« Montréal, une des plus belles villes d’Amérique du Nord, et même d’Europe. » (1)
Cette phrase, typique de l’humour de l’écrivain québécois Louis Gauthier, exprime bien, sans y paraître, le double enracinement de la culture québécoise : l’Amérique et la France. Ou plutôt : l'Amérique opposée à la France. La culture de masse opposée à la culture d’élite, TVA à Radio-Canada, l’ADQ au PQ, le joual au français international... Bien sûr je simplifie. N’empêche que ces deux pôles de notre culture ne cessent de nous travailler, de nous tirailler, en particulier sur la question du joual, laquelle, après plus de 40 ans de débats et d’empoignes, des Insolances du Frère Untel jusqu’à la controverse provoquée par David Homel, (2) en passant par Georges Dor et son essai Anna braillé ène shot, n’a pas encore été réglée.
Ce qui se passe en France ne doit donc pas nous être indifférent.
De manière générale, je trouve particulièrement décourageant de voir les Français remettre le pouvoir à un candidat qui incarne une droite dure, en rupture avec la droite gauliste traditionnelle, et quant au fond, peut-être bien semblable à celle de Harper, de Bush. Un candidat d’ailleurs américanophile et qui, dans le même esprit, au contraire de Chirac, ne semble pas s'intéresser une seconde à cette francophonie qui nous est si chère ici, au Québec. François Mitterrand aurait déjà dit que « la France était structurellement à droite et que la gauche était incapable d'y remporter une présidentielle sans la valeur ajoutée de son candidat ». (3) Les événements lui donnent une fois de plus raison.
Certains diront qu'avec Sarkozy au moins what you see is what you get. Peut-être. Mais est-il plus honnête pour autant ? À quoi peuvent bien nous servir sa hargne et son caractère vindicatif. Sur la question cruciale de la moralité politique, cet homme, que l'on compare à Berlusconi, n'a aucune crédibilité. Son ambition dévorante le rend opportuniste. N'est-il pas allé, pour se gagner le vote d'extrême droite, jusqu'à se montrer lepéniste à la fin du premier tour et d'en remettre au second tour ? Christian Rioux parle à juste titre d'un « pari cynique ». (4) Mais surtout, un homme politique de son importance qui se permet de qualifier de « racaille » une partie de la jeunesse française, montre qu'il ne sera jamais l'homme du changement qu'il prétend être, mais celui d'un « ordre » qui en est l'exact contraire, ordre qui ne saura être maintenu sans une certaine violence.
Car il est là, le vrai défi. Christian Rioux parle des trois crises qui entravent la France : crise du chômage, qui crée des « exclus », des citoyens « mis à l'écart du monde du travail, du logement normal, des centres-villes et de la vie sociale » ; crise de confiance, due aux « mensonges de la classe politique, [à] quelques cas de corruption jamais élucidés, [à] la langue de bois et [au] manque de transparence » ; crise, enfin, des banlieues, où s’entassent les exclus. (5)
Pendant qu'un vent de gauche balaie l'Amérique du Sud, il est inquiétant de voir une droite rigide s'installer en Amérique du Nord et en France, à un moment charnière de l'histoire de l'humanité, alors que de profonds changements s'imposent plus que jamais.
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(1) Gauthier, Louis. Les Aventures de Sivis Pacem et de Para Bellum. Tome II. Bibliothèque québécoise, Montréal, 2001, p. 44.
(2) Homel, David. « La littérature québécoise n’est pas un produit exportable ». Le Monde [En ligne]. (Jeudi, 16 mars 2006) (Page consultée le 11 avril 2006)
(3) Rioux, Christian. « La victoire du centre ». Le Devoir [En ligne]. (Vendredi, 27 avril 2007) (Page consultée le 4 mai 2007)
(4) Rioux, Christian. « Quelle identité nationale ? ». Le Devoir [En ligne]. (Vendredi, 4 mai 2007) (Page consultée le 4 mai 2007)
(5) Rioux, Christian. « Les trois crises ». Le Devoir [En ligne].(Vendredi, 20 avril 2007) (Page consultée le 4 mai 2007)
Sur la controverse Homel, lire aussi :
-- Gagnon, Madeleine. « À la défense de la littérature québécoise ». Le Devoir [En ligne]. (Mercredi, 22 mars 2006) (Page consultée le 11 avril 2006)
-- Binamé, Charles. « Libre opinion : En attendant Camus (!)... ». Le Devoir [En ligne]. (Mardi, 11 avril 2006) (Page consultée le 11 avril 2006)