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dimanche, janvier 12, 2025

Le Grand marin, de Catherine Poulain

Une histoire de marins. Je ne m’étais pas donner ce plaisir depuis longtemps. Mais, ici, nous sommes très loin de Maître à bord. Chez Catherine Poulain, nul exploit à la Jack Aubrey ; la narratrice du Grand marin est une antihéroïne. Chez elle, plutôt de la détermination, l’irrépressible désir de vivre librement, à l’égal des hommes, ces marins qui lui font peur, et dont elle veut gagner le respect. Poulain nous décrit très bien ce petit monde fermé, généreux, mais dur et, à la fin, oppressif, des pêcheurs de l’île Kodiak, en Alaska. Des hommes du pays, d’autres venus des « lower forty-eight », et d’Europe ; des Indiens aussi. La plupart paumés, sans le sou, en proie au vide de l’existence, fuyant leur réalité dans l’alcool ainsi qu’à bord des bateaux de pêche, seuls échappatoires possibles. 
 
À son arrivée, la narratrice se contente de crème glacée et de pop corns, mais, avalée par ce monde glauque -- et ce paysage magnifié -- auquel elle veut appartenir, il ne lui faut pas beaucoup de temps pour se retrouver, elle aussi, dans les nombreux bars de cette petite localité. En fait, elle ne tient pas en place. Une itinérante, pour ainsi dire, qui n’a rien à elle, ne dort jamais deux nuits au même endroit, passant d’un bateau à l’autre, parfois la cabine d’une vieille camionnette abandonnée... Le mouvement est sa plus fondamentale revendication, mouvement qui est aussi celui de la mer, des oiseaux… et des hommes qui, eux, se permettent toutes les libertés. Ses motivations ne nous sont pas connues. La voilà, dès l’incipit, qui quitte « Manosque-les-Plateaux, Manosque-les-Couteaux », et ses bar remplis, comme sur un coup de tête : « Je ne veux plus mourir d’ennui, de bière, d’une balle perdue ». Mais, par la suite, des motifs plus sordides sont suggérés. Elle finira elle-même par se désigner comme une « runaway ».
 
Il faut souligner l’écriture de Catherine Poulain, tout en mouvement elle aussi, souple, poétique par moments, mais qui ne force jamais le lyrisme ; les métaphores, belles, sensuelles, ne chargent pas le récit d’effets ornementaux, mais l’éclairent et lui donnent sens.
 
Ce récit a également le bonheur de nous éviter les vérités sentencieuses du voyageur-philosophe posant sur le monde son regard de radoteur humaniste. La narratrice du Grand marin nous parle à hauteur de femmes, la figure dans la saumure, dans le sang, et dans l’odeur fétide des hommes. Pour autant, elle ne nous en donne pas moins à saisir bien des réalités. Réalité du sexisme, parfois direct et brutal, parfois masqué sous des intentions bienveillantes. Réalité d’une certaine xénophobie : tous ces étrangers qui convergent vers l’Alaska, avec leurs problèmes, leurs misères, leurs chimères. Réalité environnementale : la boucherie qu’est la pêche à la palangre, tous ces poissons morts qu’il faut rejeter à la mer pour ne pas dépasser les quotas...
 
 
Catherine Poulain, Le Grand marin, Paris, l'Olivier, 2016, 384 p. Édition numérique.