ci-dessus, le refuge dans la clandestinité, pose un constat d'échec. Il n'y a pas d'avenir possible ; il n'y qu'un passé perdu. Si François, le narrateur, réfute toute nostalgie, son récit n'en est pas moins empreint d'une évidente sentimentalité liée au temps.
C’est un roman sur l’écriture, comme la plupart, sinon tous les romans de l'auteur. Le frère de François est un « écrivain professionnel », bloqué, incapable de terminer son roman, une « histoire d'amour » (p. 90). Ironiquement, c'est le narrateur, qui ne revendique aucun statut professionnel, qui a déjà publié un titre : Salut Galarneau !, dont Le Temps des Galarneau constitue la suite. L'écriture, ici, se met en scène en tant qu'autofiction. S’y trouve des remarques sur le statut de l’écrivain et de la littérature, et, surtout, cette insistance du narrateur à associer la littérature à une perte de la réalité, du sentiment de la réalité du monde, perte que symbolise le centre d’achat Garland, et le « « litteraland » (p. 65) parisien comparé à Dysneyland.
Est-ce un roman sur le « Québécanthrope », pour reprendre une autre formule de Miron ? À tout le moins, un roman sur la fin d’une époque, que je qualifierais de nationaliste, deux ans avant l’échec référendaire de 1995
C’est un roman de Jacques Godbout. Où l’on retrouve son intelligence, son humour. Sa réflexion substantielle, dans une simplicité de ton, une économie de procédés. Un roman d’un grand plaisir de lecture.
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1. Miron, Gaston. « Au sortir du labyrinthe », dans L'Homme rapaillé, Presses de l'Université de Montréal, Montréal, 1970, p. 72
2. Godbout, Jacques. Le Temps des Galarneau. [Fichier ePub], Éditions du Seuil, Paris, 1993, p. 10
C’est un roman sur la mémoire (« Aujourd’hui je numérote et j’écris pour ne pas oublier ») 2 et l’identité, dans un Québec en plein changement, où les Galarneau se cherchent ici, et ailleurs, se perdent de vue dans des projets qui les dépassent : mariage gris de François, roman inachevable de Jacques, action humanitaire frauduleuse d’Arthur, et pour finir : vol d’objets d’art… Une perpétuelle fuite en avant, jusqu’à la fin, où François -- qui avait déjà renoncé à son appartement, squatté par « sa » famille cambodgienne -- lui remet symboliquement sa terre natale, dans deux lettres d’adieu, l'une adressée à celle qu’il avait mariée pour faciliter son immigration : « Je vous laisse l’hiver qui s’annonce à l’horizon. À vous de pelleter ! » (p. 153) ; et l'autre, adressée au frère de cette dernière : « Je te laisse la responsabilité de la famille, de l’économie, de la société. Nous avons fait la révolution tranquille, à vous la transformation du même nom » (p. 153) Fuite en avant jusqu’à l’exil en Guyane, avec cette phrase qui clôt le récit : « [La terre] où nous sommes nés, il faut bien l’avouer, ne nous appartient déjà plus » (p. 158)
C’est un roman de la résistance, qui commence pourtant sur une note de résignation : « Je veux dire, ça n’a pas été facile, au début, de me conformer, de me soumettre » (p. 12) Mais l'uniforme d’agent de sécurité de François (« un agent de sécurité et d’ordre dans la société contemporaine. Faut ce qu’il faut » (p. 14), qu’il porte depuis six ans déjà, et que l’incipit décrit pourtant en détail, comme s’il était nouveau, ne saurait faire illusion... L’étape de conformité de Galarneau tire à sa fin. Sous l'uniforme, la « rage » (p. 116) couve. Résister, toutefois, ce n'est pas vaincre. En ce sens, l'exil mentionné ci-dessus, le refuge dans la clandestinité, pose un constat d'échec. Il n'y a pas d'avenir possible ; il n'y qu'un passé perdu. Si François, le narrateur, réfute toute nostalgie, son récit n'en est pas moins empreint d'une évidente sentimentalité liée au temps.
C’est un roman sur l’écriture, comme la plupart, sinon tous les romans de l'auteur. Le frère de François est un « écrivain professionnel », bloqué, incapable de terminer son roman, une « histoire d'amour » (p. 90). Ironiquement, c'est le narrateur, qui ne revendique aucun statut professionnel, qui a déjà publié un titre : Salut Galarneau !, dont Le Temps des Galarneau constitue la suite. L'écriture, ici, se met en scène en tant qu'autofiction. S’y trouve des remarques sur le statut de l’écrivain et de la littérature, et, surtout, cette insistance du narrateur à associer la littérature à une perte de la réalité, du sentiment de la réalité du monde, perte que symbolise le centre d’achat Garland, et le « « litteraland » (p. 65) parisien comparé à Dysneyland.
Est-ce un roman sur le « Québécanthrope », pour reprendre une autre formule de Miron ? À tout le moins, un roman sur la fin d’une époque, que je qualifierais de nationaliste, deux ans avant l’échec référendaire de 1995
C’est un roman de Jacques Godbout. Où l’on retrouve son intelligence, son humour. Sa réflexion substantielle, dans une simplicité de ton, une économie de procédés. Un roman d’un grand plaisir de lecture.
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1. Miron, Gaston. « Au sortir du labyrinthe », dans L'Homme rapaillé, Presses de l'Université de Montréal, Montréal, 1970, p. 72
2. Godbout, Jacques. Le Temps des Galarneau. [Fichier ePub], Éditions du Seuil, Paris, 1993, p. 10
mercredi, juillet 13, 2016
À la recherche de New Babylon. Commentaire
Je n'aime pas beaucoup la littérature de genre, surtout les romans policiers qui depuis quelques années inondent le marché, et dont les conventions sont lourdes et d'un profond ennui. Il en est de même du roman western. Mais il y a toujours des exceptions, des oeuvres qui transcendent leur genre et se démarquent par leur capacité à faire bouger les codes, à parler de notre époque. C'est le cas des Frères Sisters dont j'ai parlé ici ; ce l'est aussi du roman que je viens de terminer : À la recherche de New Babylon, 1 de l'auteure québécoise Dominique Scali.
Dans ce roman, vous ne trouverez pas de descriptions de duels aux revolvers, de fusillades, d'attaques de diligences, de chevauchées épiques... Tout cela est relégué à l'arrière-plan. Scali s'est bien documentée ; elle est même allée en Arizona, où se passe la plus grande partie de l'histoire, ce qui paraît dans l'attention portée aux paysages, et dans le rendu très convaincant d'un climat, d'une époque marquée par la conquête de l'ouest, la ruée vers l'or, la « pacification » des Indiens et la guerre de Sécession.
Sur le plan formel, le récit est une réussite, consistant en une succession non chronologique de quarante-neuf courts chapitres, chacun portant la mention d'un lieu et d'une ou deux dates. Un effet de mouvement chaotique structuré avec soin, parfaitement cohérent avec le portrait d'un monde libre, mais désorganisé, insécurisant. Et où Dieu est absent. Ce n'est pas un hasard si les églises sont laissées à l'abandon, et si le seul ministre du culte est un faux pasteur qui ne célèbre jamais d'offices, ne fait jamais de sermons, mais erre dans cette frontière de l'Ouest à la recherche de héros dont il pourrait raconter les hauts faits.
Ce révérend Aaron est le personnage central du récit, un alter ego du narrateur. En tant que figure auctoriale, il suscite la méfiance, l'hostilité des autres personnages principaux, notamment de Russian Bill qui lui vole ses « carnets », et du Matador, un chasseur de primes qui entend bien ne pas se faire voler son histoire, son immortalité, son âme s'il y croyait. 2 Le révérend n'est pas essentiellement différent de ces brigands qui volent le bétail. Chacun sa spécialité. Il n'est jamais armé, mais les répliques qu'il reçoit et assène sont comme des coups de revolver. Dans ses premières années, le révérend Aaron -- seul parmi les cinq personnages principaux dont le narrateur ne nous révèle jamais le prénom -- gagne sa vie en prononçant des discours lors d'obsèques ; sa parole est celle d'un passeur, faisant le lien entre la vie ici-bas et la vie dans l'au-delà. Puis l'au-delà va se désacraliser, descendre dans le monde sordide des hommes, et devenir cette immortalité de pacotille qu'est la célébrité ; le révérend se met alors à noircir des carnets, dans le but -- jamais avoué -- d'en tirer des romans à succès.
Mais il ne rencontrera jamais le héros à la mesure de ses ambitions ; on a compris depuis longtemps qu'on n'est pas dans un de ces « romans à quatre sous ». (p. 209) Il ne croise que des êtres semblables à lui, monomaniaques (lui qui continue à écrire même après que le Matador lui eut tranché les deux poignets), condamnés à la répétition, à la surenchère (« les dix pendaisons de Charles Teasdale » ; « les trente mariages que n'a pas vécus Pearl Guthrie » ; « les cents personnes qu'a tuées Russian Bill »), bref, au vide de l'existence.
Une des réussites de ce roman tient, on le voit, à ce qu'il tend un miroir où se réfléchissent nos sociétés sécularisées, individualistes, en proie à un certain vide. Comment ne pas reconnaître dans ce faux pasteur, dans ce Charles Teasdale qui change de nom en changeant de ville, dans ce William Tattenbaum, alias Russian Bill, sorte de bouffon mythomane, de « fou du village », des comportements bien d'aujourd'hui, où il est si facile de s'inventer un personnage sur les réseaux sociaux. À la recherche de New Babylon offre le daguerréotype d'un XIXe siècle libre, certes, mais irréfléchi, où la théâtralité, la mise en scène de soi, l'emporte sur l'esprit de sérieux, où l'immaturité transforme ce monde du Far West en un vaste espace de jeu : « Oh, rien n’a plus d’importance que le jeu, monsieur Tattenbaum. J’imagine que vous êtes d’accord avec moi là-dessus » (p. 190) Dominique Scali avait peut-être en arrière-pensée ces gadgets technologiques, ces iMachin, ces Pokemon GO qui nous infantilisent tant aujourd'hui, et nous font basculer dans la légèreté, le divertissement, sur fond d'angoisse environnementale.
Parcourant mes notes de lecture, j'ai pensé au western spaghetti de Tonino Valerii, Mon nom est personne, tout entier habité par le souvenir d'une époque révolue, celle où le héros incarné par Henry Fonda brillait de tous les feux de sa renommée. Il y a un peu de ce parfum de fin d'un monde dans le roman de Scali.
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1. Sacali, Dominique. À la recherche de New Babylon. [Fichier ePub], Éditions La Peuplade, Saguenay, 2015, 214 p.
2. Un réalité bien connue des écrivains. Je pense à la pièce de Michel Tremblay, Le Vrai monde ?, qui souligne le refus de la famille de Claude de servir de chair à roman, d'être dépossédée du sens de sa vie. Ce refus, à noter, n'est jamais celui de l'immortalité au sens kundérien, c'est-à-dire le « souvenir d’un homme dans l’esprit de ceux qui ne l’ont pas connu » (L'Immortalité, 1990). Le désir d'immortalité s'accompagne de l'angoisse de ne pas en avoir le contrôle. C'est là une idée centrale de l'oeuvre de Kundera. Savoureux de la retrouver dans un roman western !
Dans ce roman, vous ne trouverez pas de descriptions de duels aux revolvers, de fusillades, d'attaques de diligences, de chevauchées épiques... Tout cela est relégué à l'arrière-plan. Scali s'est bien documentée ; elle est même allée en Arizona, où se passe la plus grande partie de l'histoire, ce qui paraît dans l'attention portée aux paysages, et dans le rendu très convaincant d'un climat, d'une époque marquée par la conquête de l'ouest, la ruée vers l'or, la « pacification » des Indiens et la guerre de Sécession.
Sur le plan formel, le récit est une réussite, consistant en une succession non chronologique de quarante-neuf courts chapitres, chacun portant la mention d'un lieu et d'une ou deux dates. Un effet de mouvement chaotique structuré avec soin, parfaitement cohérent avec le portrait d'un monde libre, mais désorganisé, insécurisant. Et où Dieu est absent. Ce n'est pas un hasard si les églises sont laissées à l'abandon, et si le seul ministre du culte est un faux pasteur qui ne célèbre jamais d'offices, ne fait jamais de sermons, mais erre dans cette frontière de l'Ouest à la recherche de héros dont il pourrait raconter les hauts faits.
Ce révérend Aaron est le personnage central du récit, un alter ego du narrateur. En tant que figure auctoriale, il suscite la méfiance, l'hostilité des autres personnages principaux, notamment de Russian Bill qui lui vole ses « carnets », et du Matador, un chasseur de primes qui entend bien ne pas se faire voler son histoire, son immortalité, son âme s'il y croyait. 2 Le révérend n'est pas essentiellement différent de ces brigands qui volent le bétail. Chacun sa spécialité. Il n'est jamais armé, mais les répliques qu'il reçoit et assène sont comme des coups de revolver. Dans ses premières années, le révérend Aaron -- seul parmi les cinq personnages principaux dont le narrateur ne nous révèle jamais le prénom -- gagne sa vie en prononçant des discours lors d'obsèques ; sa parole est celle d'un passeur, faisant le lien entre la vie ici-bas et la vie dans l'au-delà. Puis l'au-delà va se désacraliser, descendre dans le monde sordide des hommes, et devenir cette immortalité de pacotille qu'est la célébrité ; le révérend se met alors à noircir des carnets, dans le but -- jamais avoué -- d'en tirer des romans à succès.
Mais il ne rencontrera jamais le héros à la mesure de ses ambitions ; on a compris depuis longtemps qu'on n'est pas dans un de ces « romans à quatre sous ». (p. 209) Il ne croise que des êtres semblables à lui, monomaniaques (lui qui continue à écrire même après que le Matador lui eut tranché les deux poignets), condamnés à la répétition, à la surenchère (« les dix pendaisons de Charles Teasdale » ; « les trente mariages que n'a pas vécus Pearl Guthrie » ; « les cents personnes qu'a tuées Russian Bill »), bref, au vide de l'existence.
Une des réussites de ce roman tient, on le voit, à ce qu'il tend un miroir où se réfléchissent nos sociétés sécularisées, individualistes, en proie à un certain vide. Comment ne pas reconnaître dans ce faux pasteur, dans ce Charles Teasdale qui change de nom en changeant de ville, dans ce William Tattenbaum, alias Russian Bill, sorte de bouffon mythomane, de « fou du village », des comportements bien d'aujourd'hui, où il est si facile de s'inventer un personnage sur les réseaux sociaux. À la recherche de New Babylon offre le daguerréotype d'un XIXe siècle libre, certes, mais irréfléchi, où la théâtralité, la mise en scène de soi, l'emporte sur l'esprit de sérieux, où l'immaturité transforme ce monde du Far West en un vaste espace de jeu : « Oh, rien n’a plus d’importance que le jeu, monsieur Tattenbaum. J’imagine que vous êtes d’accord avec moi là-dessus » (p. 190) Dominique Scali avait peut-être en arrière-pensée ces gadgets technologiques, ces iMachin, ces Pokemon GO qui nous infantilisent tant aujourd'hui, et nous font basculer dans la légèreté, le divertissement, sur fond d'angoisse environnementale.
Parcourant mes notes de lecture, j'ai pensé au western spaghetti de Tonino Valerii, Mon nom est personne, tout entier habité par le souvenir d'une époque révolue, celle où le héros incarné par Henry Fonda brillait de tous les feux de sa renommée. Il y a un peu de ce parfum de fin d'un monde dans le roman de Scali.
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1. Sacali, Dominique. À la recherche de New Babylon. [Fichier ePub], Éditions La Peuplade, Saguenay, 2015, 214 p.
2. Un réalité bien connue des écrivains. Je pense à la pièce de Michel Tremblay, Le Vrai monde ?, qui souligne le refus de la famille de Claude de servir de chair à roman, d'être dépossédée du sens de sa vie. Ce refus, à noter, n'est jamais celui de l'immortalité au sens kundérien, c'est-à-dire le « souvenir d’un homme dans l’esprit de ceux qui ne l’ont pas connu » (L'Immortalité, 1990). Le désir d'immortalité s'accompagne de l'angoisse de ne pas en avoir le contrôle. C'est là une idée centrale de l'oeuvre de Kundera. Savoureux de la retrouver dans un roman western !
mardi, juillet 05, 2016
Americanah. Commentaire
En lisant ce roman, j'ai pensé à ce passage du Carnet d'or, de Doris Lessing : « Thomas Mann, le dernier écrivain au sens ancien, qui employait le roman pour exprimer des jugements philosophiques sur la vie. En fait, la fonction du roman semble changer : c’est maintenant un avant-poste du journalisme, nous lisons des romans pour nous documenter sur des zones de vie que nous ne connaissons pas »
Americanah 1 est l'exemple parfait de « roman-reportage ». Un roman tout entier tourné vers « ce qu'est la vie réelle à notre époque », (p. 377) avec sa diversité, ses contradictions, son perpétuel mouvement. À travers un galerie de personnages, notamment les deux protagonistes, Ifemelu et Obinze, l'auteure présente un tableau vivant de la vie au Nigéria, de la vie des « expatriés » (p. 159) à Londres et, surtout, aux États-Unis. Le titre réfère d'ailleurs au nom par lequel les Nigérians désignent leurs compatriotes vivant, ou ayant vécu, aux États-Unis. Mais le principal intérêt de ce roman réside dans son observation minutieuse des rapports raciaux, 2 que je résumerais en paraphrasant Simone de Beauvoir : on ne naît pas noir, on le devient.
Un roman dont les deux protagonistes aiment lire, observer, réfléchir, discuter... Donc, intellectuellement très stimulant. Pourtant, je ne le placerais pas au même niveau que Beloved, de Toni Morrison, ou Dalva, de Jim Harrison. Dans ces œuvres, il y a un effort de transcender la réalité, de l'englober dans une quête existentielle, profonde, à travers une plongée cathartique et libératrice dans le temps et la mémoire. Adichie, au contraire, étale sa narration sur la minceur du présent, dans un effort uniquement descriptif ; l'histoire a beau se dérouler sur une dizaine d'années, Ifemelu peut bien se trouver déstabilisée par tous les changements survenus au Nigéria durant son absence, cette durée n'est jamais ressentie, demeure un fait de la pensée.
C'est sans doute pour atténuer l'effet quelque peu aride, intellectuel (surtout la quatrième partie), du récit où sont même insérés des extraits de blogue, que l'auteure y ajoute une histoire d'amour, presqu'en s'excusant : « Ainsi débutèrent des jours grisants remplis de clichés ». (p. 497) Le résultat est très réussi. Avec une tension qui ne cesse de croître jusqu'à la chute finale, tout en ouverture, merveilleuse de concision et de légèreté.
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1. Adichie, Chimamanda Ngozi. Americanah, [Fichier ePub], Gallimard, Paris, 2014, 534 p.
2. Observation qui inclut les Latinos, les Asiatiques, mais exclut les Amérindiens, invisibles au regard d'Adichie. Ce qui est plutôt inconséquent, puisque son personnage d'Ifemelu fait précisément remarquer à son petit ami blanc qu'elle est inexistante dans les revues féminines ; de même, Obinze, travaillant sous une identité d'emprunt à Londres, trouve éprouvant cet état de non reconnaissance.
Americanah 1 est l'exemple parfait de « roman-reportage ». Un roman tout entier tourné vers « ce qu'est la vie réelle à notre époque », (p. 377) avec sa diversité, ses contradictions, son perpétuel mouvement. À travers un galerie de personnages, notamment les deux protagonistes, Ifemelu et Obinze, l'auteure présente un tableau vivant de la vie au Nigéria, de la vie des « expatriés » (p. 159) à Londres et, surtout, aux États-Unis. Le titre réfère d'ailleurs au nom par lequel les Nigérians désignent leurs compatriotes vivant, ou ayant vécu, aux États-Unis. Mais le principal intérêt de ce roman réside dans son observation minutieuse des rapports raciaux, 2 que je résumerais en paraphrasant Simone de Beauvoir : on ne naît pas noir, on le devient.
Un roman dont les deux protagonistes aiment lire, observer, réfléchir, discuter... Donc, intellectuellement très stimulant. Pourtant, je ne le placerais pas au même niveau que Beloved, de Toni Morrison, ou Dalva, de Jim Harrison. Dans ces œuvres, il y a un effort de transcender la réalité, de l'englober dans une quête existentielle, profonde, à travers une plongée cathartique et libératrice dans le temps et la mémoire. Adichie, au contraire, étale sa narration sur la minceur du présent, dans un effort uniquement descriptif ; l'histoire a beau se dérouler sur une dizaine d'années, Ifemelu peut bien se trouver déstabilisée par tous les changements survenus au Nigéria durant son absence, cette durée n'est jamais ressentie, demeure un fait de la pensée.
C'est sans doute pour atténuer l'effet quelque peu aride, intellectuel (surtout la quatrième partie), du récit où sont même insérés des extraits de blogue, que l'auteure y ajoute une histoire d'amour, presqu'en s'excusant : « Ainsi débutèrent des jours grisants remplis de clichés ». (p. 497) Le résultat est très réussi. Avec une tension qui ne cesse de croître jusqu'à la chute finale, tout en ouverture, merveilleuse de concision et de légèreté.
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1. Adichie, Chimamanda Ngozi. Americanah, [Fichier ePub], Gallimard, Paris, 2014, 534 p.
2. Observation qui inclut les Latinos, les Asiatiques, mais exclut les Amérindiens, invisibles au regard d'Adichie. Ce qui est plutôt inconséquent, puisque son personnage d'Ifemelu fait précisément remarquer à son petit ami blanc qu'elle est inexistante dans les revues féminines ; de même, Obinze, travaillant sous une identité d'emprunt à Londres, trouve éprouvant cet état de non reconnaissance.
vendredi, juillet 01, 2016
Commentaire sur L'Ange de pierre
Si j'étais le père d'un ado, je lui ferait lire L'Ange de pierre, 1 un roman qui pourrait avoir comme sous-titre : Ou comment rater sa vie. Car l'héroïne, Hagar Currie, est à cet égard exemplaire. Orgueilleuse au-delà de toute raison, d'une mauvaise foi totale dans ses rapports aux autres, rigide bien qu'elle s'imagine ne pas l'être, cette femme de 90 ans n'a pas su évoluer, sa vieillesse au contraire faisant ressortir plus que jamais les vulnérabilités de son caractère : son manque de jugement, ses préjugés petits-bourgeois, sa difficulté à établir des relations ouvertes, sincères et authentiques... L'ange de pierre, l'ange « aveugle » (p. 17) et froid comme la neige, (p. 125) c'est elle.
Il va sans dire qu'un tel personnage ne saurait être en contrôle de sa vie. Tout au long du récit, où elle revient sur les événements de sa vie, on voit Hagar réagir, mais jamais agir. Pas une fois elle ne prend une décision réfléchie, basée sur une compréhension des gens et des faits. Ainsi, son mariage avec Brampton Shipley, un fermier rustre, pauvre et fainéant, peut sembler l'acte d'un caractère résolu qui, par amour, choisit d'ignorer le qu'en-dira-t-on, mais en vérité il n'en est rien : Hagar n'est pas amoureuse. Son mariage est le résultat d'une réaction au père qui cherchait à lui imposer ses choix. Nulle rationalité, ici. À tel point qu'en voyant pour la première fois la maison sale et sans eau courante de son mari, elle avouera plus tard :
Cas classique de l'enfant qui ne peut que s'opposer au parent parce qu'il en a reçu le caractère ; Hagar a beau se plaire à imaginer ses ancêtres comme des « gentlemen » (p. 33) vivant dans des châteaux, elle qui se voudrait mondaine, 2 c'est son réflexe d'opposition qui l'emporte.
Mais c'est le rapport à la mère qui est le plus déterminant. C'est pour honorer sa mémoire que l'ange de pierre fut placé dans le cimetière du village, près de la tombe. Il « dominait la ville », (p. 17) dit Hagar ; il dominait aussi symboliquement sa vie. Car cette mère, elle ne l'a pas connue, celle-ci étant morte en lui donnant naissance : « [C]’était si incompréhensible pour moi qu’elle ne soit pas morte à la naissance de l’un ou l’autre de mes deux frères, mais qu’elle ait gardé sa mort pour moi » (p. 93) Mère qu'elle ne « ne pouvai[t] pas [s]’empêcher de détester » (p. 46) -- tout comme elle avoue avoir « toujours détesté » (p. 261) l'ange de pierre --, et qui lui a laissé sur la conscience un sentiment de culpabilité dont elle ne cessera toute sa vie de se défendre :
Sa mère lui a aussi laissé sa nature « anxieuse » (p. 93) :
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1. Margaret Laurence. L'Ange de pierre. Éditions Alto / Éditions Nota bene, Québec, 2008, 442 p.
2. « Quand je revins au bout de deux ans, je connaissais la poésie, je savais broder, parler français, établir le menu d’un repas comportant cinq plats, commander à des domestiques et me coiffer de la plus jolie manière qui soit. » (p. 70)
Il va sans dire qu'un tel personnage ne saurait être en contrôle de sa vie. Tout au long du récit, où elle revient sur les événements de sa vie, on voit Hagar réagir, mais jamais agir. Pas une fois elle ne prend une décision réfléchie, basée sur une compréhension des gens et des faits. Ainsi, son mariage avec Brampton Shipley, un fermier rustre, pauvre et fainéant, peut sembler l'acte d'un caractère résolu qui, par amour, choisit d'ignorer le qu'en-dira-t-on, mais en vérité il n'en est rien : Hagar n'est pas amoureuse. Son mariage est le résultat d'une réaction au père qui cherchait à lui imposer ses choix. Nulle rationalité, ici. À tel point qu'en voyant pour la première fois la maison sale et sans eau courante de son mari, elle avouera plus tard :
« Pourtant, en la voyant, je ne fus pas le moins du monde troublée, car je me prenais encore pour une châtelaine. Je m’imaginais que quelqu’un d’autre ferait tout le travail. » (p. 81)Si irréfléchi, son mariage, qu'il aura une autre conséquence, outre le fait de la plonger dans une vie qu'elle n'aime pas : en rompant les liens avec son père, elle rompt aussi avec la lignée des Currie, et toute l'histoire que porte ce patronyme dont elle se montre fière, rattaché aux Highlanders « du Clanranald Mac Donald » (p. 32), et dont la devise -- « Je combat qui ose » (p. 184) -- résume ironiquement son caractère. Déshéritée par son père, sans argent, tout ce qu'elle peut céder du patrimoine familial à celui de ses deux fils en qui elle reconnaît un vrai Currie, c'est une épingle à kilt. Mais le jeune John n'est pas le Currie qu'elle imagine ; il échangera l'épingle contre un canif, puis ce canif contre des cigarettes. Et voilà l'héritage parti en fumée !
Cas classique de l'enfant qui ne peut que s'opposer au parent parce qu'il en a reçu le caractère ; Hagar a beau se plaire à imaginer ses ancêtres comme des « gentlemen » (p. 33) vivant dans des châteaux, elle qui se voudrait mondaine, 2 c'est son réflexe d'opposition qui l'emporte.
Mais c'est le rapport à la mère qui est le plus déterminant. C'est pour honorer sa mémoire que l'ange de pierre fut placé dans le cimetière du village, près de la tombe. Il « dominait la ville », (p. 17) dit Hagar ; il dominait aussi symboliquement sa vie. Car cette mère, elle ne l'a pas connue, celle-ci étant morte en lui donnant naissance : « [C]’était si incompréhensible pour moi qu’elle ne soit pas morte à la naissance de l’un ou l’autre de mes deux frères, mais qu’elle ait gardé sa mort pour moi » (p. 93) Mère qu'elle ne « ne pouvai[t] pas [s]’empêcher de détester » (p. 46) -- tout comme elle avoue avoir « toujours détesté » (p. 261) l'ange de pierre --, et qui lui a laissé sur la conscience un sentiment de culpabilité dont elle ne cessera toute sa vie de se défendre :
« [Je] me demandais pourquoi Dan et Matt avaient hérité de la délicate constitution de Mère alors que j’étais solidement charpentée et aussi robuste qu’un bœuf. » (p. 94)
« Je ne supporte pas de me sentir en dette avec qui que ce soit » (p. 369)
« Pourquoi est-il si difficile de trouver le vrai responsable ? Pourquoi est-ce que je veux toujours qu’il y en ait un ? Comme si ça pouvait m’aider ! » (p. 377)Est-ce pour se protéger de ce sentiment qu'elle s'est durci le coeur ? Qu'elle ne cesse de juger les autres, jusqu'au mépris, plutôt que se juger elle-même ?
Sa mère lui a aussi laissé sa nature « anxieuse » (p. 93) :
« Quelque chose me menace, une chose mystérieuse, tapie dans l’ombre, prête à bondir » (p. 174)
« Mais je ne peux pas rester tranquille plus de deux secondes d’affilée. Je n’ai jamais pu » (p. 278)
« Pour moi, [la nuit] fourmille de fantômes » (p. 297)Hagar est une antihéroïne, mais sa vulnérabilité la rend tout de même attachante. Surtout quand elle parvient à baisser la garde, le temps d'un rare moment de lucidité et d'honnêteté :
« L’orgueil a été ma folie, et la peur le démon qui m’a poussée. Seule, toujours, et jamais libre, car mes chaînes étaient en moi, se sont déployées hors de moi et ont entravé tous ceux qui m’étaient proches » (p. 416)L'Ange de pierre n'est pas un grand roman, mais un bon roman. Un peu prévisible par moments, comme tout ce qui a trait aux manoeuvres du fils et, surtout, de la bru, pour placer Hagar en centre d'hébergement. Au moment de sa parution en 1964, ce genre de situations ne devait pas être si fréquent. Aujourd'hui, il est devenu banal.
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1. Margaret Laurence. L'Ange de pierre. Éditions Alto / Éditions Nota bene, Québec, 2008, 442 p.
2. « Quand je revins au bout de deux ans, je connaissais la poésie, je savais broder, parler français, établir le menu d’un repas comportant cinq plats, commander à des domestiques et me coiffer de la plus jolie manière qui soit. » (p. 70)
vendredi, juin 10, 2016
Commentaire sur Le Carnet d'or
Quand j'ai commencé de lire Le Carnert d'or, de Doris Lessing, ma première impression m'a ramené avec bonheur à l'oeuvre de Kundera : même souci primordial de la forme, même refus de l'« histoire », de la mimésis. Puis, un motif plus profond m'est apparu, une impression persistante : chez ces auteurs, les personnages sont comme des souris de laboratoire ; ils permettent d'explorer « les possibilités de l'existence » (L'Art du roman). Chez Lessing, cette dimension ne se laisse pas percevoir d'emblée, du fait que le récit est à la première personne ; elle est intériorisée et thématisée par les personnages eux-mêmes, comme l'héroïne Anna :
La structure narrative reflète cette quête. Le Carnet d'or n'est pas fait que d'une seule histoire, mais d'un très grand nombre -- une trentaine -- certaines ne faisant qu'un paragraphe, incluses dans d'autres histoires, des métahistoires qui se répartissent selon leurs sujets, dans les quatre carnets d'Anna :
Et c'est ce qui fait la remarquable réussite de cette oeuvre : sa profonde cohérence. Vous tirez sur la maille d'un thème, quel qu'il soit, et c'est tout le récit qui se détricote.
« Cette manière intellectuelle de dire « je voulais voir ce qui allait arriver », « je veux savoir ce qui va se passer ensuite », c’est une tentation qui est dans l’air, qui habite la plupart des gens que l’on rencontre, qui est même en moi. »
« À ton avis, lui demandai-je, qu’est-ce qui contraint les gens comme nous à tout expérimenter ? Quelque chose nous pousse à diversifier au maximum nos personnalités. »
« Saul voulait voir ce qui arriverait. Et moi aussi. Je guettais en moi, plus fort que tout, un intérêt malveillant et littéralement joyeux — comme si lui, Saul, et moi-même étions deux quantités inconnues, deux forces anonymes dénuées de personnalité. »Une « tentation qui est dans l'air » : dans ce roman, l'expérience individuelle est toujours liée à un contexte plus large, inscrite dans une causalité, une d'intelligibilité. Ainsi, le besoin irrépressible d'Anna de « tout expérimenter » prend tout son sens dans un monde en transformation, celui des années 1950, où les repères traditionnels, les grands récits totalisants -- comme le marxisme -- volent en éclats, sur fond de maccarthysme et de terreur nucléaire, où l'individu est en proie au morcellement de son identité, au sentiment d'irréalité des choses, à l'angoisse. Le cynisme triomphe. Mais Anna, même après avoir quitté le Parti communiste, malgré la désillusion, refuse d'y céder. Se définissant comme une de ces nouvelles « femmes libres », elle va poursuivre une réflexion, une quête, voire une lutte, à la fois politique, féministe, psychologique et littéraire.
La structure narrative reflète cette quête. Le Carnet d'or n'est pas fait que d'une seule histoire, mais d'un très grand nombre -- une trentaine -- certaines ne faisant qu'un paragraphe, incluses dans d'autres histoires, des métahistoires qui se répartissent selon leurs sujets, dans les quatre carnets d'Anna :
« Je vais posséder quatre carnets, un noir qui concernera Anna Wulf l’écrivain, un rouge pour la politique, un jaune où j’écrirai des histoires à partir de mon expérience, et un bleu où j’essaierai de tenir mon journal. »Dans ses carnets, Anna défend une vision humaniste valorisant l'unité de l'être et de l'expérience, la conscience, l'engagement dans la communauté, le sens des responsabilités et le courage dans la lutte. Sur le plan littéraire, elle refuse toute mimésis, jugée trompeuse, ne pouvant rendre compte de la réalité, car suintant la nostalgie. Elle refuse, donc, de publier un second roman qui serait semblable au premier. Elle rêve d'« un livre investi d’une passion intellectuelle ou morale assez forte pour créer un ordre, pour créer une nouvelle manière d’observer la vie », et qui témoignerait d'une « conscience simultanée de l’infiniment grand et de l’infiniment petit », c'est-à-dire de la dimension politique à l'échelle de la planète, et de la dimension humaine, psychologique. Ce livre, c'est Le Carnet d'or. Une oeuvre très libre dans sa forme, éclatée, à l'image du monde, mais où l'on voit l'effort de créer des liens entre les histoires, d'attacher ensemble tous ces éléments de récits disparates, de reconstituer l'unité de l'expérience individuelle.
Et c'est ce qui fait la remarquable réussite de cette oeuvre : sa profonde cohérence. Vous tirez sur la maille d'un thème, quel qu'il soit, et c'est tout le récit qui se détricote.
jeudi, décembre 31, 2015
La tentation lyrique
Dès les premières pages, je me suis dit : ah non, pas une histoire d'amour, de fatalité et de désespoir, pas le kitch romantique ! Eh bien, oui, donc, non. Les Maisons, 1 de Fanny Britt, emprunte au romantisme, mais pour le problématiser et s'en distancier, à travers un récit à la première personne, centré sur un personnage complexe, en proie à un profond malaise existentiel.
Tessa, une mère de famille de 37 ans, souffre depuis son enfance de crises d'angoisse qui lui rendent très difficile la vie en société, son rapport aux autres comme à elle-même. Tout au long du récit des grandes étapes de sa vie, depuis l'enfance jusqu'à l'âge adulte, elle se dit tantôt « désagréable », (p. 8) tantôt consciente que « [s]on hostilité est laide et suinte l’amertume », (p. 62) voudrait qu'on la laisse « [s]'haïr en paix ». (p. 46) Jamais satisfaite d'elle-même, elle évoque aussi sa « nostalgie rageuse », (p. 68) une dimension de sa personnalité qui n'est pas sans importance. Le passé pour elle est un refuge, et le temps à venir est toujours chargé d'appréhensions, de scénarios catastrophiques, d'odeurs de mort.
Comment une telle femme réagit-elle à l'amour ? Elle réagit par le coup de foudre, à l'âge de 20 ans :
Dans une entrevue accordée au journal La Presse, Fanny Britt explique qu'elle s'est « débarrassée de Tessa en l'écrivant ». 2 De la même façon, Tessa se débarrasse de son lyrisme en le vivant jusqu'au bout, en le confrontant à la réalité, sachant très bien que, quand « les choses deviennent réelles, [elles] révèlent leur ridicule ». Le ridicule, ici, ne tue pas ; il permet, au contraire, de vivre heureux dans une maison et, qui sait, peut-être de connaître l'espoir.
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1. Britt, Fanny. Les Maisons. [Fichier ePub], Le Cheval d'août, Montréal, 2015, 125 p.
2. Lapointe, Josée. « Dans la maison de Fanny Britt ». La Presse, 28 octobre 2015. Page consultée le 31 décembre 2015
Tessa, une mère de famille de 37 ans, souffre depuis son enfance de crises d'angoisse qui lui rendent très difficile la vie en société, son rapport aux autres comme à elle-même. Tout au long du récit des grandes étapes de sa vie, depuis l'enfance jusqu'à l'âge adulte, elle se dit tantôt « désagréable », (p. 8) tantôt consciente que « [s]on hostilité est laide et suinte l’amertume », (p. 62) voudrait qu'on la laisse « [s]'haïr en paix ». (p. 46) Jamais satisfaite d'elle-même, elle évoque aussi sa « nostalgie rageuse », (p. 68) une dimension de sa personnalité qui n'est pas sans importance. Le passé pour elle est un refuge, et le temps à venir est toujours chargé d'appréhensions, de scénarios catastrophiques, d'odeurs de mort.
Comment une telle femme réagit-elle à l'amour ? Elle réagit par le coup de foudre, à l'âge de 20 ans :
« Comment expliquer que le souffle m’ait manqué [...] que mon corps se soit vidé de ses organes pour n’y garder qu’un grand vent, un trou, une plaine, et que la seule et unique de mes pensées, devant cet homme au t-shirt hideux – le col n’était-il pas taché de café ? – et au front perlé de sueur, ait été : Je n’aimerai jamais personne comme je t’aimerai ? » (p. 78)À noter, ici, le caractère romantique et convenu de ce passage. Un amour, pourtant, qui ne durera que cinq mois, fort peu idyllique, et à sens unique, Francis ne lui ouvrant jamais la porte de son univers, se contentant de la rencontrer chez elle, à l'occasion. Tessa n'en mettra pas moins 17 ans à se sortir de cette liaison. Tournée vers le passé, dérivant en secret dans son monde imaginaire, elle semble, au plus profond d'elle-même, avoir appliqué à sa vie amoureuse le mot d'ordre qu'elle s'était donné lors de son baccalauréat en chant : « Je serais lyrique ou je ne serais pas ». (p. 90) Le lyrisme serait-il un refuge contre l'angoisse, le pessimisme et la désillusion ? Quand elle rencontre à nouveau Francis par hasard, 17 ans plus tard, et que celui-ci lui donne rendez-vous, la voilà redevenue jeune pour un court moment :
« Une femme en pleine passion amoureuse n’est plus tenue de se plier aux règlements de son âge ou de sa situation, right ? [...] Elle est libre. » (p. 62)
« Quand je mets le pied dehors, mon petit sac de papier noir à la main, je suis deux filles en t-shirt, leurs cuisses rondes moulées de leggings, elles rigolent en chantonnant un succès pop du moment, sautillantes et légères, même la plus dodue des deux. N’ont-elles pas de cours ? – c’est ce que je me demanderais normalement, mais aujourd’hui je ne suis pas leur mère, je suis leur liberté et leur confiance. Je suis leurs yeux gavés d’avenir. Cela arrive de plus en plus rarement. » (p. 62)Cette euphorie ne dure qu'un moment, mais le rêve lyrique, lui, se poursuit. Sans compromis. Tessa achète une robe neuve pour porter avec ses « ballerines dorées » de « jeune fille » (p. 62) et se prépare à tromper son mari, un geste qui prend une valeur sacrificiel d'un romantisme éculé :
« Je vais me noyer avec lui dans les draps » (p. 96)
« Vous n’avez pas mon courage mais même les lâches ont droit à un peu de beauté » (p. 98)Et une valeur thérapeutique :
« [I]l me faut coûte que coûte quelque chose pour faire taire la douleur dont je suis ivre depuis des années. Francis n’est-il pas revenu pour me dégriser ? » (p. 61)Et, de fait, elle va dégriser. Discutant dans un bar avec Francis, le soir de ce rendez-vous tant appréhendé, elle revient brusquement à la réalité, son deuil consommé :
« J’ai imaginé pendant des jours – des années plutôt, puisqu’il faut être honnête – que nous serions aimantés dès la première seconde, que nos doigts se chercheraient, que dans ses bras plus rien ne résisterait à rien, l’histoire se répéterait comme elle sait le faire, c’était ça, la fièvre au téléphone, les mains qui tremblent à la natation, les sanglots entre les draps, ça que j’attendais. » (p. 114)
« ce Francis réel, en somme, que vient-il faire dans mes délires [...] Ne sommes-nous pas les tristes, tristes clowns d’un sketch éculé ? » (p. 106)Le récit se termine sur la description de l'intérieur d'un appartement dans lequel viennent d'emménager des Français « très amoureux ». Ce qui ramène au titre. La maison, c'est la conjugalité, les enfants, l'horaire chargé, la routine familiale dans toute sa matérialité, avec ses difficultés, mais aussi ses joies ; c'est le métier d'agent immobilier choisi par Tessa après l'abandon de ses études, le regard attaché à l'aspect extérieure des choses et, donc, une certaine mentalité petite-bourgeoise dans une société de consommation. Bref, c'est l'envers du lyrisme.
Dans une entrevue accordée au journal La Presse, Fanny Britt explique qu'elle s'est « débarrassée de Tessa en l'écrivant ». 2 De la même façon, Tessa se débarrasse de son lyrisme en le vivant jusqu'au bout, en le confrontant à la réalité, sachant très bien que, quand « les choses deviennent réelles, [elles] révèlent leur ridicule ». Le ridicule, ici, ne tue pas ; il permet, au contraire, de vivre heureux dans une maison et, qui sait, peut-être de connaître l'espoir.
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1. Britt, Fanny. Les Maisons. [Fichier ePub], Le Cheval d'août, Montréal, 2015, 125 p.
2. Lapointe, Josée. « Dans la maison de Fanny Britt ». La Presse, 28 octobre 2015. Page consultée le 31 décembre 2015
2015
2015 a été l'année de l'État islamique (Daech) qui a monopolisé l'attention médiatique plus que jamais, en commanditant plusieurs attentats meurtriers -- en France, mais surtout dans les pays arabes -- en poursuivant sa lutte armée en Irak et en Syrie, en faisant fuir des centaines de milliers de Syriens des zones de combat -- aggravant ainsi « la plus importante crise migratoire en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale » http://goo.gl/IdgTaU -- et en poursuivant la destruction du patrimoine historique mondial sur le territoire qu'il contrôle : la cité antique de Hatra http://goo.gl/DIwNn0 la cité assyrienne de Nimrud http://goo.gl/0ilbRk certaines pièces conservées au musée de Mossoul, puis Palmyre http://goo.gl/UUVrSZ où il font sauter à la dynamite le temple de Baalshamin http://goo.gl/iusXgO
Mais la plus grande menace n'est pas militaire. Elle est climatique. Et sur ce front, 2015 risque de passer à l'histoire comme l'année où l'humanité a raté sa dernière chance d'assurer sa survie pour les siècles à venir. La COP21, à Paris, fut un succès diplomatique, certes, mais elle a échoué à relever les défis urgents d'une décarbonisation de l'économie. Des pays comme l'Australie, la Russie, l'Afrique du Sud et la Colombie investissent des milliards de dollars dans l'extraction du charbon.
2015 a été aussi l'année des femmes, en particulier celles qui ont été la cible de diverses formes de violence, une préoccupation tout à fait justifiée mais qui, hélas ! n'a pas toujours été dénuée d'arrières-pensées islamophobes. Au Canada les femmes amérindiennes ont particulièrement retenu l'attention. D'ailleurs, cette année a aussi été marquée par les questions amérindiennes, qu'il s'agissent des conditions de vie des « premières nations » ou des enfants victimes des « pensionnats indiens ». Depuis deux ans, depuis Idle No more, la pression est constante.
Au Québec, le climat de morosité s'est aggravé, sur fond d'austérité affectant les citoyens les plus vulnérables, et d'aggravation des iniquités. La rémunération indécente des médecins spécialistes a été pointé du doigt, tout comme l'incompétence minière du gouvernement Couillard et la fumisterie que constitue son plan de lutte au réchauffement climatique. L'automne a été marqué par les grèves dans le secteur public et le milieu communautaire, et par les chaînes humaines autour des écoles, comme le 2 novembre, où plus de 20 000 parents se sont rassemblés autour d’environ 300 écoles, partout au Québec http://goo.gl/PSXjAU et encore le 1er décembre http://goo.gl/JIMXDN Malgré une redéfinition historique de l'État providence, le gouvernement s'en tire remarquablement bien.
Voici quelques événements qui ont retenu mon attention :
7 janvier. Attentat à Paris, à Charlie Hebdo http://goo.gl/wNJKie http://goo.gl/tnUhMe http://goo.gl/8IEiyh Les médias britanniques et américains couvrant l'événement jugent tout de même plus respectueux -- ou plus prudent -- de brouiller les caricatures de Mahomet au moment de publier des photos du journal http://goo.gl/lPtbwi Ce que d'autres médias leur ont reproché. Pour ou contre Charlie ? Le débat n'est pas clos http://goo.gl/9P9drS La Tunisie sera également éprouvée, avec l'attentat du musée du Bardo, à Tunis, le 19 mars, et l'attentat du 26 juin, à Sousse ; chaque fois, seuls les étrangers seront ciblés. http://goo.gl/0ayA0x
7 janvier. La Palestine est admise à la CPI http://goo.gl/Xh42zA
8 janvier. L’ONU lance un appel à la communauté internationale : accueillir 100 000 réfugiés syriens en 2 ans. Le Canada annonce qu’il en accueillera 10 000 en 3 ans, http://goo.gl/Tk3hfQ objectif qui sera quelque peu relevé avec la victoire aux urnes du PLC, au mois d'octobre. En août, la situation s'aggrave. Environ 10 000 migrants par jour -- des réfugiés, pour la plupart -- fuient vers l'Europe par la « route des Balkans ». Si la Grèce, la Macédoine et la Serbie leur facilitent le passage, la Hongrie leur ferme sa frontière. Début septembre, une image sème l'émoi à travers le monde : celle d'Aylan Kurdi, un petit garçon de trois ans, retrouvé mort, échoué sur une plage de Turquie, noyé ; une lettre remise en main propre au ministre canadien de l'Immigration, Chris Alexander, lui demandant d'accueillir l'enfant et sa famille, était demeurée sans suite http://goo.gl/opShx4 Les conservateurs ont une réponse militaire à la crise humanitaire en Syrie, mais ils n'ont pas de réponse... humanitaire http://goo.gl/DUFubB L'Europe demeure très divisée, malgré l'entente du 22 septembre sur la répartition à l'intérieur de l'Europe des migrants/réfugiés venus du Proche-Orient. http://goo.gl/5FBF4o De tous les pays, c'est l'Allemagne qui se montre d'abord la plus ouverte... jusqu'en octobre où, au plus bas dans les sondages, la chancelière Merkel adopte des mesures plus restrictives. http://goo.gl/K5zO5J De même, la Macédoine érige une clôture de trois kilomètres à sa frontière grecque et commence à faire le tri parmi les migrants ; l'Europe conclut le 29 novembre une entente avec la Turquie afin que cette dernière retienne davantage les migrants/réfugiés de passage sur son territoire. http://goo.gl/kh4CIZ La route des Balkans se referme en partie. En quatre ans et demi, la guerre en Syrie a fait près de 12 millions de déplacés et réfugiés.
10 janvier. Décès du felquiste Francis Simard. http://goo.gl/ucGUi9 Les indépendantistes vieillissent...
25 janvier. Le parti Syriza, représentant la « gauche radicale », remporte les élections en Grèce http://goo.gl/iJUVX0 S'en est suivi une négociation extrêmement dur, acerbe, entre la Grèce voulant alléger le fardeau de sa dette, et la « troïka » -- la Banque centrale européenne, le FMI et la Commission européenne -- refusant toute concession. Un bras de fer finalement remporté le 12 juillet par l'Europe, qui impose ses conditions, qualifiés de « catalogue des horreurs » http://goo.gl/MRFjVD Le référendum du 5 juillet n'y aura rien changé. La Grèce est amputée de son avenir, et de son passé http://goo.gl/i5MXaj Le 20 août, le premier ministre Tsipras démissionne et dissout le parlement http://goo.gl/scmlY3 Il sera finalement réélu et deviendra un chef de gouvernement soumis comme les autres.
6 février. Quelque 20 ans après l’affaire Sue Rodriguez, la Cour suprême du Canada rend un jugement unanime et historique, légalisant l’aide médicale à mourir. La Cour prend acte de l’évolution des mentalités http://goo.gl/rqD3ih La question n'est pas réglée pour autant. Le fédéral n'a pas de loi sur l'aide à mourir, et n'entend pas laisser le Québec appliquer sa propre loi ; mais, en décembre, il se ravisera.
9 février. « SwissLeak » http://goo.gl/9aDi8C « Évasion fiscale », « évitement fiscale », « optimisation fiscale »... Toute l'année, la question incontournable de l'équité fiscale est demeurée au centre de l'attention médiatique. Sans grand résultat. Sinon une timide entente entre les pays du G20 pour endiguer ce fléau qui prive les États de 100 à 240 milliards de $ de revenus par année http://goo.gl/Tg6oWQ
23 mars. 60 000 étudiants amorcent une « grève sociale », en quête d’un autre « printemps érable » http://goo.gl/omX6Pz qui finalement n'aura pas lieu.
27 mars. Dans un jugement très divisé, où les trois juges québécois font bande à part, la Cour suprême a tranché qu'Ottawa avait tout à fait le droit de détruire les données contenues dans son registre des armes à feu. Selon Benoît Pelletier, le plus étonnant de ce jugement, c’est qu’il donne raison aux conservateurs qui veulent détruire le registre dans l’unique but d’empêcher le Québec de créer son propre registre. La Cour, qui accorde pourtant de l’importance au principe de coopération, a clairement ici dérogé à ce principe http://goo.gl/tgMdNt http://goo.gl/VtbofQ
1er avril. Premier transition démocratique au Nigéria. Le musulman Muhammadu Buhari succède au chrétien Goodluck Jonathan. http://goo.gl/5qsPoL Le nouveau président viendra-t-il à bout de Boko Haram ? Finalement, il semble que non.
3 avril. Un commando shebab, nom d’une milice islamiste de Somalie, mène une attaque à l’université de Garissa, au Kenya voisin, faisant 148 morts et plus de 100 blessés. http://goo.gl/tJv4xb
10 avril. Les présidents américain, Barack Obama et cubain, Raúl Castro se rencontrent au Panama pour un sommet continental historique qui consacre le rapprochement amorcé entre les deux ennemis de la guerre froide. http://goo.gl/r5tSvq Un pas de plus sera franchi le 20 juillet avec la réouverture des ambassades http://goo.gl/H3Lfha Il était plus que temps. Ne reste plus qu'à lever l'embargo décrété par Washington en 1961
12 avril. Freddie Gray, un jeune Noir de Baltimore, est arrêté par les policiers. Il meurt une semaine plus tard. Les policiers affirment qu’ils n’ont pas utilisé la force, ce que dément une vidéo diffusée sur le Web. http://goo.gl/pjidSz « Plusieurs enquêtes ont été lancées pour élucider les circonstances des blessures de Freddie Gray, sans conclusions. » http://goo.gl/e5od9i Manifestations pacifiques, émeutes nocturnes, confrontations avec les forces de l’ordre. C’est le scénario de Ferguson qui est rejoué. Deux mois plus tard, le 17 juin, Dylann Roof, un Blanc de 21 ans, sympathisant du Tea Party, tue neuf Noirs dans une église méthodiste de Charleston, en Caroline du Sud... Non, vraiment, il y a quelque chose qui ne va pas dans ce pays. Quelque chose comme une régression sociale. La présidence de Barak Obama fait illusion et permet à la droite américaine de parler d'une société « post-raciale » http://goo.gl/FpNd36 Ce n'est pas Sandra Bland qui pourra les contredire : elle est retrouvée pendue dans sa cellule le 16 juillet, trois jours après avoir été arrêtée pour une banale infraction routière. Le 14 juillet paraît Between the World and Me, du journaliste Ta-Nehisi Coates http://goo.gl/TIMX07
13 avril. L’Ontario annonce son intention de joindre le système de plafonnement et d’échange de droits d’émissions (SPEDE) au sein de la Western Climate Initiative, dont fait partie le Québec et la Californie. Initiative appréciable, mais, à huit mois de la cruciale conférence de Paris sur la réduction des GES, il faut voir que les mesures promises sont insuffisantes ; il faut en faire plus, et plus vite ! (Le 7 décembre, en marge de la COP21, le Manitoba annoncera son intention de joindre, lui aussi, le SPEDE)
15 avril. La Cour suprême inflige un important revers au programme de loi et d’ordre du gouvernement conservateur. Dans un jugement qui fera date, le tribunal invalide les peines minimales de prison de 3 ans (ou 5 ans en cas de récidive), liée à la simple possession d’armes à feu prohibées. Le jugement est rédigé de manière telle qu’il pourra assurément être invoqué pour contester d’autres peines minimales. http://goo.gl/1JrZo5
15 avril. La Cour suprême met un terme à la croisade du maire de Saguenay, Jean Tremblay, en interdisant la prière lors des réunions du conseil municipal. Un petit pas vers la neutralité religieuse des institutions publiques http://goo.gl/hlubie
24 avril. Une autre décision importante de la Cour suprême. « Fini les salles de classe sans fenêtre, les toilettes qui débordent, les couloirs sombres et le toit qui coule. Les francophones de la Colombie-Britannique ont franchi un pas important vers l’égalité [...] devant la Cour suprême, qui a déterminé que les droits linguistiques des élèves d’une école de Vancouver ont bel et bien été violés. Un jugement unanime qui pourrait ouvrir la voie à l’ouverture de nouvelles écoles de langue française ailleurs au pays. » http://goo.gl/qxqUpN
30 avril. En novembre 2014, l'affaire Ghomeshi avait donné lieu à une impressionnante vague de dénonciations de crimes sexuels, notamment sur Twitter. Le dépôt, ce 30 avril, du rapport de l'ex-juge Marie Deschamps sur les « inconduites sexuelles » dans les Forces armées canadienne, poursuit dans le même esprit. Conclusions accablantes, faisant état d'un « climat de sexualisation » tel que l’environnement de travail est « hostile » pour les femmes et les personnes homosexuelles ». Réaction négative de l'État-major http://goo.gl/HA9R9T http://goo.gl/3scxl0 Deux semaines plus tard est rapporté le cas de cette journaliste torontoise à qui de jeunes hommes ont lancé des obscénités http://goo.gl/dilQd3 Dans le métro de Paris, le harcèlement est fréquent http://goo.gl/1u9BkL Tout comme à Bruxelles https://goo.gl/2Req1h Au Canada, la GRC fait l'objet d'une demande d'« action collective » devant la Cour pour « sexisme » http://goo.gl/FZKwRA En Argentine, le mouvement « pas une de moins » mobilisent les femmes contre la violence dont elles sont victimes. http://goo.gl/FXjsIE C'est sans parler des inconduites sexuelles des casques bleus en Afrique et en Haïti.
5 mai. Victoire du NPD de Rachel Notley aux élections albertaines -- 53 députés élus. Une première. Il va falloir revoir nos idées reçues sur cette province, dont la métropole a pour maire un musulman. http://goo.gl/NTfXGU
6 mai. Adoption par la Chambre des communes du projet de loi antiterroriste C-51, presque unanimement condamné par d’anciens premiers ministres, d’ex-juges et des experts en surveillance http://goo.gl/xtrSqT http://goo.gl/FbdcFH
13 mai. Dépôt d'un plan d'action de l'EU pour faire face à l'arrivée de milliers d'immigrants ayant traversé la Méditerranée au péril de leur vie http://goo.gl/S5eckU http://goo.gl/TJM6xG http://goo.gl/KtQOTF http://goo.gl/MVcKDv Résultat du chaos libyen, cette immigration favorisée par des réseaux de passeurs, met à mal la fragile solidarité européenne, son identité humanitaire ; une crise des valeurs.
2 juin. Dépôt du rapport de la Commission vérité et réconciliation qui, pendant sept ans, a recueilli des témoignages sur les tristement célèbres pensionnats autochtones. http://goo.gl/WsQlZe De 1874 à 1996, environ 150 000 ont été arrachés à leurs familles, maltraités, parfois abusés sexuellement. Au moins 3201 de ces enfants en sont décédés http://goo.gl/tOK4gW La commission conclut, sans surprise, à un « génocide culturel », un terme que s'est bien gardé de reprendre le premier ministre Harper. http://goo.gl/ScVdRX Elle pointe du doigt le « manque de connaissances historiques [qui] a de sérieuses conséquences [...] renforce les attitudes racistes » http://goo.gl/rZiZwf Les Canadiens n'ont aucun sens du compromis historique, enfermés qu'ils sont dans leur conception étroite de la liberté, qui ne peut être à leurs yeux qu'individuelle, alors que les Amérindiens sont d'abord en quête d'une émancipation collective, d'un devenir en tant que peuples.
1er juin. Décès de Jacques Parizeau, premier ministre du Québec du 26 septembre 1994 au 29 janvier 1996. Les médias anglophones n'en ont apparemment pas gardé un heureux souvenir ; les médias francophones, si. On ne refait pas l'histoire. http://goo.gl/3cd1KN
6 juin. Accord frontalier historique entre l'Inde et le Pakistan http://goo.gl/W6LZGs
26 juin. Jugement historique de la Cour suprême des États-Unis, qui légalise le mariage entre personnes de même sexe. Un petit croc-en-jambe à la droite religieuse http://goo.gl/lFOJD3
14 juillet. La sonde spatiale New Horizon survole Pluton à une distance de 12 550 km, après un voyage de 10 ans et 5 milliards de kilomètres. La sonde dispose de sept instruments de mesure très performants, permettant de scanner la surface de Pluton, d'analyser la composition de son atmosphère, sa géologie, de relever la température à sa surface et de prendre des photos d'une résolution incroyable -- 100 m par pixels !
14 juillet. Accord historique sur le programme nucléaire iranien. Après 12 ans de jeu de cache-cache, de soupçons, de sanctions économiques, l'Iran va finalement pouvoir se doter d'une capacité de production d'énergie à partir de combustible nucléaire, tandis que l'Europe et les États-Unis auront un certain contrôle sur ce combustible et l'usage qu'il en est fait. La levée des sanctions économiques va redonner aux Iraniens un peu d'optimisme. Seul dans son coin, Israël, soutenu par les républicains américains, parle d'une grave erreur. http://goo.gl/XO4A8a http://goo.gl/kDYwvo Il est vrai que cet accord aura sans doute, à moyen terme, un impact géopolitique.
23 juillet. La NASA annonce la découverte, grâce au télescope à infrarouges Kepler, d'une planète semblable à la Terre, http://goo.gl/lDpe8n http://goo.gl/KahqBM Mais ne faites pas vos bagages tout de suite. L'astre, pour être dans notre voisinage, n'en est pas moins située à 1400 années-lumière de notre bonne vieille Terre.
29 juillet. Sortie de Windows 10. Avec son nouveau système d'exploitation, Microsoft collecte des données liées à tout, absolument tout ce que vous faites sur PC, tout ce que vous tapez sur le clavier, tout ce que vous dites devant votre webcam. Aucune parade n'est possible. Du coup, Microsoft surpasse tous les Google, Facebook et autres Amazon en nous poussant encore plus loin dans le paradigme de la maison de verre http://goo.gl/kQCGFJ
27 septembre. Élections référendaires en Catalogne. Les indépendantistes obtiennent la majorité des sièges au parlement régional mais, avec un peu moins de 50 % des votes, ils n'ont pas reçu des Catalans le mandat clair espéré. Québec, Écosse, Catalogne : projet similaire, résultats similaires ! http://goo.gl/kBQ1FP http://goo.gl/aNogKP
5 octobre. Conclusion d'une entente de principe en vue de la création d'une zone de libre-échange incluant 12 pays, dont le Canada. Faut-il se réjouir ou craindre ce Partenariat transpacifique ? Difficile à dire. Mais la faible productivité des entreprises canadiennes ne permet pas d'être très optimiste. http://goo.gl/AA91KY
19 octobre. Le Parti libéral du Canada, emmené par son jeune chef Justin Trudeau, remporte des élections historiques. Jamais une campagne n'avait duré 79 jours, le double de la durée habituelle. Le premier ministre sortant, le conservateur Steven Harper, croyait en tirer avantage ; mal lui en a pris : les libéraux, partis négligés, ont mené une campagne sans bavures et, à la fin, ont canalisé les votes en faveur du changement, au dépens des néo-démocrates balayés d'un bout à l'autre du pays. Jamais un parti n'était passé de la troisième position à celle de gouvernement majoritaire. Et ce, dans un parlement comptant désormais 338 députés, soit 33 de plus qu'à l'élection de 2011. Le PLC a également remporté tous les sièges dans les provinces maritimes, du jamais vu, et la majorité des sièges au Québec, ce qui ne s'était pas vu depuis 35 ans. http://goo.gl/m1dpDL
22 octobre. L'émission Enquête révèle des cas d'abus sexuels et de violence contre des femmes amérindiennes de Val-d'Or mettant en cause des policiers de la SQ http://goo.gl/7tP9C4 http://goo.gl/QcMaqa En mai, la directrice du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or avait pourtant adressé un lettre au directeur régional de la SQ, dont trois ministres ont obtenu copie, et cette lettre était suffisamment alarmante pour que la ministre de la Justice ordonne une enquête indépendante. Or, elle n'en a rien fait. Et cette histoire aurait tout simplement été balayée sous le tapis n'eut été d'Enquête. https://goo.gl/sCR21V Une enquête publique sur les 1000, 2000, 3000 femmes disparues au cours des 20 dernières années apparaît plus que jamais nécessaire.
13 novembre. Attentat à Paris. Neuf (dix ?) assaillants frappent à six endroits de Paris, dont le Stade de France et la salle de spectacles du Bataclan, faisant 130 morts et 352 blessés. Ces attentats sont revendiqués par l'État islamique qui, la veille, a aussi frappé le quartier de Bourj al-Barajné, un fief du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth, au Liban, faisant 43 mort et plus de 200 blessés. « Quant au crash d'un avion civile dans le Sinaï, deux semaines plus tôt, ayant fait 214 victimes russes, il a finalement été revendiqué par l'EI.
22 novembre. Une coalition de droite mené par Mauricio Macri remporte l'élection présidentielle argentine. http://goo.gl/GlOcrA Après douze ans au pouvoir, les péronistes ont été emportés par le désir de changement.
29 novembre. Ouverture de la conférence de Paris sur le climat, la COP 21. C'est l'événement de l'année. Tout au long de 2015, sessions de négociations, conférence scientifique, réunions informelles de ministres, les rendez-vous préparatoires ont été nombreux. Au final, les milliers de délégués venus de 195 pays ont conclu un accord qui, pour être « universel » et historique, n'en est pas moins tragiquement insuffisant. L'objectif de maintenir le réchauffement « nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » est, certes, ambitieux, mais non contraignant. Et un pays pourra, trois ans après l'entrée en vigueur de l'accord, s'en retirer par simple notification http://goo.gl/48a2Ft http://goo.gl/NVRIIl http://goo.gl/aEvKo7 Quand aux 100 milliards de $ par an, pendant cinq ans à partir de 2020, les pays pauvres n'en pas la couleur ; l'adaptation au réchauffement climatique demeure un privilège des pays riches.
1er décembre. Roch Marc Christian Kaboré est élu président du Burkina Faso dès le premier tour, devenant ainsi le premier chef d’État démocratiquement élu depuis 1978.
6 décembre. La Table de l’unité démocratique, vaste coalition d’opposition de droite, remporte 99 des 167 sièges du parlement vénézuélien. Deux ans et demie après le décès de Hugo Chavez, son successeur, Nicola Maduro, n'a pas su freiner le déclin du « socialisme du XXIe siècle ». http://goo.gl/3HQX5z Après la défaite du dauphin de Cristina Kirchner à l'élection présidentielle argentine, et les difficultés de la présidente brésilienne Dilma Roussef, il semble que nous assistions à une phase de transition politique dans les trois plus grands pays d'Amérique du Sud, au profit de la droite
8 décembre. Elle était demandée depuis des années, la voici enfin. Le gouvernement Trudeau annonce officiellement -- avec des gestes symboliques qui montrent une fois de plus son désir de rompre avec l'ère Harper -- la création de la commission d'enquête sur les femmes amérindiennes disparues ou assassinées. Mais, pour l'heure, peu de détails ont été donnés. http://goo.gl/0YOzmy
Mais la plus grande menace n'est pas militaire. Elle est climatique. Et sur ce front, 2015 risque de passer à l'histoire comme l'année où l'humanité a raté sa dernière chance d'assurer sa survie pour les siècles à venir. La COP21, à Paris, fut un succès diplomatique, certes, mais elle a échoué à relever les défis urgents d'une décarbonisation de l'économie. Des pays comme l'Australie, la Russie, l'Afrique du Sud et la Colombie investissent des milliards de dollars dans l'extraction du charbon.
2015 a été aussi l'année des femmes, en particulier celles qui ont été la cible de diverses formes de violence, une préoccupation tout à fait justifiée mais qui, hélas ! n'a pas toujours été dénuée d'arrières-pensées islamophobes. Au Canada les femmes amérindiennes ont particulièrement retenu l'attention. D'ailleurs, cette année a aussi été marquée par les questions amérindiennes, qu'il s'agissent des conditions de vie des « premières nations » ou des enfants victimes des « pensionnats indiens ». Depuis deux ans, depuis Idle No more, la pression est constante.
Au Québec, le climat de morosité s'est aggravé, sur fond d'austérité affectant les citoyens les plus vulnérables, et d'aggravation des iniquités. La rémunération indécente des médecins spécialistes a été pointé du doigt, tout comme l'incompétence minière du gouvernement Couillard et la fumisterie que constitue son plan de lutte au réchauffement climatique. L'automne a été marqué par les grèves dans le secteur public et le milieu communautaire, et par les chaînes humaines autour des écoles, comme le 2 novembre, où plus de 20 000 parents se sont rassemblés autour d’environ 300 écoles, partout au Québec http://goo.gl/PSXjAU et encore le 1er décembre http://goo.gl/JIMXDN Malgré une redéfinition historique de l'État providence, le gouvernement s'en tire remarquablement bien.
Voici quelques événements qui ont retenu mon attention :
7 janvier. Attentat à Paris, à Charlie Hebdo http://goo.gl/wNJKie http://goo.gl/tnUhMe http://goo.gl/8IEiyh Les médias britanniques et américains couvrant l'événement jugent tout de même plus respectueux -- ou plus prudent -- de brouiller les caricatures de Mahomet au moment de publier des photos du journal http://goo.gl/lPtbwi Ce que d'autres médias leur ont reproché. Pour ou contre Charlie ? Le débat n'est pas clos http://goo.gl/9P9drS La Tunisie sera également éprouvée, avec l'attentat du musée du Bardo, à Tunis, le 19 mars, et l'attentat du 26 juin, à Sousse ; chaque fois, seuls les étrangers seront ciblés. http://goo.gl/0ayA0x
7 janvier. La Palestine est admise à la CPI http://goo.gl/Xh42zA
8 janvier. L’ONU lance un appel à la communauté internationale : accueillir 100 000 réfugiés syriens en 2 ans. Le Canada annonce qu’il en accueillera 10 000 en 3 ans, http://goo.gl/Tk3hfQ objectif qui sera quelque peu relevé avec la victoire aux urnes du PLC, au mois d'octobre. En août, la situation s'aggrave. Environ 10 000 migrants par jour -- des réfugiés, pour la plupart -- fuient vers l'Europe par la « route des Balkans ». Si la Grèce, la Macédoine et la Serbie leur facilitent le passage, la Hongrie leur ferme sa frontière. Début septembre, une image sème l'émoi à travers le monde : celle d'Aylan Kurdi, un petit garçon de trois ans, retrouvé mort, échoué sur une plage de Turquie, noyé ; une lettre remise en main propre au ministre canadien de l'Immigration, Chris Alexander, lui demandant d'accueillir l'enfant et sa famille, était demeurée sans suite http://goo.gl/opShx4 Les conservateurs ont une réponse militaire à la crise humanitaire en Syrie, mais ils n'ont pas de réponse... humanitaire http://goo.gl/DUFubB L'Europe demeure très divisée, malgré l'entente du 22 septembre sur la répartition à l'intérieur de l'Europe des migrants/réfugiés venus du Proche-Orient. http://goo.gl/5FBF4o De tous les pays, c'est l'Allemagne qui se montre d'abord la plus ouverte... jusqu'en octobre où, au plus bas dans les sondages, la chancelière Merkel adopte des mesures plus restrictives. http://goo.gl/K5zO5J De même, la Macédoine érige une clôture de trois kilomètres à sa frontière grecque et commence à faire le tri parmi les migrants ; l'Europe conclut le 29 novembre une entente avec la Turquie afin que cette dernière retienne davantage les migrants/réfugiés de passage sur son territoire. http://goo.gl/kh4CIZ La route des Balkans se referme en partie. En quatre ans et demi, la guerre en Syrie a fait près de 12 millions de déplacés et réfugiés.
10 janvier. Décès du felquiste Francis Simard. http://goo.gl/ucGUi9 Les indépendantistes vieillissent...
25 janvier. Le parti Syriza, représentant la « gauche radicale », remporte les élections en Grèce http://goo.gl/iJUVX0 S'en est suivi une négociation extrêmement dur, acerbe, entre la Grèce voulant alléger le fardeau de sa dette, et la « troïka » -- la Banque centrale européenne, le FMI et la Commission européenne -- refusant toute concession. Un bras de fer finalement remporté le 12 juillet par l'Europe, qui impose ses conditions, qualifiés de « catalogue des horreurs » http://goo.gl/MRFjVD Le référendum du 5 juillet n'y aura rien changé. La Grèce est amputée de son avenir, et de son passé http://goo.gl/i5MXaj Le 20 août, le premier ministre Tsipras démissionne et dissout le parlement http://goo.gl/scmlY3 Il sera finalement réélu et deviendra un chef de gouvernement soumis comme les autres.
6 février. Quelque 20 ans après l’affaire Sue Rodriguez, la Cour suprême du Canada rend un jugement unanime et historique, légalisant l’aide médicale à mourir. La Cour prend acte de l’évolution des mentalités http://goo.gl/rqD3ih La question n'est pas réglée pour autant. Le fédéral n'a pas de loi sur l'aide à mourir, et n'entend pas laisser le Québec appliquer sa propre loi ; mais, en décembre, il se ravisera.
9 février. « SwissLeak » http://goo.gl/9aDi8C « Évasion fiscale », « évitement fiscale », « optimisation fiscale »... Toute l'année, la question incontournable de l'équité fiscale est demeurée au centre de l'attention médiatique. Sans grand résultat. Sinon une timide entente entre les pays du G20 pour endiguer ce fléau qui prive les États de 100 à 240 milliards de $ de revenus par année http://goo.gl/Tg6oWQ
23 mars. 60 000 étudiants amorcent une « grève sociale », en quête d’un autre « printemps érable » http://goo.gl/omX6Pz qui finalement n'aura pas lieu.
27 mars. Dans un jugement très divisé, où les trois juges québécois font bande à part, la Cour suprême a tranché qu'Ottawa avait tout à fait le droit de détruire les données contenues dans son registre des armes à feu. Selon Benoît Pelletier, le plus étonnant de ce jugement, c’est qu’il donne raison aux conservateurs qui veulent détruire le registre dans l’unique but d’empêcher le Québec de créer son propre registre. La Cour, qui accorde pourtant de l’importance au principe de coopération, a clairement ici dérogé à ce principe http://goo.gl/tgMdNt http://goo.gl/VtbofQ
1er avril. Premier transition démocratique au Nigéria. Le musulman Muhammadu Buhari succède au chrétien Goodluck Jonathan. http://goo.gl/5qsPoL Le nouveau président viendra-t-il à bout de Boko Haram ? Finalement, il semble que non.
3 avril. Un commando shebab, nom d’une milice islamiste de Somalie, mène une attaque à l’université de Garissa, au Kenya voisin, faisant 148 morts et plus de 100 blessés. http://goo.gl/tJv4xb
10 avril. Les présidents américain, Barack Obama et cubain, Raúl Castro se rencontrent au Panama pour un sommet continental historique qui consacre le rapprochement amorcé entre les deux ennemis de la guerre froide. http://goo.gl/r5tSvq Un pas de plus sera franchi le 20 juillet avec la réouverture des ambassades http://goo.gl/H3Lfha Il était plus que temps. Ne reste plus qu'à lever l'embargo décrété par Washington en 1961
12 avril. Freddie Gray, un jeune Noir de Baltimore, est arrêté par les policiers. Il meurt une semaine plus tard. Les policiers affirment qu’ils n’ont pas utilisé la force, ce que dément une vidéo diffusée sur le Web. http://goo.gl/pjidSz « Plusieurs enquêtes ont été lancées pour élucider les circonstances des blessures de Freddie Gray, sans conclusions. » http://goo.gl/e5od9i Manifestations pacifiques, émeutes nocturnes, confrontations avec les forces de l’ordre. C’est le scénario de Ferguson qui est rejoué. Deux mois plus tard, le 17 juin, Dylann Roof, un Blanc de 21 ans, sympathisant du Tea Party, tue neuf Noirs dans une église méthodiste de Charleston, en Caroline du Sud... Non, vraiment, il y a quelque chose qui ne va pas dans ce pays. Quelque chose comme une régression sociale. La présidence de Barak Obama fait illusion et permet à la droite américaine de parler d'une société « post-raciale » http://goo.gl/FpNd36 Ce n'est pas Sandra Bland qui pourra les contredire : elle est retrouvée pendue dans sa cellule le 16 juillet, trois jours après avoir été arrêtée pour une banale infraction routière. Le 14 juillet paraît Between the World and Me, du journaliste Ta-Nehisi Coates http://goo.gl/TIMX07
13 avril. L’Ontario annonce son intention de joindre le système de plafonnement et d’échange de droits d’émissions (SPEDE) au sein de la Western Climate Initiative, dont fait partie le Québec et la Californie. Initiative appréciable, mais, à huit mois de la cruciale conférence de Paris sur la réduction des GES, il faut voir que les mesures promises sont insuffisantes ; il faut en faire plus, et plus vite ! (Le 7 décembre, en marge de la COP21, le Manitoba annoncera son intention de joindre, lui aussi, le SPEDE)
15 avril. La Cour suprême inflige un important revers au programme de loi et d’ordre du gouvernement conservateur. Dans un jugement qui fera date, le tribunal invalide les peines minimales de prison de 3 ans (ou 5 ans en cas de récidive), liée à la simple possession d’armes à feu prohibées. Le jugement est rédigé de manière telle qu’il pourra assurément être invoqué pour contester d’autres peines minimales. http://goo.gl/1JrZo5
15 avril. La Cour suprême met un terme à la croisade du maire de Saguenay, Jean Tremblay, en interdisant la prière lors des réunions du conseil municipal. Un petit pas vers la neutralité religieuse des institutions publiques http://goo.gl/hlubie
24 avril. Une autre décision importante de la Cour suprême. « Fini les salles de classe sans fenêtre, les toilettes qui débordent, les couloirs sombres et le toit qui coule. Les francophones de la Colombie-Britannique ont franchi un pas important vers l’égalité [...] devant la Cour suprême, qui a déterminé que les droits linguistiques des élèves d’une école de Vancouver ont bel et bien été violés. Un jugement unanime qui pourrait ouvrir la voie à l’ouverture de nouvelles écoles de langue française ailleurs au pays. » http://goo.gl/qxqUpN
30 avril. En novembre 2014, l'affaire Ghomeshi avait donné lieu à une impressionnante vague de dénonciations de crimes sexuels, notamment sur Twitter. Le dépôt, ce 30 avril, du rapport de l'ex-juge Marie Deschamps sur les « inconduites sexuelles » dans les Forces armées canadienne, poursuit dans le même esprit. Conclusions accablantes, faisant état d'un « climat de sexualisation » tel que l’environnement de travail est « hostile » pour les femmes et les personnes homosexuelles ». Réaction négative de l'État-major http://goo.gl/HA9R9T http://goo.gl/3scxl0 Deux semaines plus tard est rapporté le cas de cette journaliste torontoise à qui de jeunes hommes ont lancé des obscénités http://goo.gl/dilQd3 Dans le métro de Paris, le harcèlement est fréquent http://goo.gl/1u9BkL Tout comme à Bruxelles https://goo.gl/2Req1h Au Canada, la GRC fait l'objet d'une demande d'« action collective » devant la Cour pour « sexisme » http://goo.gl/FZKwRA En Argentine, le mouvement « pas une de moins » mobilisent les femmes contre la violence dont elles sont victimes. http://goo.gl/FXjsIE C'est sans parler des inconduites sexuelles des casques bleus en Afrique et en Haïti.
5 mai. Victoire du NPD de Rachel Notley aux élections albertaines -- 53 députés élus. Une première. Il va falloir revoir nos idées reçues sur cette province, dont la métropole a pour maire un musulman. http://goo.gl/NTfXGU
6 mai. Adoption par la Chambre des communes du projet de loi antiterroriste C-51, presque unanimement condamné par d’anciens premiers ministres, d’ex-juges et des experts en surveillance http://goo.gl/xtrSqT http://goo.gl/FbdcFH
13 mai. Dépôt d'un plan d'action de l'EU pour faire face à l'arrivée de milliers d'immigrants ayant traversé la Méditerranée au péril de leur vie http://goo.gl/S5eckU http://goo.gl/TJM6xG http://goo.gl/KtQOTF http://goo.gl/MVcKDv Résultat du chaos libyen, cette immigration favorisée par des réseaux de passeurs, met à mal la fragile solidarité européenne, son identité humanitaire ; une crise des valeurs.
2 juin. Dépôt du rapport de la Commission vérité et réconciliation qui, pendant sept ans, a recueilli des témoignages sur les tristement célèbres pensionnats autochtones. http://goo.gl/WsQlZe De 1874 à 1996, environ 150 000 ont été arrachés à leurs familles, maltraités, parfois abusés sexuellement. Au moins 3201 de ces enfants en sont décédés http://goo.gl/tOK4gW La commission conclut, sans surprise, à un « génocide culturel », un terme que s'est bien gardé de reprendre le premier ministre Harper. http://goo.gl/ScVdRX Elle pointe du doigt le « manque de connaissances historiques [qui] a de sérieuses conséquences [...] renforce les attitudes racistes » http://goo.gl/rZiZwf Les Canadiens n'ont aucun sens du compromis historique, enfermés qu'ils sont dans leur conception étroite de la liberté, qui ne peut être à leurs yeux qu'individuelle, alors que les Amérindiens sont d'abord en quête d'une émancipation collective, d'un devenir en tant que peuples.
1er juin. Décès de Jacques Parizeau, premier ministre du Québec du 26 septembre 1994 au 29 janvier 1996. Les médias anglophones n'en ont apparemment pas gardé un heureux souvenir ; les médias francophones, si. On ne refait pas l'histoire. http://goo.gl/3cd1KN
6 juin. Accord frontalier historique entre l'Inde et le Pakistan http://goo.gl/W6LZGs
26 juin. Jugement historique de la Cour suprême des États-Unis, qui légalise le mariage entre personnes de même sexe. Un petit croc-en-jambe à la droite religieuse http://goo.gl/lFOJD3
14 juillet. La sonde spatiale New Horizon survole Pluton à une distance de 12 550 km, après un voyage de 10 ans et 5 milliards de kilomètres. La sonde dispose de sept instruments de mesure très performants, permettant de scanner la surface de Pluton, d'analyser la composition de son atmosphère, sa géologie, de relever la température à sa surface et de prendre des photos d'une résolution incroyable -- 100 m par pixels !
14 juillet. Accord historique sur le programme nucléaire iranien. Après 12 ans de jeu de cache-cache, de soupçons, de sanctions économiques, l'Iran va finalement pouvoir se doter d'une capacité de production d'énergie à partir de combustible nucléaire, tandis que l'Europe et les États-Unis auront un certain contrôle sur ce combustible et l'usage qu'il en est fait. La levée des sanctions économiques va redonner aux Iraniens un peu d'optimisme. Seul dans son coin, Israël, soutenu par les républicains américains, parle d'une grave erreur. http://goo.gl/XO4A8a http://goo.gl/kDYwvo Il est vrai que cet accord aura sans doute, à moyen terme, un impact géopolitique.
23 juillet. La NASA annonce la découverte, grâce au télescope à infrarouges Kepler, d'une planète semblable à la Terre, http://goo.gl/lDpe8n http://goo.gl/KahqBM Mais ne faites pas vos bagages tout de suite. L'astre, pour être dans notre voisinage, n'en est pas moins située à 1400 années-lumière de notre bonne vieille Terre.
29 juillet. Sortie de Windows 10. Avec son nouveau système d'exploitation, Microsoft collecte des données liées à tout, absolument tout ce que vous faites sur PC, tout ce que vous tapez sur le clavier, tout ce que vous dites devant votre webcam. Aucune parade n'est possible. Du coup, Microsoft surpasse tous les Google, Facebook et autres Amazon en nous poussant encore plus loin dans le paradigme de la maison de verre http://goo.gl/kQCGFJ
27 septembre. Élections référendaires en Catalogne. Les indépendantistes obtiennent la majorité des sièges au parlement régional mais, avec un peu moins de 50 % des votes, ils n'ont pas reçu des Catalans le mandat clair espéré. Québec, Écosse, Catalogne : projet similaire, résultats similaires ! http://goo.gl/kBQ1FP http://goo.gl/aNogKP
5 octobre. Conclusion d'une entente de principe en vue de la création d'une zone de libre-échange incluant 12 pays, dont le Canada. Faut-il se réjouir ou craindre ce Partenariat transpacifique ? Difficile à dire. Mais la faible productivité des entreprises canadiennes ne permet pas d'être très optimiste. http://goo.gl/AA91KY
19 octobre. Le Parti libéral du Canada, emmené par son jeune chef Justin Trudeau, remporte des élections historiques. Jamais une campagne n'avait duré 79 jours, le double de la durée habituelle. Le premier ministre sortant, le conservateur Steven Harper, croyait en tirer avantage ; mal lui en a pris : les libéraux, partis négligés, ont mené une campagne sans bavures et, à la fin, ont canalisé les votes en faveur du changement, au dépens des néo-démocrates balayés d'un bout à l'autre du pays. Jamais un parti n'était passé de la troisième position à celle de gouvernement majoritaire. Et ce, dans un parlement comptant désormais 338 députés, soit 33 de plus qu'à l'élection de 2011. Le PLC a également remporté tous les sièges dans les provinces maritimes, du jamais vu, et la majorité des sièges au Québec, ce qui ne s'était pas vu depuis 35 ans. http://goo.gl/m1dpDL
22 octobre. L'émission Enquête révèle des cas d'abus sexuels et de violence contre des femmes amérindiennes de Val-d'Or mettant en cause des policiers de la SQ http://goo.gl/7tP9C4 http://goo.gl/QcMaqa En mai, la directrice du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or avait pourtant adressé un lettre au directeur régional de la SQ, dont trois ministres ont obtenu copie, et cette lettre était suffisamment alarmante pour que la ministre de la Justice ordonne une enquête indépendante. Or, elle n'en a rien fait. Et cette histoire aurait tout simplement été balayée sous le tapis n'eut été d'Enquête. https://goo.gl/sCR21V Une enquête publique sur les 1000, 2000, 3000 femmes disparues au cours des 20 dernières années apparaît plus que jamais nécessaire.
13 novembre. Attentat à Paris. Neuf (dix ?) assaillants frappent à six endroits de Paris, dont le Stade de France et la salle de spectacles du Bataclan, faisant 130 morts et 352 blessés. Ces attentats sont revendiqués par l'État islamique qui, la veille, a aussi frappé le quartier de Bourj al-Barajné, un fief du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth, au Liban, faisant 43 mort et plus de 200 blessés. « Quant au crash d'un avion civile dans le Sinaï, deux semaines plus tôt, ayant fait 214 victimes russes, il a finalement été revendiqué par l'EI.
22 novembre. Une coalition de droite mené par Mauricio Macri remporte l'élection présidentielle argentine. http://goo.gl/GlOcrA Après douze ans au pouvoir, les péronistes ont été emportés par le désir de changement.
29 novembre. Ouverture de la conférence de Paris sur le climat, la COP 21. C'est l'événement de l'année. Tout au long de 2015, sessions de négociations, conférence scientifique, réunions informelles de ministres, les rendez-vous préparatoires ont été nombreux. Au final, les milliers de délégués venus de 195 pays ont conclu un accord qui, pour être « universel » et historique, n'en est pas moins tragiquement insuffisant. L'objectif de maintenir le réchauffement « nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » est, certes, ambitieux, mais non contraignant. Et un pays pourra, trois ans après l'entrée en vigueur de l'accord, s'en retirer par simple notification http://goo.gl/48a2Ft http://goo.gl/NVRIIl http://goo.gl/aEvKo7 Quand aux 100 milliards de $ par an, pendant cinq ans à partir de 2020, les pays pauvres n'en pas la couleur ; l'adaptation au réchauffement climatique demeure un privilège des pays riches.
1er décembre. Roch Marc Christian Kaboré est élu président du Burkina Faso dès le premier tour, devenant ainsi le premier chef d’État démocratiquement élu depuis 1978.
6 décembre. La Table de l’unité démocratique, vaste coalition d’opposition de droite, remporte 99 des 167 sièges du parlement vénézuélien. Deux ans et demie après le décès de Hugo Chavez, son successeur, Nicola Maduro, n'a pas su freiner le déclin du « socialisme du XXIe siècle ». http://goo.gl/3HQX5z Après la défaite du dauphin de Cristina Kirchner à l'élection présidentielle argentine, et les difficultés de la présidente brésilienne Dilma Roussef, il semble que nous assistions à une phase de transition politique dans les trois plus grands pays d'Amérique du Sud, au profit de la droite
8 décembre. Elle était demandée depuis des années, la voici enfin. Le gouvernement Trudeau annonce officiellement -- avec des gestes symboliques qui montrent une fois de plus son désir de rompre avec l'ère Harper -- la création de la commission d'enquête sur les femmes amérindiennes disparues ou assassinées. Mais, pour l'heure, peu de détails ont été donnés. http://goo.gl/0YOzmy
samedi, décembre 19, 2015
Ça va mieux à présent
Mon premier roman western : Les Frères Sisters, 1 de Patrick deWitt. Un pur bonheur de lecture. Ce qui s'appelle l'art de raconter. Comme si composer des personnages, leur insuffler une identité bien définie, puis les mettre en action en respectant les repères du genre, tout en les déplaçant, afin de créer un récit étonnant et intelligent, parfois drôle, parfois émouvant, comme si une telle réussite allait de soi.
Les Frères Sisters est un roman sur le lien fraternel, sur la famille. La carrière de tueur de Charlie commence lorsqu’il est tout jeune, à la maison, par le meurtre de son père, homme violent qui venait de briser le bras de sa femme ; elle se termine lorsque les deux frères, des années et bien des aventures plus tard, rentrent au bercail, sans leurs revolvers. L’un et l’autre ont des caractères opposés, de fréquents désaccords ; Eli peut bien se plaindre que c’est lui qui a le moins bon cheval, que c’est encore lui qui doit toujours suivre derrière et obéir, il n’en aime pas moins son frère d’un amour indéfectible, tout en se plaignant, à tort sans doute, de ne pas être aimé autant en retour. À la fin, quand Charlie perdra sa main avec laquelle il tient le révolver, Eli va constater un changement chez son frère, et lui-même cessera de se sentir « impuissant » et trouvera son idéal de vie qui n’est ni de mener, ni d’être mené : « Je veux rester maître de moi-même ».
Donc, un roman aussi sur la quête de liberté. Un thème important, dans un récit qui raconte la ruée vers l’or au milieu du XIXe siècle, l’aventure vers l’Ouest, la « folie des possibles ». Les Sisters, eux, vont renoncer à cette folie « qui peut vous corrompre jusqu’à l’os ». Tel est le sens du meurtre du Commodore à la fin du récit, commis à mains nus par Eli, sans arme, meurtre qui n’est pas le fait du tueur, mais répond à un « élan de haine envers [leur ex-chef] pour l’influence que sa personne exerçait sur nos vies ». Mais une telle quête de liberté est aussi nécessairement intérieure, passant par de nombreuses questions, à commencer par la plus fondamentale de toutes : « Pourquoi est-ce que je me délecte tant de cette régression à l’état animal ? » Cette question surgit évidemment vers la fin de l’aventure, elle témoigne du dernier stade d’une prise de distance du narrateur -- Eli -- par rapport à son « propre parcours [...] vide de sens »
Charlie et Eli Sisters sont deux tueurs à gages. Donc, oui, des meurtres, de la violence : « Honte, sang, et déchéance. » Mais Eli, le cadet, est un tueur atypique. Sensible, très empathique -- même avec Tub, son pitoyable cheval ! -- plutôt sentimental, à la recherche de l’amour, et attentif à la signification des choses, il n’a été entraîné dans ce travail que par les circonstances, d’abord pour défendre son frère aîné dont l’agressivité en faisait la cible de désirs de vengeance. Puis les deux frères se sont mis au service du Commodore, un être puissant et malfaisant.
Les Frères Sisters est un roman sur le lien fraternel, sur la famille. La carrière de tueur de Charlie commence lorsqu’il est tout jeune, à la maison, par le meurtre de son père, homme violent qui venait de briser le bras de sa femme ; elle se termine lorsque les deux frères, des années et bien des aventures plus tard, rentrent au bercail, sans leurs revolvers. L’un et l’autre ont des caractères opposés, de fréquents désaccords ; Eli peut bien se plaindre que c’est lui qui a le moins bon cheval, que c’est encore lui qui doit toujours suivre derrière et obéir, il n’en aime pas moins son frère d’un amour indéfectible, tout en se plaignant, à tort sans doute, de ne pas être aimé autant en retour. À la fin, quand Charlie perdra sa main avec laquelle il tient le révolver, Eli va constater un changement chez son frère, et lui-même cessera de se sentir « impuissant » et trouvera son idéal de vie qui n’est ni de mener, ni d’être mené : « Je veux rester maître de moi-même ».
Donc, un roman aussi sur la quête de liberté. Un thème important, dans un récit qui raconte la ruée vers l’or au milieu du XIXe siècle, l’aventure vers l’Ouest, la « folie des possibles ». Les Sisters, eux, vont renoncer à cette folie « qui peut vous corrompre jusqu’à l’os ». Tel est le sens du meurtre du Commodore à la fin du récit, commis à mains nus par Eli, sans arme, meurtre qui n’est pas le fait du tueur, mais répond à un « élan de haine envers [leur ex-chef] pour l’influence que sa personne exerçait sur nos vies ». Mais une telle quête de liberté est aussi nécessairement intérieure, passant par de nombreuses questions, à commencer par la plus fondamentale de toutes : « Pourquoi est-ce que je me délecte tant de cette régression à l’état animal ? » Cette question surgit évidemment vers la fin de l’aventure, elle témoigne du dernier stade d’une prise de distance du narrateur -- Eli -- par rapport à son « propre parcours [...] vide de sens »
Difficile de ne pas être touché par la relation entre les deux frères, et de ne pas se reconnaître dans ce tueur atypique qu’est Eli, de ne pas s'émouvoir de son empathie, comme dans la scène où il accompagne Hermann Warm dans ses derniers moments. Warm n’a plus ses esprits, il croit que c’est son ami Morris qui est là, près de lui. Eli lui explique que Morris est mort, mais Warm continue à s’adresser à Eli comme s’il s’agissait de Morris, alors Eli joue le jeu, d'autant que la dernière réplique pourrait s'appliquer aussi bien à lui-même qu'à Morris :
1. deWitt, Patrick. Les Frères Sisters, [Fichier ePub], Éditions Alto, Québec, 2012, 295 p.
[Warm :] « J’ai l’impression que nous nous connaissons depuis longtemps.__________
-- Moi aussi.
-- Et je regrette vraiment que tu aies dû mourir avant.
-- Ça va mieux à présent. »
1. deWitt, Patrick. Les Frères Sisters, [Fichier ePub], Éditions Alto, Québec, 2012, 295 p.
lundi, octobre 05, 2015
Les aventures de François Blais
Parmi les blogueurs du dimanche de mon genre, aucun n'a relevé ce qui constitue pourtant le sujet principal de Cataonie, 1 le dernier titre de François Blais. Chez les critiques de profession, Josée Lapointe, de La Presse, n'y consacre pas un seul mot, 2 et Christian Desmeules, du Devoir, se contente d'en noter le caractère « bédéesque ». 3 Étonnant, compte tenu du fait que l'oeuvre tire sa raison d'être et son dynamisme dans le jeu intertextuel, la parodie, dans un plaisir presque provoquant à tourner en dérision la littérature, ce qui est encore une manière de la célébrer.
Cataonie se compose de six courtes nouvelles ayant pour cadre le « Grand Shawinigan », (p. 27) dans lesquels l'auteur se met lui-même en scène sous les traits d'un narrateur aux manières affectées de dandy, méprisant, vain, monstrueusement immoral et, comme c'était le cas dans Sam, monomaniaque. Nul psychologie, ici, nul vraisemblance. L'accent est mis sur l'effet parodique. Tous les personnages, jusqu'aux « manant[s] », (p. 55) s'expriment dans le langage suranné du roman québécois du XIXe siècle, Angéline de Montbrun, avec force subjonctifs de l'imparfait. Le procédé est usé, sans doute, mais encore efficace :
Dès la première nouvelle, « Combien ? », le ton est donné. Le narrateur y vient de terminer d'écrire son roman, qu'il juge son meilleur, après trois ans d'effort. Or, ce roman a pour incipit : « La duchesse sortit à cinq heures », (p. 14) phrase tirée du Manifeste du surréalisme :
Blais, de façon encore plus marquée que dans Sam, multiplie dans ces six nouvelles les gestes irrévérencieux envers la grande littérature. « La chute » n'est plus la célèbre pièce de théâtre du non moins célèbre écrivain Albert Camus, mais désigne la dernière partie d'une blague écrite par un certain André Camus et parue dans le magazine pour enfant Placid et Muso. Blais se fait évidemment un plaisir de nous raconter la blague in extenso, pour le simple plaisir de heurter le bon goût littéraire. La nouvelle « Raskolnikov » emprunte au roman Crime et châtiment la scène du meurtre à coups de hache d'une vieille dame, mais là où Dostoïevski aborde des questions liées à la responsabilité et la morale, Cataonie se limite à un passage absurde et parfaitement ubuesque :
Blais prend un plaisir évident à se jouer des conventions littéraires, qui exigent au moins une justesse psychologique, une intelligence manifeste du propos, un « style »... Il est d'ailleurs assez drôle de voir certains blogueurs chercher ce propos dans une critique sociale, qui serait à trouver sous l'humour. Comme si le jeu intertextuel, la parodie, l'absurde ainsi que des passages bédéesques 5 ne suffisaient pas à eux seuls à assurer la valeur littéraire. Même quand il paraît mauvais, l'auteur de Cataonie demeure dans son propos, dans sa cohérence, qui consiste en une manière de résister à l'attente du lecteur. Ainsi le recueil est-il truffés d'éléments fort prosaïques, comme la blague du Placid et Muso, à laquelle réfère d'ailleurs la page couverture ; comme le fichier « tourmentsdeserge.doc » (p. 11), et des phrases du genre :
1. François Blais, Cataonie, éd. L'instant même, Québec, 2015, 91 p.
2. Josée Lapointe. « Cataonie ». La Presse, 28 février 2015. Page consultée le 20 septembre 2015
3. Christian Desmeules. « Folies de M. Blais et autres tourments de Serge ». Le Devoir, 14 février 2015. Page consultée le 20 septembre 2015.
4. André Breton. Manifeste du surréalisme. Wikilivres. Page consultée le 23 septembre 2015
5. Il y a du Achile Talon dans ce narrateur, comme le montre cette tirade : « D’ailleurs cela n’a aucune importance, pas plus que ces histoires de régime, puisque je compte, moi, faire table rase du passé ! Je suis un Homme Providentiel, comme on n’en trouve qu’un ou deux par siècle, et encore… Je ficherai tout par terre et je reconstruirai la société sur de nouvelles bases. Vous verrez, Firmin. » (p. 61) Quant à ce Firmin, par ses répliques outrecuidantes, il fait un excellent Hilarion Lefuneste.
6. Louis Gauthier, Les Grandes légumes célestes vous parlent. Précédé de Le Monstre-mari, Cercle du livre de France, 1973, p. 74
Cataonie se compose de six courtes nouvelles ayant pour cadre le « Grand Shawinigan », (p. 27) dans lesquels l'auteur se met lui-même en scène sous les traits d'un narrateur aux manières affectées de dandy, méprisant, vain, monstrueusement immoral et, comme c'était le cas dans Sam, monomaniaque. Nul psychologie, ici, nul vraisemblance. L'accent est mis sur l'effet parodique. Tous les personnages, jusqu'aux « manant[s] », (p. 55) s'expriment dans le langage suranné du roman québécois du XIXe siècle, Angéline de Montbrun, avec force subjonctifs de l'imparfait. Le procédé est usé, sans doute, mais encore efficace :
« Naturellement, j’ai songé à cette nuit où, pris de boisson, vous fîtes mine, au moment de m’honorer, de vous tromper d’orifice. Je vous flanquai alors à la porte mais, les circonstances étant ce qu’elles sont, je crois qu’il ne serait point inconvenant que vous m’enculassiez. » (p. 23)Cette logique est poussée jusqu'à la limite lorsque, dans la dernière nouvelle du recueil, intitulée « L'intrus », le narrateur devient lui-même un personnage du roman de Laure Conan, dont le titre n'est plus Angéline de Montbrun, mais François Blais ! Il est assez évident que le rapport de cet auteur à la littérature est, au moins en partie, résumé dans cette intrusion subversive, et plus largement dans ce recueil où les conventions sont détournées dans un esprit irrévérencieux qui rappelle Les Aventures de Sivis Pacem et Para Bellum, de Louis Gauthier.
Dès la première nouvelle, « Combien ? », le ton est donné. Le narrateur y vient de terminer d'écrire son roman, qu'il juge son meilleur, après trois ans d'effort. Or, ce roman a pour incipit : « La duchesse sortit à cinq heures », (p. 14) phrase tirée du Manifeste du surréalisme :
« Paul Valéry qui, naguère, à propos des romans, m’assurait qu’en ce qui le concerne, il se refuserait toujours à écrire : La marquise sortit à cinq heures. » 4Ce qui est depuis presqu'un siècle l'exemple même de la médiocrité littéraire prend ici valeur de la prose la plus achevée. Mais faut-il s'en étonner de la part d'un personnage dont l'unique obsession a trait au nombre de mots que contient son roman ? Voulant dépasser le nombre de cent milles mots, il remplace les 346 occurrences de « Bankok », ville où se passe l'histoire, par « Salt Lake City » : « Évidemment, transporter l’action de Bangkok à Salt Lake City demanderait quelques retouches mineures mais, encore une fois, je verrais plus tard ». (p. 8) De même, des phrases sont réécrites, sans plus d'égards pour la cohérence du récit, le style, le sens et la valeur générale de l'oeuvre.
Blais, de façon encore plus marquée que dans Sam, multiplie dans ces six nouvelles les gestes irrévérencieux envers la grande littérature. « La chute » n'est plus la célèbre pièce de théâtre du non moins célèbre écrivain Albert Camus, mais désigne la dernière partie d'une blague écrite par un certain André Camus et parue dans le magazine pour enfant Placid et Muso. Blais se fait évidemment un plaisir de nous raconter la blague in extenso, pour le simple plaisir de heurter le bon goût littéraire. La nouvelle « Raskolnikov » emprunte au roman Crime et châtiment la scène du meurtre à coups de hache d'une vieille dame, mais là où Dostoïevski aborde des questions liées à la responsabilité et la morale, Cataonie se limite à un passage absurde et parfaitement ubuesque :
« – Voilà : mon but est de vous occire et, dans quelques jours, assister à vos funérailles, y rencontrer le vicomte de G*** et m’en faire une relation utile.L'institution littéraire est également ciblée à travers le personnage du professeur universitaire, spécialiste de Laure Conan, mais qui n'a jamais lu Angéline de Montbrun !
» – Vous déraisonnez, monsieur. L’on n’assassine point les gens pour cela.
» – « On » m’exclut, ma tante. En tant qu’homme supérieur, je puis sans état d’âme me servir de votre cercueil comme marchepied pour atteindre les plus hautes sphères de la société. Pour les êtres tels que moi, les êtres tels que vous ne sont que des pions que l’on sacrifie à…
» – Je vous arrête, mon neveu. Assassinez-moi tant que vous voulez, mais je vous interdis de faire de la philosophie dans mon salon.
» – Fort bien. Vos dernières volontés sont sacrées. » (p. 50)
Blais prend un plaisir évident à se jouer des conventions littéraires, qui exigent au moins une justesse psychologique, une intelligence manifeste du propos, un « style »... Il est d'ailleurs assez drôle de voir certains blogueurs chercher ce propos dans une critique sociale, qui serait à trouver sous l'humour. Comme si le jeu intertextuel, la parodie, l'absurde ainsi que des passages bédéesques 5 ne suffisaient pas à eux seuls à assurer la valeur littéraire. Même quand il paraît mauvais, l'auteur de Cataonie demeure dans son propos, dans sa cohérence, qui consiste en une manière de résister à l'attente du lecteur. Ainsi le recueil est-il truffés d'éléments fort prosaïques, comme la blague du Placid et Muso, à laquelle réfère d'ailleurs la page couverture ; comme le fichier « tourmentsdeserge.doc » (p. 11), et des phrases du genre :
« Je repris donc mon manuscrit à la première ligne et commençai à compter. « La (1) duchesse (2) sortit (3) à (4) cinq (5) heures (6) », etc. » (p. 15)Il y a une parenté évidente entre Louis Gauthier et François Blais, même si Les Aventures de Sivis Pacem et Para Bellum vont bien plus loin dans la subversion. On ne trouvera pas dans Cataonie des noms de personnages tels « Bicyclette Premier », « Misss Brodie XXX », « Sun Life » ; ni de phrases comme : « Au même moment, mais un peu plus tard » : la cohérence narrative y est respectée, tout comme la logique la plus élémentaire de l'énoncé. Chez Blais le jeu intertextuel et irrévérencieux n'est encore qu'une manière de célébrer la littérature, en la décoiffant un peu, sans plus. Mais cet auteur n'en semble pas moins partager la joie provocante du narrateur des Grandes légumes célestes vous parlent :
« Ah ! [ce roman]-là ne s'en était pas sorti, je peux le dire, je l'avais complètement massacré. Je l'avais rendu méconnaissable. Les gens se trompaient, se méprenaient sur son compte, le rangeaient dans leur bibliothèque sous la rubrique papier de toilette. Un livre dont je suis fier. » 6
1. François Blais, Cataonie, éd. L'instant même, Québec, 2015, 91 p.
2. Josée Lapointe. « Cataonie ». La Presse, 28 février 2015. Page consultée le 20 septembre 2015
3. Christian Desmeules. « Folies de M. Blais et autres tourments de Serge ». Le Devoir, 14 février 2015. Page consultée le 20 septembre 2015.
4. André Breton. Manifeste du surréalisme. Wikilivres. Page consultée le 23 septembre 2015
5. Il y a du Achile Talon dans ce narrateur, comme le montre cette tirade : « D’ailleurs cela n’a aucune importance, pas plus que ces histoires de régime, puisque je compte, moi, faire table rase du passé ! Je suis un Homme Providentiel, comme on n’en trouve qu’un ou deux par siècle, et encore… Je ficherai tout par terre et je reconstruirai la société sur de nouvelles bases. Vous verrez, Firmin. » (p. 61) Quant à ce Firmin, par ses répliques outrecuidantes, il fait un excellent Hilarion Lefuneste.
6. Louis Gauthier, Les Grandes légumes célestes vous parlent. Précédé de Le Monstre-mari, Cercle du livre de France, 1973, p. 74
samedi, septembre 12, 2015
L'homme seul
Roman historique ? Philosophique ? Épistolaire ? Difficile de classer ces Mémoires d'Hadrien. Parue en 1951, l'oeuvre phare de Marguerite Yourcenar n'est pas étrangère au courant existentialiste qui a marqué la littérature d'après-guerre en France. La question du sens de l'existence y est posée ; un certain humanisme s'y exprime. C'est cette dimension qui m'a le plus touché, et c'est elle qui m'a amener à écrire ce texte.
Parmi les notes rassemblées à la fin du livre, il en est une qui résume bien ce qui a dirigé ma lecture ; Yourcenar y cite Flaubert : « Les dieux n’étant plus, et le Christ n’étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique où l’homme seul a été. » (p. 321)
Le Hadrien de Yourcenar aurait pu faire sien cet aphorisme du philosophe Jean-Paul Sartre, selon lequel « l'existence précède l'essence ». L'empereur ne dédaigne pas la discussion, l'échange d'idées avec ses contemporains lettrés, avec les érudits de toutes origines. Mais ces jeux intellectuels ne peuvent jamais se substituer aux sensations premières du corps, à l'expérience concrète du monde. Sa prédilection le porte d'emblée « à préférer les choses aux mots, à [s]e méfier des formules » (p. 47) qui ne peuvent rendre compte d'un « monde plein, continu, formé d’objets et de corps » (p. 52). Si Hadrien privilégie le témoignage des sens, l'expérience, rejetant tout esprit de « système » (p. 19), c'est qu'il trouve là la condition de sa liberté, élément central de son éthique : « Pour moi, j’ai cherché la liberté plus que la puissance, et la puissance seulement parce qu’en partie elle favorisait la liberté » (p. 53)
L'homme libre se définit par ses actes. Mais si, à regarder ses jeunes années, du temps de la première expéditions contre les Daces aux côtés de Trajan, il peut affirmer : « À la longue, mes actes me formaient », (p. 66) l'honnêteté lui impose tout aussi bien le constat contraire :
« Mais il y a entre moi et ces actes dont je suis fait un hiatus indéfinissable. » (p. 34)
« Les trois quarts de ma vie échappent d’ailleurs à cette définition par les actes » (p. 34)
L'homme libre, même devenu empereur et « Dieu », (p. 159) demeure opaque à lui-même. Devant la perspective de ses mémoires, il affirme tout d'abord : « Je compte sur cet examen des faits pour me définir, me juger peut-être, ou tout au moins pour me mieux connaître avant de mourir ». (p. 30) Mais son projet rencontre aussitôt une difficulté incontournable : « Je m’efforce de reparcourir ma vie pour y trouver un plan, y suivre une veine de plomb ou d’or, ou l’écoulement d’une rivière souterraine, mais ce plan tout factice n’est qu’un trompe-l’œil du souvenir » (p. 33)
Ce qu'il manque à Hadrien, c'est une transcendance. S'il pouvait rattacher son existence à un être éternel, la « veine d'or » tant recherchée lui semblerait moins insaisissable. Son immortalité, préoccupation récurrente dans ses mémoires, ne serait pas cette réalité « intermittente » (p. 314) à laquelle il semble se résigner à la fin. Et sa sagesse, inspirée de la philosophie grecque, ouverte au pluralisme et arrachée, pour ainsi dire à la force du bras, au monde d'ici-bas, cette sagesse personnelle si touchante, si humaine, ne sortirait pas si meurtrie de deux échecs importants : le suicide de l'être aimé, Antinoüs, qui en révèle les limites ; et la révolte juive de Bar Kochba, réprimée dans le sang par Rome.
Pourtant, les dieux ne manquent pas au siècle d'Hadrien. L'empereur en est même « avide », (p. 307) comme tous ses contemporains. Mais voilà : ces dieux se font vieux dans un monde en évolution. Hadrien a bien cherché à les défendre devant la montée des monothéismes, mais au pris d'un pluralisme qui le laisse, au seuil de la mort, plus vulnérable que jamais. Au fond de lui, il pressent la fin de ce monde, comme un écho encore lointain de sa propre fin imminente. Le choc est inévitable entre ces « deux pensées d’espèces opposées [qui] ne se rencontrent que pour se combattre ». (p. 260) Tout en réprouvant l'étroitesse d'esprit des juifs et des chrétiens, il ne peut s'empêcher, à la fin, d'envier la force de leur conviction : « On les envierait, si l’on pouvait envier des aveugles. » (p. 267)
Il se dégage de ce personnage d'Hadrien le sentiment d'un homme profondément seul -- l'homme seul dont parle Flaubert -- parmi tous ces dieux, au rang desquels il a lui-même été élevé, mais sans Dieu. Un Dieu auquel pourtant la dernière phrase de ses mémoires, comme une prière inconsciente, semble ouverte :
Pourtant, les dieux ne manquent pas au siècle d'Hadrien. L'empereur en est même « avide », (p. 307) comme tous ses contemporains. Mais voilà : ces dieux se font vieux dans un monde en évolution. Hadrien a bien cherché à les défendre devant la montée des monothéismes, mais au pris d'un pluralisme qui le laisse, au seuil de la mort, plus vulnérable que jamais. Au fond de lui, il pressent la fin de ce monde, comme un écho encore lointain de sa propre fin imminente. Le choc est inévitable entre ces « deux pensées d’espèces opposées [qui] ne se rencontrent que pour se combattre ». (p. 260) Tout en réprouvant l'étroitesse d'esprit des juifs et des chrétiens, il ne peut s'empêcher, à la fin, d'envier la force de leur conviction : « On les envierait, si l’on pouvait envier des aveugles. » (p. 267)
Il se dégage de ce personnage d'Hadrien le sentiment d'un homme profondément seul -- l'homme seul dont parle Flaubert -- parmi tous ces dieux, au rang desquels il a lui-même été élevé, mais sans Dieu. Un Dieu auquel pourtant la dernière phrase de ses mémoires, comme une prière inconsciente, semble ouverte :
« Petite âme, âme tendre et flottante, compagne de mon corps, qui fut ton hôte, tu vas descendre dans ces lieux pâles, durs et nus, où tu devras renoncer aux jeux d’autrefois. Un instant encore, regardons ensemble les rives familières, les objets que sans doute nous ne reverrons plus… Tâchons d’entrer dans la mort les yeux ouverts… » (p. 316)__________
1. Marguerite Yourcenar, Mémoires d'Hadrien, Gallimard (coll. « Folio »), Paris, 1971, 352 p.
mardi, juin 23, 2015
Faire quelque chose de ce qu'on a fait de soi
Alors qu'il a beaucoup été question ces derniers temps des pensionnats autochtones, il m'a pris envie de lire Champion et Ooneemeetoo, 1 de Tomson Highway, un très bon roman, peut-être même un grand roman.
Champion et son jeune frère, Ooneemeetoo, deux Cris de la réserve d'Eemanapiteepitat, à 800 milles au nord de Winnipeg, au Manitoba, vont connaître le destin tragique des 150 000 enfants amérindiens victimes du système des pensionnats. La violence sexuelle, la honte de soi, la perte des repères, et leurs conséquences répercutées à l'échelle d'une vie... Highway, s'inspirant de sa propre vie, ne nous épargne rien de ce sombre épisode de l'histoire canadienne. Le contact avec les Blancs produit des effets délétères, comme en témoignent aussi le sort des prostituées cries à Winnipeg, et l'évolution de « l'Eemanapiteepitat nouveau et dynamique » (p. 98) où, suite à l'arrivée d'une compagnie minière, les maisons en rondins de pins seront remplacées par des constructions en contreplaqué, et où l'alcool fera des ravages.
Mais Highway ne s'appesantit jamais sur cette dimension politique. Ici, nul pathos, nul réquisitoire. Son récit emporte toute souffrance dans un monde imprégné de ce réalisme magique associé à Garcia Marquez, mais aussi présent plus au nord, chez un d'Éric Dupont et sa Fiancée américaine. Il s'agirait, en fait, d'un trait culturel propre aux Amérindiens, portés à amplifier toute histoire, dont Highway s'inspire afin d'amener son récit plus loin, jusqu'aux « mythes ». (p. 41) Récit où le concret participe de la même réalité que le rêve, l'imaginaire, les légendes léguées par la tradition crie, la mythologie catholique... Le monde sensible s'en trouve agrandi, et se présente comme un espace infini, signifiant et imprégnée d'une profonde spiritualité.
L'exemple de la « Reine blanche » montre bien cette prégnance du fait spirituel. Sa présence traverse tout le récit. Au départ, il ne s'agit que de la Reine du carnaval de l'année 1951, mais au moment où elle embrasse Abraham Okimasis en lui remettant la coupe de champion du monde des courses en traîneau à chiens, celui-ci, qui vient de l'apercevoir, est déjà en situation de « mythification » :
Et c'est peut-être ce sens du magique qui permettra aux deux fils Okimasis de traverser l'épreuve du pensionnat du lac Birch. Leur identité crie ne sera jamais totalement perdue, elle se réaffirmera à travers l'art des Blancs, dont Highway célèbre aussi la valeur, comme étant ce qu'il y a de plus près de la spiritualité amérindienne, par opposition au catholicisme des années 1950, basé sur le châtiment et la peur. Car, si les frères oblats inoculent la honte de soi, le poison de l'aliénation, sans même le savoir ils donnent aussi accès à ce qui s'avérera le seul contrepoison possible : l'art. Champion, Jeremiah de son nom catholique, après le pensionnat poursuivra sa formation et deviendra un excellent pianiste ; et Ooneemeetoo, devenu Gabriel, connaîtra une carrière de danseur. À la fin, réconciliés, les deux frères uniront leurs talents pour créer un spectacle qui sera à la fois une catharsis et une réconciliation avec la culture crie ; une libération.
Tomson ne s'en tient pas, heureusement, au seul procédé du réalisme magique. Son écriture, très libre, exploite tous les registres : des envolées les plus poétiques, en symbiose avec la nature, jusqu'au langage le plus cru, habituel chez les Cris et qui n'est pas sans rappeler l'oeuvre de Michel Tremblay :
Ces différents registres donnent du rythme au récit, composé de quarante-neuf courts chapitres, chacun d'eux regroupant différentes scènes, en différents lieux.
Un récit exigeant pour le lecteur, déstabilisant par moments, porté par un souffle de résilience individuelle et de résistance collective, avec une finale éblouissante, toute en ouverture, en espoir.
Un mot, pour terminer, sur l'excellente traduction de Robert Dickson. Un franco-ontarien, tout comme Daniel Poliquin, le traducteur de Thomas King.
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Champion et son jeune frère, Ooneemeetoo, deux Cris de la réserve d'Eemanapiteepitat, à 800 milles au nord de Winnipeg, au Manitoba, vont connaître le destin tragique des 150 000 enfants amérindiens victimes du système des pensionnats. La violence sexuelle, la honte de soi, la perte des repères, et leurs conséquences répercutées à l'échelle d'une vie... Highway, s'inspirant de sa propre vie, ne nous épargne rien de ce sombre épisode de l'histoire canadienne. Le contact avec les Blancs produit des effets délétères, comme en témoignent aussi le sort des prostituées cries à Winnipeg, et l'évolution de « l'Eemanapiteepitat nouveau et dynamique » (p. 98) où, suite à l'arrivée d'une compagnie minière, les maisons en rondins de pins seront remplacées par des constructions en contreplaqué, et où l'alcool fera des ravages.
Mais Highway ne s'appesantit jamais sur cette dimension politique. Ici, nul pathos, nul réquisitoire. Son récit emporte toute souffrance dans un monde imprégné de ce réalisme magique associé à Garcia Marquez, mais aussi présent plus au nord, chez un d'Éric Dupont et sa Fiancée américaine. Il s'agirait, en fait, d'un trait culturel propre aux Amérindiens, portés à amplifier toute histoire, dont Highway s'inspire afin d'amener son récit plus loin, jusqu'aux « mythes ». (p. 41) Récit où le concret participe de la même réalité que le rêve, l'imaginaire, les légendes léguées par la tradition crie, la mythologie catholique... Le monde sensible s'en trouve agrandi, et se présente comme un espace infini, signifiant et imprégnée d'une profonde spiritualité.
L'exemple de la « Reine blanche » montre bien cette prégnance du fait spirituel. Sa présence traverse tout le récit. Au départ, il ne s'agit que de la Reine du carnaval de l'année 1951, mais au moment où elle embrasse Abraham Okimasis en lui remettant la coupe de champion du monde des courses en traîneau à chiens, celui-ci, qui vient de l'apercevoir, est déjà en situation de « mythification » :
« Le chasseur de caribou crut distinguer une couronne, façonnée de la même fourrure blanche, qui flottait au-dessus de la cape. Et la couronne clignotait et éclatait comme une constellation. » (p. 20)
« Lorsque Abraham reprit ses esprits — c’est du moins ce qu’il raconta des années plus tard à ses deux plus jeunes fils —, il vit la déesse monter jusqu’au ciel où elle se mit à flotter dans le crépuscule rose et mauve qui se transforma en l’immense noirceur de la nuit. Elle s’intégra au ciel nordique. Elle devint une pulsation nébuleuse, les sept étoiles de la Grande Ourse ornementant sa couronne. » (p. 21)À la fin du récit, le fils d'Abraham, Oonoomeetoo, prend en quelque sorte le relais, en affirmant que « le Trickster représente Dieu sous les traits d’une femme, d’une déesse en fourrure. Comme sur la photo [de son père embrassé par la Reine du carnaval]. » (p. 254)
Et c'est peut-être ce sens du magique qui permettra aux deux fils Okimasis de traverser l'épreuve du pensionnat du lac Birch. Leur identité crie ne sera jamais totalement perdue, elle se réaffirmera à travers l'art des Blancs, dont Highway célèbre aussi la valeur, comme étant ce qu'il y a de plus près de la spiritualité amérindienne, par opposition au catholicisme des années 1950, basé sur le châtiment et la peur. Car, si les frères oblats inoculent la honte de soi, le poison de l'aliénation, sans même le savoir ils donnent aussi accès à ce qui s'avérera le seul contrepoison possible : l'art. Champion, Jeremiah de son nom catholique, après le pensionnat poursuivra sa formation et deviendra un excellent pianiste ; et Ooneemeetoo, devenu Gabriel, connaîtra une carrière de danseur. À la fin, réconciliés, les deux frères uniront leurs talents pour créer un spectacle qui sera à la fois une catharsis et une réconciliation avec la culture crie ; une libération.
Tomson ne s'en tient pas, heureusement, au seul procédé du réalisme magique. Son écriture, très libre, exploite tous les registres : des envolées les plus poétiques, en symbiose avec la nature, jusqu'au langage le plus cru, habituel chez les Cris et qui n'est pas sans rappeler l'oeuvre de Michel Tremblay :
« Maudite marde en bouteille, jura-t-elle, si j’ai ce tabarnak de trois une autre fois, je vous jette tous dehors, ma gang de cochons » (p. 246)Et que dire des noms des personnages : Jane Kaka McCrae, « la femme la plus débraillée d’Eemanapiteepitat » (p. 24) et son fils Grosse Bite ; Marguerite à l’œil noir Magipom et son affreux mari, Poupée joviale ; Petit Goéland Ovaire...
Ces différents registres donnent du rythme au récit, composé de quarante-neuf courts chapitres, chacun d'eux regroupant différentes scènes, en différents lieux.
Un récit exigeant pour le lecteur, déstabilisant par moments, porté par un souffle de résilience individuelle et de résistance collective, avec une finale éblouissante, toute en ouverture, en espoir.
Un mot, pour terminer, sur l'excellente traduction de Robert Dickson. Un franco-ontarien, tout comme Daniel Poliquin, le traducteur de Thomas King.
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1. Tomson Highway, Champion et Ooneemeetoo, éd. Prise de parole, Sudbury, 2004, 265 p.
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