C’est un roman sur le lien filial, mais aussi sur l’attachement aux autres, aux êtres vivants, aux animaux, bref, sur l’attachement à la vie. Un roman, évidemment, où la mort, la pensée de la mort est aussi présente, où les mots « mentir », « trahir », « peur », reviennent souvent.
Ce n’est pas un conte, même si les trolls des forêts profondes suédoises ne sont jamais loin. Et puis, le personnage-narrateur, écrasé sous le poids de sa mauvaise conscience, dans sa quête expiatoire fait un peu penser à Scrooge.
Ce n’est pas, non plus, un roman policier, et là est le problème. Les Chaussures italiennes 1 raconte l’histoire de Fredrik Welin, soixante-six ans, qui mène une vie recluse sur l’île que ses grands-parents ont autrefois habitée. Cet homme qui fuit son passé dans un passé plus lointain, voit ses erreurs, ses mensonges, lâchetés et trahisons lui revenir, pour ainsi dire, en pleine figure. Pendant une année, un cycle complet de saisons, il n’a plus le contrôle de sa vie. Son île ne le protège plus ; le voilà contraint d’en sortir par des personnes qui entre dans son silence, le bousculent physiquement et psychologiquement, et, jouant sur son sentiment de culpabilité, l’amène à une remise en question. Le trait fondamental de ce personnage est l’ambivalence : désir de transformer une vie qu’il n’aime pas, mais peur du changement ; besoin de l’autre, mais peur de l’engagement. Toute cette dynamique intérieure nous est bien expliquée. Henning Mankell sait aussi très bien faire parler le paysage. Le problème, c’est qu’il nous raconte cette histoire, qui n’a rien de l’intrigue policière, en reprenant certains codes du roman policier. Premier écueil : le rythme, soutenu, où défilent, comme en accéléré, les paysages, les gestes, les actions, les pensées, les paroles… Mais, pour que naisse l’émotion, il faut tout de même lui en donner le temps, créer une atmosphère. Mankell n’est pas un écrivain de l’intériorité, bien qu’il la traque sans relâche. Nous avons affaire ici à une écriture du mouvement, dans la tradition du polar.
Second écueil : des personnages singuliers, aux traits trop appuyés, à la limite de la caricature. Comme ce bottier italien, renommé mondialement, qui quitte son Italie natale pour poursuivre sa carrière dans un village abandonné au fin fond de la forêt suédoise... Mankell ne fait pas dans la dentelle : voilà Harriet, ancienne fréquentation du narrateur, aujourd’hui atteinte d’un cancer, phase terminale, qui marche trois kilomètres sur la glace, par - 20 degrés, appuyé sur son déambulateur, en direction de l’île. Pourquoi ? De même, quand la fille du narrateur vient le rejoindre sur son île, elle ne débarque pas simplement, avec quelques valises, non, elle accoste avec sa vieille caravane absolument délabrée, monté sur un bac à bestiaux. Réaction du père : « Pourquoi a-t-il fallu que tu traînes ta caravane jusqu’ici ? » Réponse de la fille : « C’est ma coquille. Je ne la quitte jamais ». (p. 197) Ah, bon…
Ce travers ne vient pas de nulle part. J’ai l’ai retrouvé dans un Fred Vargas lu l’année dernière. Et dans la série Malaussène, de Daniel Pennac, il y a une vingtaine d'années. Et dans les San Antonio de ma jeunesse, modèle du genre, dont l’influence sur le polar d’aujourd’hui semble avoir éclipsé celle de Simenon. Mais ce qui est acceptable dans le roman policier, dont le genre repose sur des codes bien définis, ne l’est pas dans Les Chaussures italiennes.
Ce roman m’a donné le goût de relire Simenon : des gens ordinaires, des gestes simples, mais signifiants, des souffrances contenues, des drames si humains, et une lenteur de l'existence...
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1. Mankell, Henning. Les Chaussures italiennes. [Fichier ePub], Seuil, 2009, Paris, 263 p.