Nous venons de vivre un moment historique. En une journée, la carte électorale a été complètement chamboulée. Le Bloc québécois et le Parti libéral du Canada (PLC) ont quasiment été rayés de la carte. Le ROC (Rest of Canada) a placé le Parti conservateur au pouvoir pour les quatre prochaines années ; dit autrement, pour la première fois dans l'Histoire du Canada, un parti accède à la majorité en ne faisant élire que six députés au Québec. Comme en 1993, le Québec a déterminé quel parti formerait l'opposition officielle ; à l'époque, il s'agissait du Bloc, aujourd'hui, du NPD. Le résultat de ce scrutin peut donc être vu, une fois de plus, comme l'affirmation politique de notre identité propre.
Mais je ne crois pas en revanche qu'il s'agisse d'une adhésion massive aux idées de gauche, même si adhésion il y a. Beaucoup de gens n'ont pas voté POUR le NPD, mais contre les libéraux, une fois de plus, contre Harper dont les idées, la gouvernance et la froideur, euh... refroidissent les Québécois, et contre le Bloc, usé par 20 ans de règne sur le Québec. Ensuite, beaucoup de gens n'ont pas voté pour le NPD, mais pour son chef, Jack Layton, très apprécié. Ces trois facteurs expliquent en grande partie le résultat que l'on connaît.
Pour les souverainistes, il s'agit du pire résultat électoral depuis 1970. Le Bloc a perdu son statut de parti à la Chambre des communes et le financement qui l'accompagne, avec lequel il aidait aussi le PQ. Il est difficile de ne pas interpréter ce désaveu -- cruel, il faut le dire -- du Bloc, après tant d'années de dévouement à la cause du Québec, comme un recul important de l'option souverainiste. Le temps nous dira si nous avons affaire ici à un sursaut d'humeur ou s'il s'agit d'un mouvement profond. Pour ma part, je crois plus en cette dernière hypothèse. Le mouvement souverainiste est habité depuis longtemps par une crainte : celle de n'être que le produit de la seule génération des baby-boomers. Or, justement, -- mais cela devra être confirmé -- il semble que ce soit surtout les jeunes qui aient voté pour le NPD.
Un chose est sûre : l'électorat québécois est devenu imprévisible, instable, signe que des tiraillements profonds sont à l'oeuvre. En ce sens, le résultat du 2 mai doit être mis en lien avec la montée fulgurante de l'ADQ en 2007, ainsi que le schisme qui a cours présentement au sein du PQ entre une droite qui s'en éloigne (Bouchard, Legault, Facal, par exemple), et une gauche « résiduelle » qui aura à montrer en quoi elle se distingue de Québec Solidaire dans la mesure où son engagement à tenir un référendum n'est plus crédible. Le taux record d'approbation qu'à obtenu Pauline Marois -- qui n'est pas reconnu pour son activisme référendaire -- de la part des militants indique peut-être que ceux-ci jouent leur va-tout, pressentant confusément que la fin d'un rêve approche. Ce qui ne veut pas dire nécessairement que le projet souverainiste soit à l'agonie ; mais les structures politiques qui l'ont porté, de même que la rhétorique de confrontation qui l'a exprimé ont vraisemblablement fait leur temps.
Tout n'est donc pas nécessairement perdu pour les souverainistes. Surtout que ce vote massif en faveur du NPD pourrait en fait constituer la dernière chance du fédéralisme au Québec. Après avoir rejeté les libéraux de Trudeau à la faveur des conservateurs de Brian Mulroney en 1984, trois ans après la « nuit des longs couteaux », puis rejeté ces mêmes conservateurs en 1993 à la faveur du Bloc (suite aux échecs de Meech et de Charlottetown), le dévolu jeté aujourd'hui sur le seul parti non encore entaché par l'Histoire, le parti de Jack Layton, s'il devait s'avérer décevant, pourrait précipiter l'événement tant attendu. L'affaiblissement du poids politique du Québec, qui n'a jamais été aussi évident, pourrait favoriser un tel dénouement.
L'avenir nous dira quel scénario se réalisera, mais pour l'heure nous assistons vraisemblablement à un réalignement politique majeur selon l'axe gauche-droite, au dépens du Bloc et du PLC, lesquels incarnaient l'axe souverainisme-fédéralisme. Le PLC, qui a pendant 40 ans mené la lutte aux « séparatisses », sous l'impulsion des figures de P. E. Trudeau et Jean Chrétien, qui fut LE parti canadien, celui qui a historiquement défini les valeurs, l'identité du Canada, le PLC n'a plus d'avenir. Le centre du spectre politique, où celui-ci avait l'habitude de gouverner, a été déserté par l'électorat qui s'est polarisé. Il s'agit d'une évolution majeure. Si la gauche, où maintenant se retrouve malgré lui le PLC, ne se réorganise pas, plus précisément si PLC et NPD ne fusionnent pas, les conservateurs auront de belles années devant eux.