Les romans historiques sont très populaires, mais c'est un engouement auquel je ne participe pas du tout. Ce genre littéraire sert très mal la science historique, et même, souvent, je trouve, l'écriture romanesque. Ce n'est heureusement pas le cas des Bienveillantes, que je viens de terminer. Un roman quand même trop long (1400 pages !), bien documenté, mais qui ne saurait pourtant être qualifié de réaliste. C'est d'ailleurs le reproche qu'on a adressé à l'auteur, Jonathan Littell : son protagoniste, Maximilien Aue, un officier SS, n'est pas crédible. C'est vrai, pas crédible, mais intéressant. Un personnage distancié du monde qui l'entoure, une « conscience non ancrée dans le réel », 1 pour reprendre une formule très juste glanée sur le Web. Ce monde à travers lequel il se cherche, c'est celui, éminemment masculin, de la guerre, associé à la figure du père dont Aue poursuit la quête : « Le Führer, d’ailleurs, lorsqu’il se tenait immobile, lui ressemblait ». (p. 666) 2 Alors qu'il était enfant, son père, un Freikorps allemand, a disparu. Sa mère, une Française, finira par se remarier, ce que le fils ne lui pardonnera jamais. Contre cette femme qu'il déteste, il choisira l'Allemagne, le national-socialisme, le nazisme et, ultimement, la guerre et sa barbarie.
Le problème, c'est que ce choix est contraire à sa nature. Aue, quoique qu'il fasse, demeure du côté de la mère, de la France ; il est raffiné, féru de culture grecque et latine, aimant l'opéra, les bons vins, les échanges d'idées... La vie de châtelain lui conviendrait très bien. Alors que les troupes russes sont déjà entrées en Allemagne, le voilà en Pomméranie, dans le manoir de von Üxküll, l'époux de sa soeur : « je me sentais apaisé, en amitié avec tout cela, ce feu et ce bon vin et même le portrait du mari de ma sœur, accroché au-dessus de ce piano dont je ne savais pas jouer » (p. 1159) Or, en tant que national-socialiste, c'est précisément ce vieux monde aristocratique prussien qu'il doit éliminer pour faire place au « Volk ». D'où cette distance constante dans le regard.
Il faut dire aussi que, sur le plan sexuel, Aue est un nazi déviant, hérétique. Il a des comportements homosexuels, des désirs incestueux envers sa soeur jumelle... Une vie intime remplie de phantasmes, de fantômes, qui n'est pas sans lien avec l'autre grande thématique du roman : la guerre. J'y reviendrai.
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1 http://www.paperblog.fr/870536/les-bienveillantes-de-jonathan-littell-histoire-d-une-bevue
2 Johnatan Littell, Les Bienveillantes, Gallimard (coll. « Folio »), Paris, 2006, 1397 p.